Catastrophe ferroviaire à Saint-Hilaire (1864)

Dans la nuit du 29 juin 1864 , un train de la compagnie de chemin de fer du Grand Tronc plonge dans les eaux de la Rivière Richelieu près de St-Hilaire, faisant près d'une centaine de victimes.


Le train était parti de Pointe-Lévis dans l'après-midi du 28 juin, avec à son bord 467 immigrants européens qui étaient arrivés la veille à bord du navire "Le Neckar". Ces immigrants, pour la plupart norvégiens, prussiens, danois ou polonais, étaient partis de Hambourg le 18 mai dans le but de s'établir dans le Haut-Canada et dans les territoires de l'Ouest.

Constitué de 12 chars (une locomotive et onze wagons habituellement utilisés pour le transport de marchandise), ce train spécial doit les conduire à Montréal. Quatre employés de la compagnie du Grand Tronc se trouvent à bord: Thomas Finn (conducteur), William Burney (ingénieur), Nicholas Flynn (chauffeur) et Gédéon Giroux (garde-frein).

Vers 1h15, après s'être brièvement arrêté à la station de St-Hilaire pour se ravitailler en eau et en bois, le train s'approche du pont de Belœil.  Ce pont, qui enjambe la Rivière Richelieu, est un pont tournant: une partie de la travée peut pivoter afin de laisser passer des bateaux. Une lanterne de couleur rouge est alors allumé pour indiquer aux conducteurs qu'ils doivent immobiliser le train en attendant que le pont puisse être traversé.

Au moment où le train s'approche de la rivière, le pont est tourné pour laisser le passage à cinq barges remorquées par un bateau à vapeur. Nicolas Griffin, le gardien du pont, voit le train arriver à grande vitesse. Il agite frénétiquement une deuxième lanterne rouge afin d'attirer l'attention du conducteur, mais il est trop tard: le train au complet s'engouffre dans la rivière.

Thomas Valiquette, le maître de gare de St-Hilaire, a entendu le bruit de l'accident. Il télégraphie à  Pointe St-Charles, où la compagnie du Grand Tronc rassemble de toute urgence une équipe de sauvetage qui arrive sur les lieux deux heures plus tard. Entre-temps, les médecins des environs ont été alertés. Dans les heures suivantes, une centaine de personnes travaillent à secourir les blessés et à récupérer les cadavres. 

"Le spectacle que présentaient ces infortunés après avoir été transportés sur la terre était des plus navrants. Ici, c'était un enfant qui cherchait en vain son père, sa mère et quelquefois les deux ensemble, là une femme qui pleurait son époux, ou bien qui avait à côté d'elle les cadavres de ses enfants. Nous avons vu un infortuné époux qui dut assister à l'amputation d'une jambe de sa femme. On nous a parlé d'une malheureuse mère qui a été trouvée morte tenant encore dans ses bras un faible enfant d'une couple de mois qui était encore vivant."   (Le Courrier de St-Hyacinthe, 1 juillet 1864)

Le bilan est catastrophique: 

"Des 384 passagers qui furent amenés à la ville on compte que 156 sont grièvement blessés et qu'un grand nombre d'autres sont plus ou moins sérieusement contusionnés. Si l'on ajoute aux 83 cadavres placés dans des cercueils à St-Hilaire, les deux ou trois victimes qui sont mortes après avoir été conduites à Montréal, on a un total de 85 à 86 morts."  (Le courrier de Saint-Hilaire du 5 juillet 1864).

Deux des quatre employés qui étaient à bord du train sont au nombre des survivants: William Burney et Gédéon Giroux. Compte tenu de ses responsabilités à titre d'ingénieur, William Burney est mis en état d'arrestation.

Le coroner Joseph Jones amorce son enquête le 1er juillet. Les témoignages permettent de constater que William Burney, même s'il travaillait depuis sept ans à bord des trains du Grand Tronc, avait été récemment promu au titre d'ingénieur sans avoir reçu de formation particulière. De plus, il connaissait mal cette partie du trajet. 

L'enquête a démontré que le train avait commencé à freiner avant de s'engouffrer dans la rivière, mais beaucoup trop tard.  Au moment de l'accident, le garde-frein Gédéon Giroux n'était pas à son poste, car le conducteur lui avait demandé de préparer des lampes dans le wagon de queue (se trouvant dans le wagon de queue, il a pu sauter du train au moment où la locomotive tombait déjà).

L'enquête du coroner se termine le 13 juillet. Tout en soulignant la négligence de quelques autres employés, le jury conclut à la négligence coupable de William Burney, qui demeure détenu en attente de son procès. À l'automne 1864, toutefois, le grand jury de Montréal arrive à la conclusion que l'accusation envers William Burney n'est pas fondée, car c'est la Compagnie du Grand-Tronc dans son ensemble qui est responsable de l'accident.

Dans la première semaine du mois d'octobre 1864, de nombreux journaux publient une déclaration du grand jury qui se montre extrêmement critique envers la Compagnie du Grand Tronc: 

  • Bien qu'ils aient payé le prix ordinaire pour leur passage, 360 passagers ont été entassés dans des wagons de fret mal aérés, et sans lumière, avec la moitié de l'espace qui leur aurait normalement été alloué dans un wagon de deuxième classe. D'autres passagers étaient debout dans le seul wagon de deuxième classe, car tous les sièges étaient déjà occupés.
  • Pendant le voyage d'une durée de 9 ou 10 heures, les passagers n'ont pas été autorisés à sortir des wagons pour "satisfaire aux besoins de la nature". Ils étaient  "contraints de chercher du soulagement comme ils le pouvaient, assis ou debout, dans les chars encombrés, au mépris de la décence et au dégoût de tous."
  • Il n'y avait qu'un seul serre-frein sur le train, alors qu'il y en a normalement deux sur un train de cette taille quand il transporte du fret, et qu'il y aurait dû y en avoir trois puisqu'il transportait des passagers.
  • La compagnie a confié les passagers à un ingénieur qui n'avait jamais fait le trajet entre Richmond et Montréal, et qui avait été promu à ce poste 10 jours auparavant, assisté d'un chauffeur qui ne connaissait rien de ce trajet lui non plus.
  • La compagnie a permis que le train fasse tout le trajet sans corde pour la cloche qui aurait permis une communication entre les deux extrémités du convoi.
  • La compagnie a toléré pendant des années que les trains ne s'arrêtent pas complètement avant d'entrer sur le pont de Beloeil, alors que la loi impose un arrêt complet de 3 minutes avant d'entrer sur un pont tournant.  

"Pour les raisons ci-dessus, et pour d'autres actes très graves d'omission et de commission, le grand jury croit de son devoir d'exprimer de nouveau sa conviction solennelle que la Compagnie du Grand-Tronc du Canada est principalement responsable de la terrible catastrophe du 29 juin dernier et de la perte de vie qui en a été la suite, et il espère que la dite Compagnie sera traduite devant les tribunaux pour répondre du traitement honteux dont ses nombreux passagers ont été les victimes. " (L'Union Nationale, 6 octobre 1864)

Notons finalement que cet accident causa indirectement un décès supplémentaire: le 3 août 1864, environ un mois après l'accident, un autre train de la compagnie du Grand-Tronc traversait le pont de Beloeil. Un passager nommé Henderson, originaire de New York, se trouvait sur la plate-forme du quatrième wagon; il se pencha au-dessus de la rampe afin d'observer le lieu de la catastrophe, et sa tête frappa violemment une poutre du pont. Son corps fut repêché dans la rivière le lendemain.

Yves Pelletier (Facebook)

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