Scandaleux marathons de danse à St-Laurent et à Hull (1933)

Les marathons de danse ont connu une grande popularité aux États-Unis au cours des années 1920 et 1930. Pendant plusieurs semaines, les participants devaient danser en couple 24 heures sur 24, devant public, n'ayant droit à une pause que pendant 15 minutes à chaque heure. Les prix offerts aux gagnants étaient particulièrement alléchants pendant la crise économique.

Deux marathons de danse ont causé la controverse au Québec à partir de juillet 1933: le marathon de danse du parc Luna, à Hull (maintenant un quartier de Gatineau), et le Walkathon de St-Laurent Garden à Ville Saint-Laurent (maintenant un arrondissement de Montréal). Dans les deux cas, des concurrents ont poursuivi l'épreuve pendant environ deux mois.

Concurrents du Walkathon de Saint-Laurent, La Presse 28 septembre 1933

Désapprobation

Même s'ils attirent de nombreux spectateurs curieux d'observer des danseurs exténués, ces deux événements sont fortement désapprouvés par une partie de la population.

Dans Le Devoir du 4 août 1933 l'éditorialiste Émile Benoist demande l'intervention de la police:

"En attendant marcheurs et marcheuses du marathon marchent toujours. Ils marchent depuis six jours et six nuits. Ils marcheront peut-être pendant six autres jours et six autres nuits, à moins que la police n'intervienne. Cela nous le souhaitons fort. Si les autorités de Saint-Laurent ou celles de la province ne trouvent aucun article du code qui leur permette d'intervenir, qu'elles agissent au nom du simple bon sens pour mettre fin à cette stupidité."

Le 9 août, une lectrice indignée fait connaître son mécontentement dans le courrier des lecteurs du Droit d'Ottawa:

"La jeunesse, si peu retenue d'à présent, va puiser chaque jour, dans ces divertissements abrutissants, un poison terrible pour son âme et aussi pour son corps rompu, puisé à ce tour de force diabolique. Et si, comme suite de cette néfaste aventure, les jeunes personnes qui ont pris part à ce marathon, sont affaiblies et nerveuses, qui les soignera, sinon nos dispensaires et notre hôpital, et cela probablement à nos frais?... C'est vraiment révoltant!"

Le 14 août 1933, le Droit d'Ottawa publie une lettre adressée au conseil municipal de Hull par trois société féminines: la Ligue Catholique Féminine, la Jeunesse Ouvrière Catholique et le Cercle des Institutrices de Hull:

"Ces concours de danse, au dire des personnes sérieuses, sont une honte et une insulte à la dignité de la population. Ce qu'on a toléré ici ne l'a été nulle part ailleurs: en Belgique, en France, ces concours ont été arrêtés aussitôt. Le souci de la santé de ceux qui y prennent part devrait être un motif suffisant pour établir un règlement à cet effet. Les première victimes sont naturellement les jeunes filles qui souvent y compromettent leur santé pour la vie."

Procès 

En septembre 1933, chacun des quatre organisateurs du Walkathon de Ville Saint-Laurent est condamné à payer une amende de $40 pour avoir tenu une salle d'amusement sans détenir un permis de la trésorerie provinciale. Le concours se poursuit malgré tout.

L'attaque du 27 septembre

L'Illustration, 28 septembre 1933

Le 27 septembre 1933, 350 étudiants de l'université de Montréal et de l'université McGill décident de mettre fin au Walkathon de St-Laurent, prétextant qu'il est inhumain de faire marcher ainsi sans arrêt des hommes et des femmes. Les étudiants prennent le tramway sans payer, se rendent au St-Laurent Garden et s'y regroupent en chantant le "O Canada". Ils envahissent ensuite le plancher de danse, faisant fuir les concurrents en leur lançant des fruits pourris. Ils tentent ensuite de faire sortir les spectateurs.

Vitres brisées , La Presse 28 septembre 1933

Le chef des pompiers de St-Laurent fait sortir les étudiants en leur promettant de faire évacuer lui-même les 3000 spectateurs. Cependant, puisque qu'ils jugent l'évacuation trop lente, les étudiants lancent des pierres et des briques dans les fenêtres du Garden. Certains de ces projectiles atteignent des spectateurs qui se trouvent à l'intérieur de l'édifice. Ainsi, Charles Coates reçoit une pierre à la tête et Mme William Lamont est atteinte au dos par une brique. Une femme non identifiée s'évanouit après avoir reçu une pierre en plein visage.

Charles Coates et Mme William Lamont, blessés lors de l'attaque des étudiants
(La Patrie, 28 septembre 1933)

Frank Noades a eu une dent brisée: on l'a frappé avec une chaise alors qu'il tentait d'empêcher les manifestants de démolir l'émetteur radio qui servait à publiciser le concours.  Les étudiants causent des dommages matériel évalués à $500.

Le gardien de nuit Joseph Vendirendonsky tire sur les étudiants au moyen d'un revolver chargé à blanc, espérant les effrayer. Six manifestants son finalement capturés. Des négociations ont ensuite lieu avec les meneurs, qui acceptent de quitter les lieux en échange des otages.

Dès le début de l'attaque, les concurrents (neuf couples) ont été évacués en taxi et on poursuivi l'épreuve en marchant autour de l'hôtel Ford. Il sont retournés au St-Laurent Garden après le départ des étudiants.

Fermeture du walkathon

Le 3 octobre, après avoir appris que les étudiants préparaient un deuxième coup de force, le premier ministre Louis-Alexandre Tashereau ordonne que le walkathon de ville St-Laurent soit interdit au public. Dans l'après-midi, une cinquantaine de policiers font sortir les 500 spectateurs et cernent les lieux.

La Presse 10 octobre 1933


Louis-Alexandre Taschereau
Premier ministre et procureur général du Québec

400 étudiants se rendent malgré tout au St-Laurent Garden, armés d'oeufs pourris, de tomates, de bâtons et de cailloux, et tentent d'y entrer de force. Cette fois, les policiers sont plus nombreux et mieux organisés. La manifestation prend fin assez rapidement.

Le 4 octobre, le grand prix du walkathon est séparé en 16 parts égales: chacun des concurrents reçoit la somme $80 .

L'attaque du 5 octobre

La décision de Taschereau ne concerne pas le concours de danse de Hull, toutefois, qui continue ses activités. Suite au succès de l'intervention des étudiants de Montréal, des étudiants de l'Université d'Ottawa et du Collège St-Patrick décident d'envahir le Parc Luna.

Le Droit, 4 octobre 1933

Le 5 octobre, 200 étudiants tentent, pendant trois heures, de pénétrer dans l'édifice qui abrite le marathon de danse, dans le but d'y mettre fin.  Ils sont cependant accueillis par des policiers et des pompiers de Hull, qui parviennent à repousser les étudiants au moyen de leurs boyaux à incendie.  Les émeutiers causent tout de même des dégâts évalués à $200, en plus de lancer des oeufs et des cailloux en direction des policiers.  

Le gérant du parc Luna, W.H. Conroy déclare que le marathon continuera malgré tout, par respect pour les 4 couples qui ont déjà dansé pendant 1900 heures. Il profite de l'occasion pour mentionner le marathon de chaises berçantes, commencé depuis une semaine.


Le Droit, 6 octobre 1933

Le 18 octobre 1933 Le Soleil de Québec considère que les étudiants ont eu raison de mettre fin aux marathons de danse, tout en déplorant la violence dont ils ont fait preuve:

Alors qu'il existe tant de sports intéressants, sains et honnêtes, on comprend difficilement cette sorte de sadisme qui pousse certains individus à inventer des manières de s'amuser qui feraient rougir même des porcs, si les porcs pouvaient rougir.

Si on veut à tout prix maintenir les marathons, qu'on soit au moins pratique et humain. Pourquoi pas, par exemple, un concours de tricot, entre femmes, pour les pauvres qui auront froid cet hiver? Tous les concours de charité qui n'auront pas la bêtise pour base peuvent être tolérés.

Évidemment, on ne saurait approuver, sans risquer de justifier des abus beaucoup plus graves, les violences illégales des étudiants de Montréal. Il faut sévir même contre ces adversaires de la sottise. Mais en principe, ils avaient raison de vouloir terminer la macabre parade.

 

Yves Pelletier (Facebook)

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