Pauline Garon: une star hollywoodienne née à Montréal (1920-1940)


Pauline Garon
(Le Soleil, 25 juillet 1931)

Née à Montréal en 1898, l'actrice Pauline Garon s'est établie aux États-Unis vers l'âge de 20 ans, et y a joué des rôles importants dans quelques dizaines de films.

Dans les journaux québécois, on commence à parler de Pauline Garon au début des années 1920: chaque fois qu'un film dans lequel elle figure est projeté dans un cinéma de Montréal, on mentionne fièrement que l'actrice est d'origine canadienne-française.

La Patrie, 1er mai 1920

Ainsi, une publicité dans le journal La Patrie du 1er mai 1920 indique "Pauline Garon, une Montréalaise faisant son début comme actrice de vue animée avec George Walsh dans son plus récent succès "A Manhattan Knight".  (Ce film muet est aujourd'hui considéré comme perdu, et le rôle qu'y tient Pauline Garon semble plutôt secondaire.)

Pauline Garon
(La Revue Moderne, 15 septembre 1922)

Dès 1922, toutefois, Pauline Garon tient des rôles beaucoup plus importants. "Reported Missing", une comédie dans laquelle elle tient le second rôle aux côtés d'Owen Moore, est projeté au cinéma Capitol de Montréal en juin 1922 (ce film muet est également considéré comme perdu: seuls quelques fragments ayant été préservés).

"Pauline Garon, qui assiste M. Moore comme premier rôle, est une Montréalaise d'un charme et d'une beauté rares, et elle devient rapidement une favorite dans le monde cinématographique." (La Patrie, 17 juin 1922)

La Patrie, 17 juin 1922

En 1923, Pauline Garon tient le rôle de Mathilda Ramsay dans le drame "Adam's Rib", réalisé par Cecil B. Demille. À Montréal, le fil est projeté au cinéma Capitol en mars 1923. 

Il s'agit de l'histoire d'un homme d'affaires dont la femme se sentant abandonnée par son mari retenu par ses nombreuses affaires, trouve des distractions dans la compagnie d'un homme qui prétend être le dictateur d'un État des Balkans. L'enfant de cette femme cependant, pour sauver l'honneur de sa mère et de sa famille trouve le moyen après de cruels sacrifices d'éloigner l'inconnu, ce qui donne alors lieu à des scènes des plus typiques.  (La Patrie, 5 mars 1923)

La Patrie, 5 mars 1923

À l'automne 1924, le St-Denis propose "Force d'âme" ("The Power Within"), qui est en fait l'un des tous premiers films mettant en scène Pauline Garon (en Anglais, il était sorti en décembre 1921).

La Presse, 10 octobre 1924

"Force d'Ame, c'est l'histoire palpitante de Job Armstrong, en plein succès, qui a confiance en sa force d'énergie et de caractère et qui s'imagine qu'il est le maître du destin et du succès. Il est riche, il est puissant, il possède résidence princière et sa famille est heureuse. Mais vient la série de revers: sa fille meurt; son fils est tué; sa santé s'altère; il est ruiné peu à peu par son gendre et sa résidence est détruite par un incendie. Il est cependant près à recommencer la lutte, lorsque son petit fils disparaît. Alors, il est forcé de s'incliner et de reconnaître que le maître de la puissance et du destin, ce n'est pas lui, mais Dieu." (La Patrie, 4 octobre 1924)

Le Passe-Temps, 10 février 1922

"L'une des plus belles scènes de Pauline Garon, c'est celle où elle reconnait dans Bazaine le meurtrier de son mari. Elle l'attaque avec toute l'impulsion d'une jeune tigresse et parvient à s'emparer de son habit, dans les goussets duquel se trouve les détails du complot. La scène de la perte de l'enfant est également palpitante. (La Patrie, 4 octobre 1924)"

"Et, n'est-ce pas maintenant réellement le tour du patriotisme qui doit nous animer, en allant applaudir cette merveilleuse petite artiste qu'est Pauline Garon, et qui est nôtre, notre propre concitoyenne? Pauline Garon est une grande artiste, et dans ce rôle de la bru de Job Melford, son bon ange gardien, elle est admirable de qualités scéniques. Avec cela qu'elle possède en plus toutes les qualités physiques qu'on exige des étoiles américaines. (La Patrie, 10 octobre 1924)" 


Un journaliste de La Patrie la rencontre à Montréal en février 1928.

"- Vous revenez pour quelques jours dans votre pays natal?

- Pour une semaine environ! J'arrive de New-York où j'ai obtenu mes papiers de naturalisation américaine et je vais m'embarquer pour Paris, je crois, dans l'intention d'y tourner un film avec une maison française.

- Vraiment! Vous êtes Américaine!

- Il le fallait bien! Je suis allée en France avec mon mari il y a quelque temps. J'ai voulu obtenir mes passeports. Impossible! Au consulat américain, j'étais sujet britannique. Au consulat anglais, j'étais Américaine. En réalité, je me trouvais, ayant deux pays, à n'être d'aucun. Situation embarrassante, vous l'avouerez, qui est maintenant réglée. " (La Patrie, 23 février 1928)

Pauline Garon a connu ses plus grands succès en jouant dans dans des films muets, mais vers la fin des années 1920, ce sont plutôt les films parlants qui ont la cote. À partir de 1930, la carrière de Pauline Garon prend une tournure différente: elle joue désormais dans des films parlants, tournés en français.

Le 11 mai 1930, elle parle du film "Le Spectre Vert", réalisé par Jacques Feyder.

"C'est, nous dit-elle, une production excessivement intéressante et d'autant plus qu'elle a trait au Canada. Vous serez peut-être étonnés de m'entendre parler avec un accent du plus pur parisien. Mais je jouais le rôle d'une petite Française et je devais par conséquent adopter l'accent du pays de Molière. Cela ne veut pas dire, comme le prétendent les Américains, que je ne parlais pas déjà correctement le français. Simple question d'accent!..." (Le Petit Journal, 11 mai 1930).

"Le Spectre Vert" tardera à être présenté au Québec. Toutefois, "Échec au Roi", son deuxième film parlant tourné en français, sort à Montréal en mai 1931, à grand renfort de publicité.

"Échec au Roi", que la direction présente cette semaine avec des acteurs de valeur dont notre jeune compatriote canadienne-française Pauline Garon, est une farce amusante et pleine de charme. L'intrique n'est pas très compliquée. Les rôles brillent par leur contraste: un roi démocratique, une reine autoritaire; une princesse jolie voulant se marier selon son coeur mais que l'on veut faire épouser au prince d'un État voisin, etc. Le Roi aime les échecs, la Reine les hait. L'action tourne autour de la révolution et du mariage de la princesse. Celle-ci, comme dans les contes de fée, finit par épouser le secrétaire du Roi." (L'Illustration, 4 mai 1931)

L'Illustration, 2 mai 1931

 

À la fin du mois de juillet 1931, Pauline Garon visite Montréal, puis ensuite Québec, Trois-Rivières et Sherbrooke. Sa principale activité consiste à apparaître sur la scène juste avant chaque présentation d'un film, dans le cinéma qui a obtenu l'exclusivité de sa présence.

Elle arrive à Montréal par train le 19 juillet 1931, et est accueillie à la gare Bonaventure par une fanfare et une foule enthousiaste. 

Pauline Garon lors de son arrivée à Montréal
(La Presse, 20 juillet 1931)

Le maire Camilien Houde la reçoit à l'Hôtel de Ville et lui remet symboliquement les clés de la ville.

Pauline Garon tenant la clé de la ville de Montréal
(La Presse, 20 juillet 1931)

À Montréal, c'est le théâtre Loew's, rue Sainte-Catherine, qui a l'honneur de présenter Pauline Garon "en personne" aux spectateurs qui dépensent 25 cents pour voir le film "Just a Gigolo". Un concours promet des vêtements à la jeune femme qui ressemblera le plus à l'actrice.


"De savants praticiens se penchent sur le cinéma, lui découvrent mille maladies et prédisent sa mort depuis qu'il est parlant. Or, Mlle Pauline Garon, cette sympathique compatriote qui connaît aussi bien son Hollywood que sa cité de Montréal (dont la population lui fait fête au Loew's cette semaine), envoie dans la lune toutes ces pauvres théories. Dans un sketch aussi bien construit que trop court, elle explique au spectateur ce qu'il a gagné depuis l'avènement du film parlant. Mlle Garon, mieux que nulle autre, peut indiquer ces variantes car elle a fait du film muet et du film parlé et celui-ci en deux langues: ils apprendront d'elles des tas de choses originales qui leur seront d'un grand secours. Il est inutile d'insister sur le charme de cette petite personne. Blonde, d'une espièglerie qui pourrait être facilement redoutable et d'un tempérament nerveux que l'on soupçonne impétueux, Mlle Garon en petite femme décidée fait son chemin dans la vie avec une crânerie et un courage qui en remontreraient à bien des hommes." (La Presse, 21 juillet 1931)

Quelques jours plus tard, Pauline Garon apparaît aux théâtres Capitol de Québec et de Trois-Rivière, puis au Granada, à Sherbrooke. À chaque endroit, des commerçants s'associent à la vedette: récepteurs radio de marque Philco, boissons gazeuses Claire Fontaine, manteaux de chez Fortin...

Le Soleil, 25 juillet 1931


Le Soleil, 27 juillet 1931


Le Nouvelliste, 31 juillet 1931

 

"Pauline Garon a fait une apparition sur la scène et a fait part de ses impressions sur d'Hollywood, avant et après l'avènement des films sonores. Elle a raconté comment les artistes doivent travailler dans les studios, où ils entrent de bonne heure le matin pour n'en sortir que tard le soir, après avoir passé la journée sous la férule d'un directeur et avoir repris la même scène une dizaine de fois, sinon plus. L'avènement des films sonores, cependant, a été considérablement profitable au cinéma, dit-elle.

L'assistance a applaudi la jeune Canadienne qui était ravissante à voir dans sa belle toilette que couronnait sa tête blonde. " (La Tribune, 1er août 1931).

Mais l'étoile de Pauline Garon décline rapidement. Après sa tournée québécoise de l'été 1931, on ne la mentionne plus que très rarement dans les journaux québécois. Déjà, en 1938, lors du décès de sa mère, la Patrie la décrit comme une "actrice canadienne-française qui connut un grand succès à l'écran américain au temps des films silencieux".


Quelques journaux annoncent son second mariage, en 1940, puis elle tombe dans l'oubli. Dans les journaux québécois, je n'ai trouvé aucune mention de son décès, survenu en 1965 en Californie.

Pauline Garon
(Le Bien Public, 29 février 1940)

Yves Pelletier


Incendie de l'Hôtel Central à Hull (1943)

Le Droit, 23 décembre 1943

Le 23 décembre 1943 vers 4h15 du matin, le gardien de nuit Mastaï Pichette constate qu'un incendie s'est déclenché au troisième étage de l'Hotel Central, situé à l'intersection de la rue Principale et de la rue Laval, à Hull. Monsieur Pichette s'empresse d'appeler les pompiers et monte à l'étage pour réveiller les clients de l'hôtel.

Incendie de l'Hôtel Central, photographie de la rue Laval
(Le droit, 23 décembre 1943)

Une épaisse fumée emplit rapidement tout l'intérieur de l'hôtel. Au moins trois personnes (Mastaï Pichette, Alexander Gray et Joseph Tremblay) se blessent en sautant d'une fenêtre; cinq autre clients sont sauvés par les pompiers.

De son lit d'hôpital Alexander Gray raconte comment il a échappé aux flammes:

"Je m'éveillai en toussant et je constatai que ma chambre était remplie de fumée", dit Gray. "Jetant un regard vers la porte, je vis les flammes pénétrer dans la chambre. Je sautai hors du lit. Je constatai que je ne pouvais pas sortir par la porte. Je saisis une chaise et je brisai la fenêtre. Je rampai jusqu'à mon lit pour saisir mon pantalon et je retournai à la fenêtre. Je m'accrochai alors à un fil de fer et je me laissai tomber sur le trottoir. Ma cheville fut blessée dans cette chute et un pompier vint m'aider à m'éloigner du brasier."  (La Patrie, 23 décembre 1943)

Les flammes se propagent rapidement. En plus de l'Hôtel Central, un édifice de bois et de brique construit une quarantaine d'années plus tôt, deux commerces situés à proximité sont détruits par les flammes: la tabagie de J.L. Provost et la boutique de chaussures de I. Ducharme.

Incendie de l'Hôtel Central, vue de la rue Principal
(Le Droit, 23 décembre 1943)

La température glaciale (-30°C) complique le travail des pompiers, qui travaillent sous la direction du chef Émile Bond: l'eau gèle rapidement en sortant des boyaux et le feu demeure actif sous la glace. Le lendemain, les flammes reprennent et causent des dommages à l'édifice de la banque provinciale.

Le service de tramway qui fait la liaison entre Hull et Ottawa est interrompu pendant plusieurs heures, d'abord à cause d'une panne de courant causée par la chute d'un mur de l'hôtel, et ensuite à cause d'une épaisse couche de glace qui s'est formée sur les rails.

Au départ, on a de la difficulté à évaluer le nombre de victimes puisque les registres ont été brûlés et les survivants ont été plus pressés de se mettre à l'abris du froid que de se rapporter à la police.  Le chef de la police de Hull, J. Adrien Robert, explique que la liste des pensionnaires a dû être reconstituée à partir des souvenirs des employés et des clients qui ont été retracés. Dans les premières heures, certains journaux évoquent la possibilité qu'il y ait jusqu'à 25 victimes, mais dès le lendemain ce nombre est ramené à un maximum de 15 personnes, puis à 9 personnes le 27 décembre.

À gauche, Émile Bond, chef des pompiers de Hull.
À droite, J. Adrien-Robert, chef de police de Hull.

Ce n'est que le 27 décembre que les fouilles peuvent commencer dans les décombres. Les deux premiers cadavres sont découverts le 28 décembre. On en trouve un troisième le lendemain. Un quatrième est localisé le 3 janvier 1944 et, finalement, on trouve les deux derniers le 5 janvier.

Au total ce sont donc 6 personnes qui ont périt dans l'incendie de l'Hôtel Central:

  • Michael Nevins, 67 ans, agriculteur de Farelton (Québec)
  • Aimé Labelle, 55 ans, agriculteur près du lac Caïman au Québec
  • Mike Wilson, 49 ans, cireur de chaussures au Château-Laurier. Il était Ukrainien d'Origine.
  • William-Patrick Meaney, 46 ans, ingénieur de l'armée canadienne au camp de Petawawa, originaire de Régina, en Saskatchewan.
  • Hormidas Gauthier, 23 ans, de lac Sainte-Marie (Québec)
  • Aurèle Éthier, 18 ans, agriculteur de Chénier, près de Gracefield (Québec)

Lors de l'enquête du coroner, le 8 mars 1944, on arrive à la conclusion que la mort de ces six clients de l'hôtel a été purement accidentelle. Le chef Émile Bond considère que l'incendie a été causée par la défectuosité d'une cheminée.

Joseph Tremblay de Montréal, qui s'était fracturé une jambe en sautant d'une fenêtre, réclame un dédommagement au propriétaire de l'Hôtel Central. La cours supérieure lui accordera la somme de $2763,37 en septembre 1947.

La municipalité de Hull fait l'acquisition d'une partie du terrain de l'Hôtel Central afin d'élargir l'intersection des rues Principale et Laval. En 1947, le bijoutier J-Émile Lauzon annonce la construction d'un nouvel édifice commercial sur la portion restante du terrain.

Yves Pelletier

Meurtre de Théodore Kostinian à Kenogami (1919)

Théodore Kostinian était un bûcheron d'origine polonaise qui travaillait à Kenogami, au Saguenay, pour la compagnie Price Brothers. Après trois années de dur travail dans les bois, il était parvenu à amasser une appréciable somme d'argent, et il envisageait de retourner prochainement dans son pays natal.

Dans la nuit du 26 au 27 juillet 1919, quatre individus armés firent irruption dans le camp et ligotèrent les cinq bûcherons qui s'y trouvaient afin de les cambrioler. Kostinian fut abattu d'une balle en plein front.

Le Soleil, 15 avril 1921

Le 31 juillet, George Morari et Nick Dabeka sont arrêtés à la gare de Limoilou. Ces deux roumains avaient pris place dans le train qui effectuait la liaison entre le Lac Saint-Jean et Québec, et chacun d'eux a en sa possession environ $300 en argent comptant. Suite à son arrestation, Dabeka tente en vain de jeter un paquet dans la Rivière St-Charles. Ce paquet est immédiatement récupéré, et on constate qu'il contient un revolver, des balles et une lampe torche.

La Patrie, 1er août 1919

Les deux hommes s'expriment difficilement en anglais, et pas du tout en français. Avec l'aide d'une interprète, les policiers obtiennent des aveux:  Morari et Dabeka admettent avoir participé à l'agression et au cambriolage, mais nient toutefois avoir tué Kostinian. L'auteur du meurtre serait plutôt un de leurs complice, un certain Big Mike Prosko. 

D'après leur témoignage, Big Mike Prosko est celui qui a organisé le hold up; il a payé leur billet de train et leur a fourni les armes.  Un quatrième individu connu sous le nom de Little George Gennowski complétait le groupe. Les quatre hommes ont fait le trajet en train de Montréal à Québec, puis de Québec à Kenogami, après que des informateurs aient indiqué à Big Mike le nom de certains bûcherons qui conservaient avec eux une importante somme d'argent.

Après le crime, les quatre homme se sont enfuis à pied en longeant la voie ferrée, puis se sont séparés. On ne sait pas où se trouvent Big Mike et Little George.

Le procès de George Morari et Nick Dabeka a lieu à Québec en avril 1920. Leur avocat, Me Marc-Aurèle Lemieux, tente en vain de faire invalider les aveux que ses deux clients ont faits aux policiers au moment de leur arrestation. D'après lui, ses clients n'avaient pas bien compris l'importance de leur déclaration.

Même si on ne peut savoir lequel des quatre cambrioleurs a tué Kostinian, le simple fait d'avoir participé au complot est suffisant pour être déclaré coupable du meurtre.  Le 13 avril 1920, le jury déclare que George Morari et Nick Dabeka sont coupables.  Le juge L.P. Pelletier les condamne à être pendus le 25 juin suivant.

Le Soleil, 13 avril 1920

Me Lemieux tente ensuite d'obtenir une commutation de peine auprès du ministère de la Justice à Ottawa et pour cette raison, la pendaison est reportée au 13 juillet.

Le 5 juillet 1920, Big Mike Prosko est arrêté à Détroit par le détective privé Alfred Roussin.  Tout le monde semble prendre pour acquis que l'exécution de Morari et Dabeka sera reportée afin qu'ils puissent témoigner au procès de leur complice. 

La Presse, 5 juillet 1920

Et pourtant, le matin du 13 juillet 1920, George Morari et Nick Dabeka sont pendus à la prison de Québec; il s'agissait de la première exécution à cet endroit depuis plus de vingt ans.  Croyant que l'exécution serait encore une fois remise à plus tard, le bourreau Ellis avait pris des engagements ailleurs, et il a dû être remplacé par un prisonnier de Bordeaux.

La Presse, 13 juillet 1920

Le 25 novembre 1920, c'est au tour de Little George Gennowski d'être arrêté à Port-Huron.

Le procès de Big Mike Prosko et de Little George Gennowski débute à Québec le 15 avril 1921, environ un an après celui de leurs complices Morari et Dabeka. Ils sont défendus par Me Alleyn Taschereau.

Lors de son arrestation aux États-Unis, Big Mike a fait des aveux à deux détectives américains et au détective Roussin, mais il prétend maintenant qu'il n'a jamais fait de tels aveux, et que tout a été inventé par Roussin.

Le 20 avril 1921, le jury les déclare coupables. Ils seront pendus le 8 juillet.

La Presse, 20 avril 1921

Au nom de ses clients, l'avocat Taschereau en appelle du verdict: on a brimé leurs droits lorsqu'on a refusé leur demande d'avoir deux procès individuels, et les aveux de Big Mike ont été obtenus illégalement aux États-Unis. 

Le 28 décembre 1921, la cours d'appel annonce que la peine de mort est maintenue pour Big Mike, mais annulée pour Little George, qui aura donc droit à un deuxième procès.


L'Action Catholique, 28 décembre 1921

Le deuxième procès de Little George Gennowski débute le 18 avril 1922.  Appelé comme témoin, Big Mike continue de proclamer son innoncence: 

"Qu'on fasse de moi ce qu'on voudra, dit le témoin: le vrai coupable s'est enfui sans qu'il y ait de ma faute. Je n'ai pu empêcher le crime. Je sais être condamné à mort, mais je n'ai pas participé au meurtre. Ni Little George ni moi-même nous connaissions le camp de Kénogami; nous n'y sommes jamais allés." (L'Action Catholique, 21 avril 1922)

Le 24 avril 1922, le deuxième procès de Little George Genowski se termine en queue de poisson: deux membres du jury sont favorables à un acquittement, alors que les autres veulent un verdict de culpabilité. Little George aura donc droit à un troisième procès!

Le troisième Procès de Little George Genowski a donc lieu au mois de mai 1922. Au terme de ce procès, Little George est acquitté!

Little George Genowski est alors pris en charge par les autorités de l'immigration afin d'être déporté vers la Roumanie. Mais le 26 mai 1922, on apprend que Little George s'est évadé! Je n'ai trouvé aucune information permettant de croire qu'il ait un jour été retracé (l'Action Catholique du 7 avril 1923 mentionne qu'il est toujours en cavale).

Le Soleil, 9 juin 1922

Le 9 juin 1922,  Big Mike Prosko est pendu à la prison de Québec. Il continue de proclamer son innocence jusqu'à la fin.

"Messieurs, je vais mourir ce matin. Un crime a été commis, dont je ne suis pas coupable. Je meurs pour un autre. Je vous le répère, je ne suis pas coupable. Tout ce qu'a dit Roussin, le détective, pour me faire condamner, n'est que mensonge, et je le tiens responsable de ma mort devant Dieu. Il a commis un grand péché. Le crime, je n'en sais rien, j'ignore comment il a été commis. Je vais être pendu pour une chose que je n'ai jamais faite. Je me recommande à Dieu!"  (Le Soleil, 9 juin 1922)

Yves Pelletier

Glissement de terrain à Notre-Dame-de-la-Salette (1908)

La Patrie, 27 avril 1908

Notre-Dame-de-la-Salette est un village situé en Outaouais, au Québec, sur le bord de la rivière du Lièvre.  Le dimanche 26 avril 1908 vers 4 heures du matin, une partie du terrain de la rive ouest s'effondre dans la rivière, qui est gonflée par la crue printanière. Deux maisons sont emportées par cet éboulement.

Mais le pire est encore à venir: suite à ce glissement de terrain, le cours d'eau sort de son lit et une gigantesque coulée de boue déferle sur le village, sur la rive opposée, entraînant avec elle d'énormes morceaux de glace qui détruisent instantanément des dizaines de bâtiments.

Croquis montrant le désastre. La zone 2 montre la partie de la rive ouest qui s'est effondrée dans la rivière. La zone 5 sur la rive est a été détruite par les glaces.
(La Presse, 28 avril 1908)

Au total, 34 personnes trouvent la mort. La plupart d'entre elles sont des enfants. Des familles entières sont décimées:

Cléophas et Célina Deslauriers, décédés avec 6 de leurs enfants
La Patrie, 30 avril 1908

  • Famille Cléophas Deslauriers: 8 décès, dont les deux parents. Le seul survivant est Joseph, un garçon de 12 ans.
  • Famille Camille Lapointe: 6 décès. La mère et deux de ses fils sont rescapés alors qu'ils dérivent sur la rivière.
  • Famille Auguste Larivière: 6 décès. Le père a survécu, mais il a une oreille arrachée et est blessé au dos, aux jambes et aux bras.
  • Famille Joseph Murray: 5 décès (seuls survivants: le père et un enfant de 4 ans)
  • Famille Napoléon Charron: 4 décès 
  • Famille Paul Desjardins: 3 décès (Grace, une jeune fille de 13 ans, a miraculeusement survécu, et le père était en visite à l'extérieur du village au moment de la catastrophe).
  • Famille Louis Morissette: 1 décès

Joseph Murray a perdu sa femme, son frère et 5 enfants
La Patrie, 30 avril 1908

14 maison ont été détruites. Certaines familles sont indemnes malgré la destruction de leur maison.

Chez M. Édouard Boileau, beau-frère de M. Wilfrid Chartier, qui a bien voulu nous donner des renseignements à ce sujet, la glace a littéralement coupé la maison en deux. Entendant du bruit, M. Boileau a cru à un ouragan; puis tout d'un coup, se sentant enlever et retomber il s'aperçut avec stupéfaction que la glace a coupé sa maison à la hauteur du premier étage, que le flot l'a enlevée et emportée et que la partie supérieure retombant sur le sol s'y était incrustée, formant ainsi à la place de celle qui était partie, une nouvelle maison.  (La Patrie, 28 avril 1908)

La maison de Camille Lapointe, qui se trouvait sur la rive ouest, a carrément traversé la rivière et est entrée en collision avec la maison Desjardins, sur la rive est.

Sauvetage de Mme Camille Lapointe

La veuve Camille Lapointe est secourue alors qu'elle dérive sur un morceau de glace qui flotte sur la rivière.

"Je me rappelle avoir entendu un bruit semblable à un effroyable coup de foudre, et ce qui s'est ensuite passé est pour moi inoubliable. Je me sentis rouler en bas du lit et tout s'ébranla avec fracas. J'essayai en vain de rejoindre mes enfants, mais je ne sais comment ils se sont tous trouvés dispersés, enfin après avoir été renversée d'une place à l'autre, je me trouvai sur un amas de glaces sur lequel je parvins, pendant un temps que me parut plusieurs heures, à me tenir en équilibre, malgré la force des eaux qui tourbillonnaient autour de moi. Je voyais aussi mon fils, Camille, dont la position sur un amas de foin, était très dangereuse et j'appelais de toute la force de mes poumons du secours et à l'aide." (La Presse, 28 avril 1908)

Sa belle-mère âgée de 74 ans a eu moins de chance; son cadavre sera repêché le lendemain, dans les rapides de Buckingham, trente kilomètres plus loin.

La Presse, 28 avril 1908
 
Quelques heures après le désastre, on n'espère plus trouver d'autres survivants. La priorité consiste plutôt à retrouver le cadavre des victimes. 

À l'école, qu'on a transformée en morgue, le spectacle est navrant. Douze corps sont étalés, douze corps dont la plupart sont défigurés et méconnaissables. Et ceux que l'on a reconnus sont placés ensemble, afin de réunir dans le mort ceux qui ont été unis dans l'existence. (La Patrie 28 avril 1908)

La Patrie du 28 avril 1908

Le 28 avril, près de 400 personnes assistent aux funérailles des 16 victimes dont le corps a été retrouvé. Certains corps ne seront retrouvé qu'un mois plus tard, et 10 ne furent jamais retrouvés.


Funérailles de 16 victimes dans l'église de Notre-Dame-de-la-Salette
(La Patrie 29 avril 1908)



Au cimetière (La Patrie, 29 avril 1908)

Yves Pelletier



La fuite du courtier Charles D. Sheldon (1910-1911)

En 1910, de nombreuses annonces publicitaires retenues dans les journaux montréalais présentaient Charles D. Sheldon comme un courtier de placements spécialisé dans les chemins de fers et stock industriels. Originaire des États-Unis, il s'était établi à Montréal quelques mois plus tôt et on ne savait que très peu de choses concernant son passé.

Charles D. Sheldon (La Presse, 14 octobre 1910)


Publicité, La Patrie du 24 mai 1910 

Au début du mois d'octobre 1910, le Star émet de sérieux doutes concernant les rendements faramineux que le courtier Sheldon prétend obtenir pour ces clients (30% d'intérêt par mois!). Il semble évident que le courtier utilise l'argent de ses nouveaux clients pour payer des dividendes à ses autres clients.  Sheldon réagit en invitant publiquement les substituts du Procureur Général à visiter son bureau afin de consulter à leur guise les livres et comptes de l'entreprise. Bien entendu, de nombreux clients inquiets exigent un remboursement immédiat de l'argent qu'ils ont investi.

Le Canada, 4 octobre 1910

Le mardi 11 octobre 1910, on apprend que Sheldon a quitté Montréal pendant la nuit sans avoir averti qui que ce soit, et qu'il passera les deux prochains jours à New York pour affaires. De nombreux clients se présentent au bureau de la rue Saint-Jacques afin de récupérer leur argent; désemparés, les employés leur remettent un chèque en leur promettant que le patron signera ce chèque dès son retour à Montréal.  Garrand, Théroux et Cie, les banquiers de Sheldon, déclarent quant à eux que le compte de Sheldon a été vidé et fermé la veille!

Le 12 octobre, les clients se butent à des portes closes. Une note affichée à l'entrée du bureau indique que le commerce ouvrira à nouveau le lendemain, au retour de C.D. Sheldon.  

La Patrie, 13 octobre 1910

Mais le lendemain, toujours pas de trace du courtier Sheldon.  Le comptable Alexander Burnett, nommé gardien provisoire par la cour supérieure, s'assure que le bureau demeure fermé. Les clients mécontents sont invités à adresser leurs réclamations à la maison Wilks & Burnett.

La Patrie, 13 octobre 1910


La Presse, 13 octobre 1910

Le 14 octobre, le comptable Burnett a de bien mauvaises nouvelles pour les investisseurs lésés: "Les clients de Sheldon qui perdent environ trois ou quatre millions auront quelques centaines de dollars à se partager, la maison en déconfiture ayant à peine deux ou trois mille dollars d'actif et un passif de quelques millions."

À la demande de David Burnside, le bras droit de Sheldon, un mandat d'arrêt est émis; Burnside accuse son patron de l'avoir fraudé pour une somme de $25 000.

La Patrie, 28 mars 1911

C.D. Sheldon est finalement retracé 5 mois plus tard,  à la fin du mois de mars 1911, à Pittsburgh, où il se faisait connaître sous l'identité de Charles D. Washburn  ou de C.W. Ross. On découvre toutefois que son vrai nom est Charles W. Robinson, et qu'il a commis bien d'autres fraudes dans le passé.

Le matin du 8 avril, Sheldon arrive à Montréal par train, escorté par K.P. McCaskill, chef de la police provinciale, et du détective Howard Johns de l'agence Pinkerton. Le journaliste de La Patrie évalue la foule à environ 2000 personnes. Selon Le Devoir, il s'agit plutôt de 200 personnes.

Arrivée de Sheldon à Montréal
La Patrie, 10 avril 1911

Le chef McCaskill a déclaré à la presse que "la vanité de Sheldon est vraiment extraordinaire": pendant le voyage, il n'a cessé de parler de lui-même et de ses exploits boursiers. L'enquête a pourtant révélé que pendant les quelques mois passés à Pittsburg, Sheldon a perdu environ $3000 à la bourse.

K.P. McCaskill, chef de la police provinciale
(La Presse, 10 avril 1911)

Sheldon plaide non-coupable aux divers chefs d'accusation de vol et de fraude qui sont portés contre lui. Il maintiendra jusqu'au bout que la crise causée par les journaux l'a obligé à chercher à l'étranger les fonds dont il avait besoin pour rembourser ses clients.

Enquête préliminaire
La Patrie, 12 avril 1911

Au tribunal, les procédures ne s'éternisent pas. Après l'enquête préliminaire du 12 avril 1911, le procès a lieu le 8 juin 1911 devant le juge Charles Langelier. Sheldon est défendu par Me Hormidas Pelletier, et le substitut du procureur général est Me J.C. Walsh.

Me Hormidas Pelletier (défense), Me J. C. Walsh (couronne) et le juge Charles Langelier
(La Presse, 10 avril 1911 et 16 juin 1911)

En plus de David Burnside, l'ex gérant du bureau de Sheldon, et du comptable Alexander Burnett, on entend le témoignage de quelques clients: la plupart d'entre eux se plaignent de la disparition de l'argent qu'ils avaient confié à Sheldon, alors que d'autres, au contraire, assurent qu'ils sont pleinement satisfaits des dividendes qu'ils ont obtenus grâce à lui. Burnett indique que, d'après les livres de compte saisis en octobre, Sheldon a reçu environ $2 000 000 de dollars de ses clients, et leur en a distribué $300 000.

Lors des plaidoiries, Me Pelletier assure que son client ne peut pas être reconnu coupable de vol, puisque ses clients lui avaient laissé toute la latitude pour administrer leur argent à sa guise et qu'ils étaient conscients des risques associés à ce genre de spéculation. Me Walsh reproche à Sheldon de ne pas avoir rendu compte aux clients de l'argent placé chez lui, et d'avoir accepté des dépôts au moment où il avait déjà préparé sa fuite.

La Patrie, 16 juin 1911

Le jugement est rendu le 16 juin 1911. Charles D. Sheldon est déclaré coupable de détournement de fond au montant de $15 000 et condamné à purger une peine de 5 ans au pénitencier Saint-Vincent de Paul.

Yves Pelletier