Meurtre de Théodore Kostinian à Kenogami (1919)

Théodore Kostinian était un bûcheron d'origine polonaise qui travaillait à Kenogami, au Saguenay, pour la compagnie Price Brothers. Après trois années de dur travail dans les bois, il était parvenu à amasser une appréciable somme d'argent, et il envisageait de retourner prochainement dans son pays natal.

Dans la nuit du 26 au 27 juillet 1919, quatre individus armés firent irruption dans le camp et ligotèrent les cinq bûcherons qui s'y trouvaient afin de les cambrioler. Kostinian fut abattu d'une balle en plein front.

Le Soleil, 15 avril 1921

Le 31 juillet, George Morari et Nick Dabeka sont arrêtés à la gare de Limoilou. Ces deux roumains avaient pris place dans le train qui effectuait la liaison entre le Lac Saint-Jean et Québec, et chacun d'eux a en sa possession environ $300 en argent comptant. Suite à son arrestation, Dabeka tente en vain de jeter un paquet dans la Rivière St-Charles. Ce paquet est immédiatement récupéré, et on constate qu'il contient un revolver, des balles et une lampe torche.

La Patrie, 1er août 1919

Les deux hommes s'expriment difficilement en anglais, et pas du tout en français. Avec l'aide d'une interprète, les policiers obtiennent des aveux:  Morari et Dabeka admettent avoir participé à l'agression et au cambriolage, mais nient toutefois avoir tué Kostinian. L'auteur du meurtre serait plutôt un de leurs complice, un certain Big Mike Prosko. 

D'après leur témoignage, Big Mike Prosko est celui qui a organisé le hold up; il a payé leur billet de train et leur a fourni les armes.  Un quatrième individu connu sous le nom de Little George Gennowski complétait le groupe. Les quatre hommes ont fait le trajet en train de Montréal à Québec, puis de Québec à Kenogami, après que des informateurs aient indiqué à Big Mike le nom de certains bûcherons qui conservaient avec eux une importante somme d'argent.

Après le crime, les quatre homme se sont enfuis à pied en longeant la voie ferrée, puis se sont séparés. On ne sait pas où se trouvent Big Mike et Little George.

Le procès de George Morari et Nick Dabeka a lieu à Québec en avril 1920. Leur avocat, Me Marc-Aurèle Lemieux, tente en vain de faire invalider les aveux que ses deux clients ont faits aux policiers au moment de leur arrestation. D'après lui, ses clients n'avaient pas bien compris l'importance de leur déclaration.

Même si on ne peut savoir lequel des quatre cambrioleurs a tué Kostinian, le simple fait d'avoir participé au complot est suffisant pour être déclaré coupable du meurtre.  Le 13 avril 1920, le jury déclare que George Morari et Nick Dabeka sont coupables.  Le juge L.P. Pelletier les condamne à être pendus le 25 juin suivant.

Le Soleil, 13 avril 1920

Me Lemieux tente ensuite d'obtenir une commutation de peine auprès du ministère de la Justice à Ottawa et pour cette raison, la pendaison est reportée au 13 juillet.

Le 5 juillet 1920, Big Mike Prosko est arrêté à Détroit par le détective privé Alfred Roussin.  Tout le monde semble prendre pour acquis que l'exécution de Morari et Dabeka sera reportée afin qu'ils puissent témoigner au procès de leur complice. 

La Presse, 5 juillet 1920

Et pourtant, le matin du 13 juillet 1920, George Morari et Nick Dabeka sont pendus à la prison de Québec; il s'agissait de la première exécution à cet endroit depuis plus de vingt ans.  Croyant que l'exécution serait encore une fois remise à plus tard, le bourreau Ellis avait pris des engagements ailleurs, et il a dû être remplacé par un prisonnier de Bordeaux.

La Presse, 13 juillet 1920

Le 25 novembre 1920, c'est au tour de Little George Gennowski d'être arrêté à Port-Huron.

Le procès de Big Mike Prosko et de Little George Gennowski débute à Québec le 15 avril 1921, environ un an après celui de leurs complices Morari et Dabeka. Ils sont défendus par Me Alleyn Taschereau.

Lors de son arrestation aux États-Unis, Big Mike a fait des aveux à deux détectives américains et au détective Roussin, mais il prétend maintenant qu'il n'a jamais fait de tels aveux, et que tout a été inventé par Roussin.

Le 20 avril 1921, le jury les déclare coupables. Ils seront pendus le 8 juillet.

La Presse, 20 avril 1921

Au nom de ses clients, l'avocat Taschereau en appelle du verdict: on a brimé leurs droits lorsqu'on a refusé leur demande d'avoir deux procès individuels, et les aveux de Big Mike ont été obtenus illégalement aux États-Unis. 

Le 28 décembre 1921, la cours d'appel annonce que la peine de mort est maintenue pour Big Mike, mais annulée pour Little George, qui aura donc droit à un deuxième procès.


L'Action Catholique, 28 décembre 1921

Le deuxième procès de Little George Gennowski débute le 18 avril 1922.  Appelé comme témoin, Big Mike continue de proclamer son innoncence: 

"Qu'on fasse de moi ce qu'on voudra, dit le témoin: le vrai coupable s'est enfui sans qu'il y ait de ma faute. Je n'ai pu empêcher le crime. Je sais être condamné à mort, mais je n'ai pas participé au meurtre. Ni Little George ni moi-même nous connaissions le camp de Kénogami; nous n'y sommes jamais allés." (L'Action Catholique, 21 avril 1922)

Le 24 avril 1922, le deuxième procès de Little George Genowski se termine en queue de poisson: deux membres du jury sont favorables à un acquittement, alors que les autres veulent un verdict de culpabilité. Little George aura donc droit à un troisième procès!

Le troisième Procès de Little George Genowski a donc lieu au mois de mai 1922. Au terme de ce procès, Little George est acquitté!

Little George Genowski est alors pris en charge par les autorités de l'immigration afin d'être déporté vers la Roumanie. Mais le 26 mai 1922, on apprend que Little George s'est évadé! Je n'ai trouvé aucune information permettant de croire qu'il ait un jour été retracé (l'Action Catholique du 7 avril 1923 mentionne qu'il est toujours en cavale).

Le Soleil, 9 juin 1922

Le 9 juin 1922,  Big Mike Prosko est pendu à la prison de Québec. Il continue de proclamer son innocence jusqu'à la fin.

"Messieurs, je vais mourir ce matin. Un crime a été commis, dont je ne suis pas coupable. Je meurs pour un autre. Je vous le répère, je ne suis pas coupable. Tout ce qu'a dit Roussin, le détective, pour me faire condamner, n'est que mensonge, et je le tiens responsable de ma mort devant Dieu. Il a commis un grand péché. Le crime, je n'en sais rien, j'ignore comment il a été commis. Je vais être pendu pour une chose que je n'ai jamais faite. Je me recommande à Dieu!"  (Le Soleil, 9 juin 1922)

Yves Pelletier

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