La fuite du courtier Charles D. Sheldon (1910-1911)

En 1910, de nombreuses annonces publicitaires retenues dans les journaux montréalais présentaient Charles D. Sheldon comme un courtier de placements spécialisé dans les chemins de fers et stock industriels. Originaire des États-Unis, il s'était établi à Montréal quelques mois plus tôt et on ne savait que très peu de choses concernant son passé.

Charles D. Sheldon (La Presse, 14 octobre 1910)


Publicité, La Patrie du 24 mai 1910 

Au début du mois d'octobre 1910, le Star émet de sérieux doutes concernant les rendements faramineux que le courtier Sheldon prétend obtenir pour ces clients (30% d'intérêt par mois!). Il semble évident que le courtier utilise l'argent de ses nouveaux clients pour payer des dividendes à ses autres clients.  Sheldon réagit en invitant publiquement les substituts du Procureur Général à visiter son bureau afin de consulter à leur guise les livres et comptes de l'entreprise. Bien entendu, de nombreux clients inquiets exigent un remboursement immédiat de l'argent qu'ils ont investi.

Le Canada, 4 octobre 1910

Le mardi 11 octobre 1910, on apprend que Sheldon a quitté Montréal pendant la nuit sans avoir averti qui que ce soit, et qu'il passera les deux prochains jours à New York pour affaires. De nombreux clients se présentent au bureau de la rue Saint-Jacques afin de récupérer leur argent; désemparés, les employés leur remettent un chèque en leur promettant que le patron signera ce chèque dès son retour à Montréal.  Garrand, Théroux et Cie, les banquiers de Sheldon, déclarent quant à eux que le compte de Sheldon a été vidé et fermé la veille!

Le 12 octobre, les clients se butent à des portes closes. Une note affichée à l'entrée du bureau indique que le commerce ouvrira à nouveau le lendemain, au retour de C.D. Sheldon.  

La Patrie, 13 octobre 1910

Mais le lendemain, toujours pas de trace du courtier Sheldon.  Le comptable Alexander Burnett, nommé gardien provisoire par la cour supérieure, s'assure que le bureau demeure fermé. Les clients mécontents sont invités à adresser leurs réclamations à la maison Wilks & Burnett.

La Patrie, 13 octobre 1910


La Presse, 13 octobre 1910

Le 14 octobre, le comptable Burnett a de bien mauvaises nouvelles pour les investisseurs lésés: "Les clients de Sheldon qui perdent environ trois ou quatre millions auront quelques centaines de dollars à se partager, la maison en déconfiture ayant à peine deux ou trois mille dollars d'actif et un passif de quelques millions."

À la demande de David Burnside, le bras droit de Sheldon, un mandat d'arrêt est émis; Burnside accuse son patron de l'avoir fraudé pour une somme de $25 000.

La Patrie, 28 mars 1911

C.D. Sheldon est finalement retracé 5 mois plus tard,  à la fin du mois de mars 1911, à Pittsburgh, où il se faisait connaître sous l'identité de Charles D. Washburn  ou de C.W. Ross. On découvre toutefois que son vrai nom est Charles W. Robinson, et qu'il a commis bien d'autres fraudes dans le passé.

Le matin du 8 avril, Sheldon arrive à Montréal par train, escorté par K.P. McCaskill, chef de la police provinciale, et du détective Howard Johns de l'agence Pinkerton. Le journaliste de La Patrie évalue la foule à environ 2000 personnes. Selon Le Devoir, il s'agit plutôt de 200 personnes.

Arrivée de Sheldon à Montréal
La Patrie, 10 avril 1911

Le chef McCaskill a déclaré à la presse que "la vanité de Sheldon est vraiment extraordinaire": pendant le voyage, il n'a cessé de parler de lui-même et de ses exploits boursiers. L'enquête a pourtant révélé que pendant les quelques mois passés à Pittsburg, Sheldon a perdu environ $3000 à la bourse.

K.P. McCaskill, chef de la police provinciale
(La Presse, 10 avril 1911)

Sheldon plaide non-coupable aux divers chefs d'accusation de vol et de fraude qui sont portés contre lui. Il maintiendra jusqu'au bout que la crise causée par les journaux l'a obligé à chercher à l'étranger les fonds dont il avait besoin pour rembourser ses clients.

Enquête préliminaire
La Patrie, 12 avril 1911

Au tribunal, les procédures ne s'éternisent pas. Après l'enquête préliminaire du 12 avril 1911, le procès a lieu le 8 juin 1911 devant le juge Charles Langelier. Sheldon est défendu par Me Hormidas Pelletier, et le substitut du procureur général est Me J.C. Walsh.

Me Hormidas Pelletier (défense), Me J. C. Walsh (couronne) et le juge Charles Langelier
(La Presse, 10 avril 1911 et 16 juin 1911)

En plus de David Burnside, l'ex gérant du bureau de Sheldon, et du comptable Alexander Burnett, on entend le témoignage de quelques clients: la plupart d'entre eux se plaignent de la disparition de l'argent qu'ils avaient confié à Sheldon, alors que d'autres, au contraire, assurent qu'ils sont pleinement satisfaits des dividendes qu'ils ont obtenus grâce à lui. Burnett indique que, d'après les livres de compte saisis en octobre, Sheldon a reçu environ $2 000 000 de dollars de ses clients, et leur en a distribué $300 000.

Lors des plaidoiries, Me Pelletier assure que son client ne peut pas être reconnu coupable de vol, puisque ses clients lui avaient laissé toute la latitude pour administrer leur argent à sa guise et qu'ils étaient conscients des risques associés à ce genre de spéculation. Me Walsh reproche à Sheldon de ne pas avoir rendu compte aux clients de l'argent placé chez lui, et d'avoir accepté des dépôts au moment où il avait déjà préparé sa fuite.

La Patrie, 16 juin 1911

Le jugement est rendu le 16 juin 1911. Charles D. Sheldon est déclaré coupable de détournement de fond au montant de $15 000 et condamné à purger une peine de 5 ans au pénitencier Saint-Vincent de Paul.

Yves Pelletier


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