Décès tragique de Dudley Causton à Rimouski (1911)

 ...où comment la défaite de Wilfrid Laurier aux élections fédérales de 1911 entraîna indirectement le décès tragique de l'imprésario d'un célèbre pianiste britannique à la gare de Rimouski.

Le Canada, 30 septembre 1911

Mark Hambourg était un pianiste de concert de réputation mondiale, qui a effectué plusieurs tournées internationales entre 1895 et les années 1930. Né en Russie, il était devenu citoyen britannique en 1889 lorsque sa famille avait fui le régime Tsariste.

Photo de Mark Hambourg, et publicités pour des concerts à Québec (en octobre 1911 et en mai 1910)

Le 28 septembre 1911, Mark Hambourg, qui a alors 32 ans, se trouve sur le quai de la gare de l'intercolonial de Rimouski en compagnie de son épouse Dorothea Muir-Mackenzie et de son imprésario Dudley Causton. Quelques heures plus tôt, ils sont arrivés à bord de l'Empress of Britain, un navire  transatlantique du Canadien Pacifique qui était parti de Liverpool environ une semaine auparavant. Ils attendent maintenant le train qui les transportera à Halifax pour le premier concert de la nouvelle tournée canadienne de Mark Hambourg.

Gare de l'Intercolonial, Rimouski 
(Carte postale, Bibliothèque et archives nationales du Québec)

Une semaine auparavant, le 21 septembre 1911, après un règne de plus de 15 ans, le premier ministre du Canada Wilfrid Laurier a été battu aux élections fédérales par le conservateur Robert Borden. Le comté de Rimouski a suivi la vague, remplaçant son député libéral, le Dr Jean Auguste Ross, par le candidat conservateur Herménégilde Boulay, qui habitait à Sayabec. Le 28 septembre, les militants conservateurs de Rimouski ont organisé des festivités en l'honneur de leur nouveau député, qui est en visite dans leur localité. Au moment où le pianiste, sa femme et son imprésario attendent leur train sur le quai de la gare, une foule enthousiaste se trouve au même endroit pour acclamer Herménégilde Boulay, qui s'apprête à retourner chez lui, à Sayabec, à bord du train.

L'enthousiasme des militants se manifeste par des cris et des applaudissements, mais aussi par des salves de de coups de feu tirés en l'air. Soudainement,  Dudley Causton s'effondre en poussant un cri: il a été atteint à la tête par un projectile d'arme à feu!

Le blessé est immédiatement transporté à l'hôtel Lengham, juste en face de la gare, ou le Dr Drapeau lui prodigue des soins. Mais Dudley Causton décède au bout d'une heure.  

Hôtel Lenghan, Rimouski
(Carte postale, Bibliothèque et archives nationales du Québec)

Le lendemain, lors de l'enquête du coroner, Eugène Banville, manufacturier de boissons gazeuses à Rimouski admet qu'il est l'auteur de cette tragique maladresse: il voulait tirer en l'air, mais le coup est parti au mauvais moment et a atteint Dudley Causton.

Le Devoir, 30 septembre 1911

"Nous sommes maintenant assurés d'après les témoignages qui ont été rendus ce matin à l'enquête du coroner que ce pénible événement est un pur accident commis par quelqu'un d'imprudent. Des accidents de ce genre sont malheureusement trop fréquents. L'histoire est toujours la même: l'arme était chargée, on croyait qu'elle ne l'était pas. Le port des armes à feu est pourtant prohibé par la loi. Nos règlements municipaux défendent de tirer du revolver ou autres fusils dans la ville. On devrait ne jamais oublier  que ces lois et règlements sont parfaitement justes et ont pour but de protéger le public contre les imprudents comme les malfaiteurs." (Le Progrès du Golfe, 29 septembre 1911)

Dudley Causton était marié et père de deux enfants. 

Dudley Causton, pianiste, 1896
(photo tirée d'un programme de concert londonnien)

Le procès d'Eugène Banville pour homicide involontaire débute à Rimouski le 22 mars 1912. Le jury le déclare "coupable avec recommandation à la clémence de la cour".

Le Devoir, 26 mars 1912

Avant de prononcer sa sentence, le juge demande à l'inculpé s'il a quelque chose a dire; celui-ci répond en pleurant: "Je ne demande qu'une chose: Ne m'envoyez pas au pénitencier".Au milieu du grand silence lugubre qui règne dans toute l'assistance émue, en présence du malheureux Banville, dont les cheveux ont blanchi depuis quelques mois et qui debout, pâle et versant d'abondantes larmes, fait peine à voir. Sa Seigneurie lui adresse de justes et sévères remarques qui font sur tous la plus profonde impression. "L'imprudence du coupable a été bien grande et bien grosse de tristes conséquences, puisqu'elle a causé la mort d'un homme, d'un brave étranger. Un tel acte mérite d'être sévèrement puni; mais, vu les circonstances dans lesquelles le crime a été accompli et tenant compte de la recommandation du jury à la clémence de la Cour ma sentence, dit le juge, sera peu sévère". (Le Progrès du Golfe, 29 mars 1912)

Eugène Banville est donc condamné à 19 mois de pénitencier. Il sera toutefois libéré après avoir passé 6 mois en prison, sous la recommandation...du député Herménégilde Boulay. Banville est ensuite allé vivre à Jonquière.

Progrès du Golfe, 23 août 1912

Yves Pelletier

N.B.:

  • Le talent du pianiste Mark Hambourg ne faisait pas l'unanimité: "Hambourg n'est pas un artiste, c'est un tourmenteur de casseroles, vaniteux, qui éprouve un plaisir enfant à s'envelopper de bruits discordants. Et dire qu'il se trouve des auditeurs - plus ineptes que lui - qui l'applaudissent." (le pianiste Alfred Laliberté, La Lyre, mars 1924)

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