Lauréat Leclerc: fumiste ou inventeur génial ? (1909)

Août 1909: un mystérieux engin volant dans le ciel de Québec

Le Soleil, 30 août 1909

Le vendredi 27 août 1909 vers 20h30, un étrange objet volant est aperçu dans le ciel de Québec. Pendant une trentaine de minutes, de nombreux témoins étonnés observent deux points lumineux, au-dessus de l'île d'Orléans, qui se déplacent vers l'ouest. 

Un journaliste du journal Le Soleil rapporte qu'au moyen d'une puissante lunette, il a été possible de distinguer une forme tubulaire se terminant en pointe aux deux extrémités, et émettant une forte lumière à chaque bout: il pourrait donc s'agir d'un ballon dirigeable.


Un ballon dirigeable fabriqué à Québec?

Le Soleil, 9 septembre 1909

Le 9 septembre 1909, alors que la population de Québec continue de s'interroger sur cet étrange phénomène qui s'est manifesté à quelques reprises, Le Soleil publie une explication. Le mystérieux ballon dirigeable serait en fait l'oeuvre de Lauréat Leclerc, un jeune inventeur de Québec âgé de 26 ans. 


La Presse, 10 septembre 1909

"Encore lundi soir, affirment des personnes sérieuses, Leclerc a fait avec sa machine aérienne une envolée digne de mention. Parti des Plaines d'Abraham, du côté de Québec, il aurait traversé le St-Laurent et serait allé atterrir au Bassin de radoub, à St-Joseph de Lévis, du côté sud, soit une distance d'environ cinq milles, et quelques minutes plus tard, vers minuit, se serait dirigé vers le nord, au Sault Montmorency, en doublant le Bout de l'île d'Orléans. Deux réflecteurs assez puissants servaient à orienter ses sorties nocturnes.

(...)

Voilà une quinzaine de jours que Leclerc a commencé ses expériences. Il en serait à sa septième ascension et se propose d'en faire une au grand jour dimanche prochain.

Leclerc dit que son ballon a la forme d'un cigare et qu'il est long de vingt-trois pieds. Il comprend un double de soie, un autre de coton et enfin un autre de grosse toile à voile. Il est mu par un moteur à gazoline de trois forces. Le gouvernail est de toile. Le mécanisme est fixé à une plateforme en madriers de deux pouces d'épaisseur et de cinq pieds de longueur et quatre pieds de largeur. En dessous sont placés deux gros sacs en caoutchouc remplis d'air. Leclerc dit qu'il peut s'élever à deux cents pieds ou plus, filer à 22 noeuds à l'heure et atterrir dans 200 pieds carrés. L'aluminium entre pour une notable partie dans la structure de cette machine."  (Le Soleil, 9 septembre 1909)

Un ballon qui dégonfle...


L'Événement, 13 septembre 1909

Les sceptiques sont nombreux. Ne s'agirait-il pas plutôt de cerfs-volants lancés par des élèves du collègue de Lévis? Ou de ballons en papier lancés par le Dr. Dorval, dentiste de la rue Saint-Jean? Aurait-on bêtement confondu la planète mars avec un aéronef?

Dans l'après-midi du dimanche 12 septembre 1909, au moins un millier de curieux s'assemblent sur les Plaines d'Abraham afin d'assister à une envolée de Lauréat Leclerc à bord de son ballon dirigeable. Mais Leclerc ne s'y présente pas! De plus, un journaliste du journal L'Événement a discrètement inspecté la cours arrière de l'armurerie Ross, où Leclerc est supposé remiser son engin volant, et il n'a rien trouvé.

Le 15 septembre, Lauréat Leclerc déclare qu'il a vendu son dirigeable au Français Alexandre Calais, représentant de la maison Clément-Bayard, une firme française qui fabrique, entre autres choses, des ballons dirigeables. Si Leclerc n'a pas pu exhiber son invention devant le public réuni sur les plaines d'Abraham, c'est que Monsieur Calais était parti à Montréal avec le moteur.

Ces explications ne convainquent apparemment personne, et le "Ballon Leclerc" est considéré comme un canular, même parmi les témoins qui sont convaincu qu'il s'agissait bel et bien d'un ballon dirigeable.

Un inventeur prolifique! (mais peu crédible)


Le Soleil, 24 novembre 1905

Il faut dire que Lauréat Leclerc, qui est né a Québec le 22 août 1883 et a quitté l'école à l'âge de 12 ans, n'en est pas à ses premières frasques en matière d'innovations technologiques peu crédibles.

Quelques années plus tôt, alors qu'il était âgé de 22 ans, Lauréat Leclerc a annoncé l'invention de trois appareils révolutionnaires différents en moins d'un an.


Le Soleil, 24 novembre 1905

Dans son édition du 24 novembre 1905, le journal Le Soleil consacre un article à ce jeune canadien français qui prétend avoir inventé une machine puisant son énergie dans "les fluides électriques de la terre", grâce à deux bouts de tuyau enfouis dans un trou de deux pieds carrés. 


Le Soleil, 25 avril 1906

Cette première invention ne semble pas avoir eu de suite, mais ce n'est pas très grave puisque quelques mois plus tard, le 25 avril 1906, Lauréat Leclerc annonce qu'il a inventé une machine qui permet de guérir l'alcoolisme grâce à un courant électrique.  

"Cette curieuse machine dont l'énergie électrique est toute autre que l'électricité ordinaire fonctionne admirablement bien et a déjà opéré des cures merveilleuses comme en font foi plusieurs certificats de personnes traitées et guéries complètement de la vilaine maladie de l'ivrognerie." (Le Soleil, 25 avril 1906)

Ici encore, la machine à guérir l'alcoolisme est vite tombée dans l'oubli malgré les vertus miraculeuses que sont créateur lui prêtait. Loin de se décourager, Lauréat Leclerc annonce dans la même année l'invention d'un appareil qui traite efficacement la tuberculose!

Le Soleil, 30 août 1906

"Cet appareil mesure 8 pieds de longueur, 4 pieds de largeur et est pourvu d'un siège et d'un support qui réchauffe les pieds du patient, en même temps que d'une petite bouilloire qui distribue une petite vapeur au poumon et les ondes électriques sont lancées sur le patient en quantité voulue. M. Lauréat Leclerc a fait une belle découverte en pouvant projeter ces ondes électriques et faire un bien sans pareil, sans donner de souffrances."  (Le Soleil, 30 août 1906)

Trois ans après qu'il ait prétendument construit son propre ballon dirigeable, le journal L'Action Sociale du 30 août 1912 nous apprend que Lauréat Leclerc a construit une bicyclette qui permet de se déplacer sur l'eau aussi bien que sur terre.  Les visiteurs de l'Exposition provinciale de Québec peuvent voir cet ingénieux véhicule de leurs propres yeux pour la modique somme de 10 sous.

L'accident

Le 29 octobre 1914, Lauréat Leclerc se blesse gravement en marchant sur un trottoir défectueux. Il intente une poursuite de $6 000 contre la ville de Québec, le constructeur du trottoir et le propriétaire de la maison devant laquelle il est tombé. Le montant est énorme (à titre de comparaison, le revenu annuel d'un ouvrier de l'époque est de l'ordre de $500). 

Lors de ce procès, un avocat de la défense pose des questions sur le prétendu ballon dirigeable de 1909, dans le but d'attaquer la crédibilité de Leclerc.  Ce dernier confirme qu'il a effectivement construit une machine volante et qu'il l'a pilotée à quelques reprises, toujours pendant la nuit puisqu'il désirait que son invention demeure secrète. (Le Soleil, 11 novembre 1915)

Leclerc perd son procès. Le juge considère que l'incident semble plutôt dû à la négligence de Leclerc, et qu'il n'a pas fait la preuve que ses séquelles justifiaient une compensation aussi substantielle.

L'espion allemand

Le Soleil, 16 mars 1915

Coup de théâtre: en mars 1915, de nombreux journaux rapportent qu'une lettre écrite de la main de Lauréat Leclerc a été retrouvée lors de l'arrestation à Southampton d'un certain Lawrence Victor Cobb, que certains qualifient d'espion allemand. Dans cette lettre, Leclerc répond à une requête de Cobb concernant le régulateur de vitesse de la machine volante qu'il lui a vendue.

Le Soleil, 17 mars 1915

Convoqué par le chef de police Émile Trudel, Leclerc déclare qu'il a effectivement vendu son ballon dirigeable à Cobb 5 ans auparavant, pour la somme de $50, après avoir été tourné en ridicule par la population de Québec. Quelques jours plus tard, Leclerc apporte à Trudel une photographie qui le montre en compagnie de Cobb, devant ce qu'il prétend être le dirigeable qu'il avait fabriqué. 

Des journalistes s'interrogent: cette abracadabrante histoire de ballon dirigeable pourrait-elle avoir été véridique? Le zeppelin allemand aurait-il, en fait, été inventé par un Québécois?

Lauréat Leclerc est décédé à Québec le 2 janvier 1944, à l'âge de 60 ans.

Yves Pelletier


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