Coulage de la goëlette "I'm Alone" (1929)

Le 22 mars 1929, la goélette canadienne "I'm Alone" est coulée en haute mer par des garde-côtes américains, ce qui déclenche un incident diplomatique entre les deux pays.

La goélette I'm Alone (Le Droit, 6 mars 1962)

Le I'm Alone est une goélette à deux mâts qui a été construite en Nouvelle-Écosse six ans plus tôt. Son capitaine est John Thomas "Jack" Randell, natif de Terre-Neuve, qui s'est illustré lors de la première guerre mondiale à titre de lieutenant-commandant dans la marine royale.

Capitaine Jack Randell (Le Devoir, 3 avril 1929)

Le I'm Alone est exclusivement utilisé pour la contrebande d'alcool, dont la vente est interdite aux États-Unis pendant la prohibition. La procédure habituelle du I'm Alone consiste à prendre une cargaison d'alcool à Saint-Pierre ou à Bélize (qui s'appelle à l'époque le Honduras Britannique) et à s'approcher prudemment de la côte des États-Unis, tout en s'assurant de demeurer à au moins 12 milles du rivage afin de demeurer dans les eaux internationales. Des contrebandiers américains s'occupent ensuite de transporter l'alcool entre le I'm Alone et la terre ferme au moyen de petits bateaux à moteur.

Le 20 mars 1929 vers 5 heures du matin, au large de la Louisianne, la vedette Walcott des garde-côtes américains ordonne au I'm Alone de s'arrêter afin d'être inspecté, puisqu'on le soupçonne de transporter de l'alcool de contrebande. Ces soupçons sont fondés: le I'm Alone transporte effectivement 2400 caisses de spiritueux embarquées au Belize. Le capitaine Randell refuse de s'arrêter, déclarant qu'il se trouve à l'extérieur des eaux territoriales américaines.

Le Walcott se met alors à la poursuite du I'm Alone pendant plus de deux jours sur une distance de 200 milles. Le 22 mars, une deuxième vedette, le Dexter, arrive en renfort et dirige de 60 à 70 coups de canons sur le I'm Alone. Lourdement endommagée, la goélette coule. Léon Mainguy de Saint-Pierre et Miquelon, un des marins du I'm Alone, se noie. Les huit autres membres de l'équipage sont embarqués à bord du Dexter et mis en état d'arrestation.


La Patrie, 25 mars 1929

Puisque le I'm Alone a été immatriculé au Canada, le gouvernement canadien proteste auprès du gouvernement des États-Unis. Les deux pays ne s'entendent pas sur certaines interprétations d'un traité paraphé en janvier 1924 qui permet aux garde-côtes de perquisitionner et de saisir les navires contrebandiers qui se trouvent à moins d'une heure de navigation du littoral américain. Le Canada croit que le navire se trouvait en eaux internationales au moment où il a reçu l'ordre d'arrêter, et que les dispositions du traité ne justifient aucunement une poursuite d'une durée de deux jours se soldant par la destruction d'un navire en eaux internationales et le décès d'un membre d'équipage. Il fait également valoir que le navire qui a coulé le I'm Alone (le Dexter) n'est pas celui qui a débuté la poursuite (le Walcott). Tout en déplorant le décès de Léon Mainguy, le gouvernement américain considère avoir agit en toute légalité et que le capitaine du I'm Alone était dans l'obligation d'obéir à l'ordre de s'arrêter.

En raison de ce désaccord, les États-Unis proposent d'aller en arbitrage, ce qui est accepté par le gouvernement canadien. Au moins d'août 1929, on annonce que l'arbitre nommé par le Canada est Eugène Lafleur (il sera plus tard remplacé par Lyman P. Duff, juge en chef de la cours suprême du Canada). Le juge Willis van Devanter est l'arbitre nommé par les États-Unis.


Les quatre canadiens choisis pour représenter le Canada dans l'arbitrage sur l'affaire du coulage de l'I'm Alone: (1) M. Eugène Lafleur de Montréal, arbitre pour le Canada; (2) Aimé Geoffrion, Montréal, conseiller, (3) John E. Read, de Nouvelle-Écosse, agent canadien dans l'affaire, (4) W.N. Tilley, Toronto, conseiller. (Le Droit, 10 août 1929)



Le Devoir, 9 janvier 1935


Les procédures judiciaires s'éternisent, et ce n'est qu'en janvier 1935, soit plus de 6 ans après le coulage de la goélette, que la commission judiciaire mixte rend publique sa décision.

Tout d'abord, les commissaire en arrivent à la conclusion que le bateau a été coulé illégalement. Les États-Unis doivent donc présenter des excuses au Canada et payer au gouvernement Canadien une indemnité de $25 000.

Aucune indemnisation n'est accordée aux propriétaires de la goélette pour la perte du navire et de sa cargaison (pendant l'enquête, le gouvernement américain a fait la preuve que, bien qu'immatriculé au Canada, le I'm Alone appartenait à des contrebandiers américains).

Toutefois, la commission est d'avis que les membres de l'équipage du I'm Alone n'ont rien fait d'illégal et qu'ils méritent un dédommagement pour la perte de leurs effets personnels, pour les inconvénients engendrés par le plongeon forcé dans l'eau glacée lors du naufrage, et pour l'humiliation d'avoir été enchaînés et emprisonnés.

Ainsi, Amanda Mainguy, veuve de Léon Mainguy qui a perdu la vie lors des événements, reçoit la somme de $10 185. Le capitaine Randell reçoit $7 906. Les sept autres membres de l'équipage reçoivent environ $1 000 chacun (mais le jugement arrive tellement tardivement que deux d'entre eux sont décédés entre-temps!).

Yves Pelletier


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