Drame éléphantesque à Rock Forest (1978)

Le 5 mai 1978, lors d'une représentation du cirque Gatini à Rock Forest, près de Sherbrooke, un éléphant tue sa dompteuse devant des centaines spectateurs horrifiés. Terrifié, un deuxième éléphant s'enfuit dans les rues de Rock Forest.

La Tribune, 6 mai 1978

Malgré son nom à consonance italienne, le Cirque Gatini était québécois. Dirigé par le montréalais Michel Gatien, le cirque a sillonné tout l'est du Canada pendant trois étés, de 1977 à 1979, visitant 75 villes chaque année. Il s'agissait d'un cirque traditionnel qui présentait des clowns, des acrobates, des jongleurs, des trapézistes, des équilibristes et des animaux exotiques sous un grand chapiteau. 

Publicité du cirque Gatini, 1978

Une des principales vedettes de l'édition 1978 était Éloïse Berchtold, une américaine de 42 ans. Native de Cincinnati, Éloïse Berchtold entraînait des animaux depuis son plus jeune âge; elle avait fait ses début à l'âge de 17 ans avec le cirque des frère Christiani. Le Petit Journal du 10 avril 1955 décrit un numéro dans lequel elle était hissée à plusieurs mètres du sol en se tenant par les dents, en compagnie de trois ours.  Dans Le Petit Journal du 26 juin 1960, on explique qu'elle est la première personne à avoir réussi le dressage d'un éléphant africain (il s'agit de  Koa, qu'elle a ensuite donné à un zoo, car il était devenu trop agressif...). Malgré tout, sa seule blessure (à une jambe), datait de 1955, suite à l'attaque d'un de ses 13 ours en pleine représentation.

Le Petit Journal, 10 avril 1955

Le 5 mai 1978, le cirque Gatini avait installé son chapiteau dans le stationnement d'un centre commercial de Rock Forest; il s'agissait du troisième arrêt de la tournée 1978, après Coaticook et Magog.

Trois jours plus tôt, l'Écho de Frontenac avait écrit: "La nouvelle édition inclut Éloïse Berchtold, la seule femme au monde qui risque sa vie à chaque représentation parmi les fauves les plus redoutables de la jungle. Seule dans une énorme cage d'acier, elle affronte des lions, des tigres, des guépards et des ours dans un numéro qui gardera en haleine."  Elle risquait sa vie, en effet!  L'accident fatal n'est toutefois pas survenu dans son numéro d'ouverture en compagnie des fauves, mais dans le numéro final, mettant en scènes ses éléphants. 

Écho de Frontenac, 2 mai 1978

Pour ce numéro, Mme Berchtold disposait de trois éléphants asiatiques, tous des mâles: Tonga, Teak et Thai.  Toutefois, depuis quelques jours, Tonga s'était montré très agressif envers ses deux congénères, et la dompteuse avait jugé plus prudent de le garder à l'écart. La représentation de Rock Forest ne comporte donc que deux éléphants: Teak et Thai.

Vers 21h, pendant la prestation des éléphants, Éloïse Berchtold trébuche, et Teak profite de cette chute sur le sol pour la frapper violemment avec sa trompe, avant de la transpercer avec une de ses défenses.

Évidemment, le public consterné est évacué de toute urgence. Mais il est impossible de s'approcher de la dompteuse pour tenter de lui porter secours (ou à tout le moins de récupérer sa dépouille) car Teak, très agressif ne laisse personne s'en approcher. Éloïse Berchtold s'était toujours occupée elle-même du soin de ses animaux, et personne parmi le personnel du cirque n'a été entraîné à contrôler un éléphant agressif!

Contre toute attente, c'est l'organiste chargé de la musique d'accompagnement qui prend l'initiative de faire reculer l'éléphant en imitant les gestes et les commandements auxquels la dompteuse l'a habitué! 

Montréal-Matin, 8 mai 1978

Pendant ce temps, Thai, le deuxième éléphant, en a profité pour s'enfuir dans les rues de Rock Forest: après avoir déambulé sur le boulevard Bourque, la rue Kennedy et la rue Bourassa,  il trouve refuge dans un boisé. Très craintif, il ne montre pas de signes d'agressivité, mais ne se laisse approcher par personne.

Deux éléphants au centre-ville, c'est un peu trop pour les modestes effectifs de la police municipale de Rock Forest, qui demande l'assistance de la police de Sherbrooke et de la Sûreté du Québec.  Le vétérinaire du jardin zoologique de Granby, qui a l'habitude d'anesthésier des éléphants, est également appelé sur les lieux.

Les deux éléphants appartiennent en fait à Morgan Berry, l'associé d'Éloïse Berchtold, qui se trouve dans son ranch de Woodland, dans l'état de Washington.  Mis au courant de la situation, M. Berry consent à ce que l'éléphant Teak soit abattu.

Près de deux heures après le décès de la dompteuse, Teak, toujours sous le chapiteau,  se montre agressif envers tous ceux qui tentent de l'approcher. Le vétérinaire tire une fléchette anesthésiante, ce qui a pour effet de rendre l'éléphant fou furieux. Deux policiers sont forcés de tirer sur le pachyderme avec des armes de fort calibre: atteint de quelques projectiles à la tête, Teak continue d'attaquer!  14 projectiles seront nécessaires pour en venir à bout.

La Tribune, 8 mai 1978

Il reste à déplacer le cadavre de 3 tonnes: au moyen de chaînes, l'éléphant est hissé sur la plate-forme d'un camion-remorque afin d'être livré  à une usine spécialisée dans la récupération de carcasses animales. Un employé du cirque coupe les défense de l'animal: l'une d'entre elles sera mise aux enchères dans les semaines suivantes.

La Voix de l'Est, 29 mai 1978

Le 6 mai vers midi, Morgan Berry arrive à Rock Forrest à bord d'un hélicoptère de la Sûreté du Québec; on le conduit jusqu'à Thai, qui se trouve dans le boisé depuis la veille. L'éléphant reconnaît son propriétaire et accepte de le suivre. Berry repart aux États-Unis avec les animaux d'Éloïse Bechtold.

Environ un an plus tard, Morgan Berry sera lui-même mortellement piétiné par un de ses éléphants.

La Tribune, 24 juillet 1979

Quant au cirque Gatini, il reprend ses activités dès l'après-midi du 6 mai: aucune représentation n'a été annulée!

Pour la rédaction de cet article, en plus des articles de journaux de l'époque, j'ai eu l'occasion de consulter le livre "Dernier tour de piste" par Claude Bordez et Giovanni Iuliani, publié aux Éditions JCL.

Yves Pelletier (Facebook)

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