Les premières envolées en ballon au Québec au XIXe siècle (1856)

Publicité pour la 3e ascension d'Eugène Godard à Montréal
La Minerve, 20 septembre 1856

Eugène Godard, 1856

Même si les premiers exploits des frères Montgolfier datent de 1783, ce n'est qu'en 1856 que des québécois ont l'occasion de s'envoler à bord d'un aérostat.

Le français Eugène Godard, qui avait fabriqué son premier ballon dix ans plus tôt, arrive à Montréal à l'été 1856, et supervise sur place la fabrication d'un aérostat qu'il baptise "Le Canada". Il s'agit d'un ballon de 76 pieds de hauteur et de 42 pieds de diamètre.

La première envolée du Canada a lieu le lundi 8 septembre 1856. Pour faciliter la logistique, le point de départ se situe à l'intersection des rues Gabriel et Ste-Anne, dans Griffintown, près de l'usine de Louis Beaudry qui fournit le gaz nécessaire à l'ascension. Une foule de quelques milliers de personnes patiente plus de deux heures pendant que le ballon se remplit de 38 000 pieds cubes de gaz. 

"Enfin, Montréal a pu voir une véritable ascension aérostatique, ses citoyens ont pu jouir d'un des spectacles à la fois les plus imposants et les plus émouvants qu'il soit donné à l'homme de contempler. M. Eugène Godard leur a démontré, par la plus heureuse expérience, que l'homme pouvait se rendre le maître des airs, comme de la terre et de l'eau." (La Minerve, 13 septembre 1856)

"L'enceinte réservée pour les personnes qui désiraient voir les préparatifs de l'ascension était garnie de toute l'élite de notre société, de la ville et de la campagne. Nous y avons remarqué, entre autres, sir L. H. Lafontaine et lady Lafontaine, et le maire de Montréal, qui paraissaient suivre, avec un bien vif intérêt, tous les détails des préparatifs." (La Minerve, 13 septembre 1856)

Pour cette première envolée, trois passagers accompagnent l'aéronaute Godard à bord de la nacelle: A.E. Kierskowski, D.S. Ramsay et A. Rambau du journal La Patrie. Le ballon amorce son ascension vers 17h30,  et atterrit 55 minutes plus tard à St-Mathias. 

"Le vent conduisit immédiatement le ballon dans la direction sud-est du fleuve, que nous traversâmes avec assez de rapidité; l'aérostat avait été élevé à une certaine hauteur, et déjà les édifices les plus considérables de Montréal nous apparaissaient sous de bien petites proportions; le vaste St. Laurent lui-même n'était plus qu'un ruban d'eau et ses bateaux les plus considérables étaient à nos yeux de petits jouets d'enfants.  (Le Canadien, 12 septembre 1856)

Après cela, fût-ce une diminution du leste ou la volonté de notre guide? le ballon s'éleva à une majestueuse hauteur et nous traversâmes les plaines de St-Lambert et de Longueuil plus près des nuages que de la terre. Ce qui nous a paru bien étrange, c'est qu'à une semblable hauteur, on n'éprouve pas le moindre sentiment de vertige, même lorsque l'on se penche hors de la nacelle, comme nous le fîmes tous, pour examiner la terre et essayer les étonnants effets de répercussion de la voix qui se produisent, lorsque l'on a atteint cette élévation." (Le Canadien, 12 septembre 1856)

Une deuxième envolée a eu lieu le lundi 15 septembre, avec des résultats plus mitigés:

"Nous apprenons que l'intrépide aéronaute a été contrarié dans sa seconde ascension en ballon, faite lundi à Montréal, par une un vent violent qui l'obligea à relâcher à 4 milles au sud de Saint-Lambert. Il avait pour compagnons de voyage MM. G. Lamothe, J.W.A.R. Masson et L. Beaudry." (Le Journal de Québec, 20 septembre 1856)

"La descente à terre fut difficile, et l'ancre enlevait la terre, les clôtures et les barrières comme des pailles; ce ne fut qu'après avoir labouré la terre de cette manière pendant près de deux milles, que M. Godard put diriger son ballon sur un bouquet de bois et l'arrêter. Comme on le voit cette ascension fut très accidentée, mais le sang-froid de M. Godard empêcha ses passagers d'éprouver la moindre inquiétude, et il revinrent parfaitement satisfaits de leur voyage." (Le Pays, 18 septembre 1856) 

La troisième et ultime envolée a lieu du même point de départ le lundi 22 septembre 1856. Cette fois, les passagers sont Charles Beaudry, Adolphe Roy et le journaliste Coursolles du journal Le Pays. Après avoir volé pendant une heure, l'aérostat atterrit à Lachine.

"Je ne chercherai pas à définir le bonheur, mais je dirai que, pour le moment, le bonheur me paraît être d'aller en ballon. S'il n'a pas d'autre mérite, ce bonheur-là a au moins celui de n'être pas vulgaire, et de n'avoir été partagé à Montréal et même en Canada, que par bien peu de personnes. Je suis un de ceux qui y ont goûté, et si on ne veut pas croire, sur ma parole, que c'est réellement un bonheur d'embrasser l'état d'oiseau pendant une heure ou deux, qu'on en essaie, et on sera convaincu." (Le Pays, 25 septembre 1856)

Suite à cette troisième ascension, Eugène Godard prend la route des États-Unis, au grand désespoir des rédacteurs du Journal de Québec:

"Nous l'avons demandé à Québec, mais il n'a pas pu venir parce que la compagnie d'éclairage a refusé de lui fournir le gaz nécessaire, à un prix raisonnable. On l'attendait à Trois-Rivières, pendant l'Exposition; mais il n'a pas pu s'y rendre pour la même raison. Nous sommes réellement honteux que M. Godard ait trouvé en aval de Montréal des obstacles à ses ascensions, qu'il n'a sans doute rencontrés nulle part, ni aux États-Unis, ni en Europe." (Le Journal de Québec, 20 septembre 1856).

Ballon, trapèze, parachute...vache? (1888-1895)

Faisons maintenant un bond de quelques décennies; vers la fin des années 1880 et au début des années 1890, on annonce assez régulièrement des spectacles impliquant un numéro de trapèze suspendu à un ballon en ascension, suivi d'un saut en parachute. Les acrobates portent souvent le titre de "professeur": le professeur Williams à Ottawa en 1888, le Professeur Hogan à l'exposition de Sherbrooke en 1889, le Professeur Montford au Parc Sohmer à Montréal en 1889, Mlle Karlettia (assistée du Professeur Karl Killip!) au parc Royal à Montréal en 1892...

Illustrations tirées de La Presse, 23 septembre 1892

"La descente de l'aéronaute Hogan en parachute a fait l'étonnement des vingt mille spectateurs, qui l'ont vu s'élever en faisant des tours de force sur un trapèze suspendu à la nacelle, puis ouvrir son parachute et redescendre tranquillement sur notre boule, tandis que sa montgolfière continuait à se balancer dans l'espace, jusqu'à ce que, l'air chaud s'étant refroidi, elle s'abattit sur le sol à quelques milles du terrain de l'exposition." (La Justice, 5 septembre 1889)


Publicité pour un spectacle du Prof. Hogan
Le Progrès de l'Est, 16 août 1889

À Montréal, une performance du Professeur Montford est annoncée pour le 8 septembre 1889:

"Le professeur H. L. Montford fera une ascension en ballon, dimanche prochain, 8 septembre, au Parc Sohmer. Le ballon est gonflé à air chaud, et le professeur n'a pas de nacelle; il se tient sur son trapèze, et durant son ascension fait les tours de forces les plus prodigieux. Il se pend par les jambes, monte ensuite jusqu'au cercle et se laisse glisser, toujours suspendu par les jambes, et la tête en bas, jusqu'au trapèze, à mille pieds de hauteur, il se pend par la pointe des pieds, à la barre de son trapèze; enfin à six mille pies de haut, il se jette en bas avec un parachute, ne prenant que trois minutes pour le trajet des six milles pieds."  (La Patrie, 6 septembre 1889)

L'Étendard du 10 septembre 1889 rectifie: ce n'est pas le Professeur Montford lui-même qui a sauté:

"Le jeune homme qui est monté en ballon, au Parc Sohmer, n'est pas le professeur Montford, mais un jeune home, son élève, âgé d'une quinzaine d'années, et du nom de Hanner. Son ballon avait été gonflé à air chaud dans l'espace d'une demi-heure. Il s'est élevé à environ 1000 pieds en moins d'une minute et est descendu encore plus vite à l'aide de son parachute. Hanner a quitté son ballon dès qu'il a vu qu'il gagnait le nord, afin sans doute de ne pas descendre sur la tête des cheminées. " (L'étendard 10 septembre 1889)

En juillet 1892, c'est une certaine mademoiselle Karlettia qui effectue des acensions en ballon (avec parachute et trapèze) au parc Royal à Montréal.

Publicité pour le spectacle de Mlle Karlettia
(L'Étendard, 8 juillet 1892)

Il semble que le spectacle de Mlle Karlettia n'ait pas été aussi spectaculaire que prévu. Les propriétaires du Parc Royal ont donc engagé le jeune britannique Stanley Spencer:

"Il fallait être osé, après les désappointements du public lors de l'insuccès de Mlle Karlettia de monter en ballon, de tenter un nouvel essai, mais les propriétaires du Parc Royal ont la foi robuste et, dimanche dernier, ils ont pris une revanche des plus éclatantes." (Le Samedi, 20 août 1892)

Stanley Spencer
La Presse, 23 septembre 1892

Le 23 septembre 1892, un journaliste de La Presse raconte son vol dans le ballon de Stanley Spencer; l'envolée d'une durée de 35 minutes les amène au Sault-aux-Récollets, vis-à-vis Terrebonne. Le journaliste est tout aussi émerveillé que ceux qui avaient accompagné Eugène Godard 36 ans auparavant:

"Pour notre part, nous avouons n'avoir vu rien d'aussi beau, d'aussi grandiose. Ajoutez à celà le calme parfait qui règne autour du ballon. Bien qu'il ne soit pas encore 4 hrs de l'après-midi, on dirait que tout dort dans la nature. À peine entendons-nous en passant les cris poussés par un grand nombre d'enfants d'école qui saluent notre passage." (La Presse, 23 septembre 1892)    

En 1895, "la célèbre vache aéronaute Maud" est annoncée à Montréal (le 9 juin), à Trois-Rivières (le 24 juin) et à Hull (le 1er juillet). Dans les trois cas, on précise qu'il s'agira de sa 175e ascension sur le continent américain... Le spectacle est gratuit à Montréal, alors qu'il coûte 10 cents à Trois-Rivières et 25 cents à Hull!

La Presse, 7 juin 1895

À Trois-Rivières, la prestation de la vache Maud nécessite le sauvetage de son propriétaire dans les eaux du fleuve Saint-Laurent:

"Une grande excitation a été causée hier par l'ascension en ballon d'une vache. Lorsque le ballon est arrivé à une hauteur d'une centaine de pieds, l'aéronaute coupa les cordes de son parachute et la vache descendit à une vitesse vertigineuse, mais toucha terre toutefois sans aucun accident. L'aéronaute se maintint alors du mieux qu'il put après son ballon, qui continua de monter encore de deux cent pieds environ. À ce moment, il lâcha prise et tomba dans le fleuve Saint-Laurent en face de l'île de M. Baptiste.  Les matelots des bateaux qui étaient encrés à l'île se portèrent à son secours et furent assez heureux de le ramener sain et sauf."    (La Patrie, 24 juin 1895)

Un tragique accident

Le 27 septembre 1888, à Ottawa, 6 à 7 milles personnes sont témoins d'un épouvantable accident. Le "professeur Williams" effectuait la cascade consistant à s'élever à bord d'un ballon et de s'en laisser tomber en parachute. Plusieurs hommes retenaient le ballon au sol en attendant le signal du départ. Mais quand le professeur Williams a crié "Let go", un des hommes n'a pas lâché et s'est envolé avec le ballon. Il a finalement lâché prise alors que le ballon se trouvait à une altitude d'environ 1000 pieds, et a lourdement tombé, tête première. Il n'a évidemment pas survécu à sa chute. Il s'agissait d'un habitant d'Ottawa nommé Wesely, âgé de 22 ans.  Le professeur Williams, quand à lui, est redescendu en parachute, tel que prévu. (La Presse, 28 septembre 1888)  


Yves Pelletier


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