Effondrement du pont Duplessis (1951)

Le 31 janvier 1951, par une nuit glaciale, des résidents de Trois-Rivières sont brusquement réveillés par un bruit assourdissant: le Pont Duplessis, construit trois ans plus tôt, vient de s'effondrer! 

Le Nouvelliste, 31 janvier 1951

La construction du pont

C'est le 8 juin 1946 que Maurice Duplessis, premier ministre du Québec et député du comté de Trois-Rivières, annonce la construction d'un nouveau pont au-dessus de la rivière St-Maurice pour relier Trois-Rivières à Cap-de-la-Madeleine, au coût de 3 millions de dollars.

Le Nouvelliste, 8 juin 1946

Ce nouveau pont de béton à superstructure d'acier remplacera le vieux pont construit en 1900, qui ne répond plus à la densité actuelle de la circulation. Tout comme l'ancien pont, le nouveau pont sera constitué de deux sections: la section ouest reliant Trois-Rivières à l'île St-Christophe, et la section est reliant Cap-de-la-Madeleine à l'île St-Christophe.

La Dufresne Engineering et son sous-traitant, la Dominion Bridge, entreprennent les travaux le 28 juin 1946. Malgré une pénurie de matériau et quelques retards occasionnées par la crue printanière, la construction s'effectue en un temps record, et le pont est ouvert à la circulation le 21 décembre 1947. L'ancien pont est immédiatement fermé, et on entreprend sa démolition.

L'inauguration officielle du pont a lieu le 6 juin 1948. Suite à une recommandation du conseil municipal de Trois-Rivières, le nouveau pont est baptisé "pont Duplessis", en l'honneur de Maurice Duplessis, premier ministre du Québec, et de son père, Nérée Duplessis, qui avait été juge à la cours supérieure et député de Trois-Rivières.

Le Nouvelliste, 5 juin 1948

Affaissement et fissures

Le 25 février 1950, environ 2 ans après son ouverture, une partie du pont s'affaisse d'environ 20 cm, dans la section est (entre Cap-de-la-Madeleine et l'ile St-Christophe), à cause d'une large fissure dans une poutre d'acier. Le pont est temporairement fermé aux véhicules lourds, les usagers du transport en commun doivent traverser le pont à pied.

Le Nouvelliste, 27 février 1950

Une semaine plus tard, on annonce la découverte d'une deuxième fissure, dans la section ouest du pont (entre Trois-Rivières et l'île St-Christophe).  

Des travaux de réparation et de renforcement du pont sont entrepris par la Dufresne Engineering et la Dominion Bridge.  On annonce la fin de ces travaux le 7 août 1950. 

Le Nouvelliste, 3 mars 1950

Le pont s'écroule!

Le 31 janvier 1951, c'est la catastrophe: vers 3 heures du matin, par une température d'environ -30°C, quatre travées de la section ouest du pont s'effondrent dans la rivière St-Maurice. Des résidents des alentours s'éveillent brutalement, et croient qu'il s'agit d'un tremblement de terre.

Heureusement, peu de voitures circulent sur le pont à cette heure de la nuit, mais quatre personnes perdent la vie: 

  • Henri-Paul Gendron, chauffeur de taxi de Cap-de-la-Madeleine
  • Paul S. Fiset, voyageur de commerce de Ville St-Laurent
  • Noël Doucet, de Cap-de-la-Madeleine, employé de la Canada Iron Foundries
  • Maurice Baumier, de Cap-de-la-Madeleine, employé de la Canada Iron Foundries

La Presse, 31 janvier 1951

Le chauffeur de taxi Benoît Lefebvre et ses deux clients, Roger Landry et Maurice Surprenant, ont plus de chance: le véhicule conduit par Lefebvre chute tout près de la berge et ils s'en sortent vivant, devenant les principaux témoins de l'effondrement.

L'effondrement du pont engendre de graves problèmes pour la population: puisqu'on a détruit l'ancien pont désuet, il faut faire un détour de plus de 60 km pour aller de Trois-Rivières à Cap-de-la-Madeleine, en passant par Shawinigan. De plus, les câbles de la compagnie de téléphone ont été rompus, et pendant quelques jours il est donc impossible de communiquer par téléphone d'une rive à l'autre; pour remédier à la situation, une station de radio locale diffuse gratuitement les messages personnels des citoyens.

Grâce à un pont ferroviaire qui, lui, est demeuré intact, la compagnie Canadien Pacifique met en place un service de train pour permettre aux travailleurs de traverser la rivière. On établit également un service de traversier (on emprunte un bateau de la traverse Québec-Lévis) et on construit sur la glace de la rivière une passerelle de bois qui permet aux piétons de traverser sur l'autre rive de façon sécuritaire.

Le 6 février 1951, Roland Trottier remorque, au volant d'un tracteur, les véhicules qui sont tombés lors de l'effondrement du pont. La glace cède sous le poids du tracteur, qui s'enfonce dans les eaux glacées de la rivière. Roland Trottier devient indirectement la cinquième victime de l'effondrement.

Le Nouvelliste, 7 février 1951

Les ponts Bailey

En attendant la reconstruction permanente du pont, on emprunte d'Hydro Ontario des "ponts Bailey": il s'agit de ponts portatifs préfabriqués, initialement conçus pour un usage militaire. On installe deux ponts Bailey à sens unique: un pont pour aller de Trois-Rivières à Cap-de-la-Madeleine, et un autre pour aller de Cap-de-la-Madeleine à Trois-Rivières. Chaque pont est large de 12 pieds (3,5 m), et est muni d'une passerelle pour les piétons.

L'installation des ponts Bailey débute à la fin de février 1951; ils sont ouverts à la circulation automobile à la fin du mois de mai. À partir de ce moment, la circulation entre Trois-Rivières et Cap-de-la-Madeleine revient à peu près à la normale, même si la vitesse des véhicules est limitée. Le service de bateau passeur, devenu inutile, est interrompu.

La commission Lippé

Une commission d'enquête présidée par René Lippé est tenue du 27 août au 25 septembre 1951. Son rapport est dévoilé le 22 novembre 1951. 

Les conclusions sont que le pont s'est effondré suite à la rupture d'une poutre métallique maîtresse. L'hypothèse d'un sabotage (privilégiée dès le départ par le premier ministre Duplessis) ne peut pas être complètement éliminée, mais la chute du pont peut être attribuée à "un phénomène qui dépasse les connaissances actuelles de la science du génie".

D'autre part, la commission considère qu'aucune faute ou négligence ne peut être attribuée au gouvernement du Québec, ni aux compagnies qui ont construit le pont (Dufresne Engineering et Dominion Bridge).

La semaine suivant le dévoilement du rapport de la commission Lippé, le chef de l'opposition libérale, George Marler évoque un rapport commandé par la Dominion Bridge suite à l'apparition des fissures de 1950, qui concluait que l'acier employé était de mauvaise qualité. Apparemment, ce genre de test n'a pas été effectué suite à l'effondrement du pont!

Le Devoir, 22 novembre 1951


L'Avenir du Nord, 7 décembre 1951

Reconstruction du pont

La reconstruction du pont Duplessis s'amorce en mars 1953. On ne se contente pas de réparer la partie effondrée: toute la section ouest du pont, entre Trois-Rivières et l'île St-Christophe, est reconstruite. 

La section ouest du pont est rouverte à la circulation le 22 novembre 1953. On continue toutefois d'utiliser les ponts temporaires (Bailey) entre Cap-de-la-Madeleine et l'ile St-Christophe, car la section est  du pont demeure fermée à la circulation.

Des travaux de consolidation sont finalement effectués sur la section est (entre Cap-de-la-Madeleine et l'ile St-Christophe) en 1955, et le pont Duplessis reconstruit est à nouveau ouvert à la circulation, sur la totalité de sa longueur, le 1er décembre 1955.

Près de 5 ans après leur installation, les ponts Bailey entre Cap-de-la-Madeleine et l'île St-Christophe peuvent enfin être démantelés.

Le Nouvelliste, 1er décembre 1955


Yves Pelletier (Facebook)

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