Le Bremen traverse l'atlantique d'est en ouest (1928)

Le 12 avril 1928 à 5h38, un Junkers W 33 baptisé "Le Bremen" décolle de l'aérodrôme de Baldonnel, en Irlande, dans le but de traverser l'Atlantique et d'atterrir sur la piste de Mitchell Field, à New York. On prévoit qu'environ 40 heures de vol seront nécessaires pour parcourir une distance d'environ 4800 km.

La Patrie, 12 avril 1928

L'objectif est loin d'être banal: s'il arrive à destination, le Bremen deviendra le premier avion à avoir traversé l'océan Atlantique en partant de l'est et en volant vers l'ouest. Les vents, qui soufflent généralement vers l'est au-dessus de l'Atlantique, rendent cette traversée plus difficile que celle réalisée par Lindbergh (de l'ouest vers l'est) moins d'un an auparavant.

Depuis un an, trois avions se sont perdus en mer en tentant de traverser l'Atlantique d'est en ouest, causant la mort de sept personnes:

  • Le capitaine Charles-M. Nungesser et le capitaine François Coli, partis du Bourget, en France, à bord de L’Oiseau Blanc le 8 mai 1927.
  • Le Capitaine Leslie Hamilton, le lieutenant-colonel F. F. Minchin et la princesse Lowenstein-Wertheim, partis d’Upavon, en Angleterre le 31 août 1927 à bord du Saint-Raphael (plus de détails dans cet article).
  • Le capitaine Walter Hinchcliffe et Elsie Mackay, partis de Cromwell, en Angleterre, à bord de  l’Endeavour le 13 mars 1928.
Trois personnes ont pris place à bord du Bremen: l'allemand Herman Koehl et l'irlandais James Fitzmaurice, qui piloteront en alternance en se relayant toutes les 4 heures, et le baron Ehrenfried Gunther von Hunefeld, qui a financé l’entreprise, et qui aura pour fonction de pomper l’essence, de faire la cuisine et de tenir le registre de vol.  Koehl et Fitzmaurice ont tous les deux participé à la première guerre mondiale, dans des camps opposés (Koehl servait dans l'aviation allemande et Fitzmaurice dans l'aviation britannique).  Quelques mois plus tôt, Fitzmaurice a tenté une traversée de l'Atlantique aux côté du commandant Macinstosh, à bord du Princess Xenia, mais ils ont été obligés de rebrousser chemin. Comme c'est souvent le cas à l'époque, il n'y a pas de radio à bord, et l'appareil ne porte aucune bouée ou flotteur.

Lourdement chargé d'essence, le Bremen éprouve certaines difficultés à décoller; la queue de l'avion blesse un mouton qui broutait, et c'est grâce à une brèche dans un mur de pierre qu'on évite un désastre au décollage! Malgré tout, le décollage est réussi, et le Bremen prend la direction de l'océan Atlantique. 

Le lendemain, toutefois, le Bremen n'atterrit pas à Mitchell Field. Ce n'est que dans la soirée du 13 avril qu'on apprend ce qui est arrivé: le Bremen est bel est bien parvenu à traverser l'océan Atlantique! Toutefois, suite à une violente tempête, le monoplan a dévié de la trajectoire prévue et, ayant presque épuisé sa provision d'essence, il a été forcé d'atterrir sur la minuscule île Greenly, située au Québec, tout près de la côte du Labrador.  C'est le phare qui a attiré l'attention des pilotes, ils avaient d'abord cru qu'il s'agissait de la cheminée d'un navire. Lors de l'atterrissage sur la surface gelée d'un réservoir, l'hélice et le train d'atterrissage ont été endommagés, mais les trois aviateurs s'en sont tirés sans blessures.

Contrairement au plan de vol, le Bremen n'a donc pas atterri à New York mais, malgré tout, pour la première fois de l'histoire, un avion a traversé l'océan Atlantique volant vers l'ouest!


La Patrie, 14 avril 1928

Pendant l'hiver, l'île Greenly (aussi appelée "île Verte") n'est habitée que par 14 personnes, dont le gardien du phare Jacques Letemplier, qui a accueilli les pilotes suite à leur atterrissage.  Pour annoncer la nouvelle au reste du monde, il a été nécessaire de parcourir plusieurs kilomètres sur la surface gelée du golfe du St-Laurent avec un attelage de chiens afin d'atteindre l'émetteur radio le plus proche, à Pointe-Amour.

Dans les jours suivants, on tente de venir en aide aux trois aviateurs.  Le 15 avril, un avion de la Compagnie Aérienne Transcontinentale Canadienne avec à son bord le pilote Duke Schiller , le Dr Louis Cuisinier et le mécanicien Eugène Thibault atterrit à son tour sur l'île Greenly (l'année précédente, Duke Schiller avait tenté une traversée de l'océan aux commandes du Royal Windsor, tel que relaté dans cet autre article). Le Montcalm, un brise-glace du gouvernement canadien, se dirige péniblement vers l'île, mais il est ralenti par les glaces. 

Les trois aviateurs aimeraient réparer le Bremen et poursuivre leur périple jusqu'à New York.  Le matin du 16 avril, Schiller et Fitzmaurice décollent de l'île Greenly à bord de l'avion de la Compagnie Aérienne Transcontinentale Canadienne, en direction de La Malbaie. Puisqu'il est difficile de communiquer avec l'extérieur à partir de l'île, Fitzmaurice profitera de cette sortie pour discuter de la suite des choses avec Herta Junkers, la fille du concepteur du Bremen. Pendant ce temps, Cuisinier et Thibault sont restés sur l'île pour aider Koehl et Hunefeld à réparer le Bremen. Le mauvais temps oblige Schiller et Fitzmaurice à s'arrêter à Natashquan, puis à Clarke City (Sept-îles); il ne parviennent à La Malbaie que le 18 avril.

Le 20 avril, Bernt Belchen et Floyd Bennett décollent de l'aéroport de Detroit à bord d'un avion tri-moteur Ford afin d'apporter sur l'île Greenly diverses pièces de rechange nécessaires à la réparation du Bremen: un train d'atterrissage complet, une hélice, de l'essence...  Il s'agit de deux aviateurs célèbres: Belchen a participé à une traversée transatlantique à bord de l'America en 1927 (en compagnie de Byrd et d'Acosta) alors que Bennett a survolé le pôle nord avec Byrd (il n'a pas pu participer à la traversée de l'America car il avait été gravement blessé lors d'un vol d'essai). 

Après avoir fait escale à La Malbaie, le trimoteur Ford atterrit sur l'île Greenly le 23 avril­, avec à son bord Bernt Balchen, James Fitzmaurice, le mécanicien allemand Ernst Koeppen, ainsi que Charles Murphy, un reporter new-yorkais.

Floyd Bennett, toutefois, n'est pas à bord de cet avion: atteint d'une grave pneumonie, il a été transporté d'urgence par avion à l'hôpital Jeffery Hale de Québec. Son état est tellement grave que son médecin commande un sérum anti-pneumonique de l'institut Rockefeller, à New York.  12 bouteilles de ce sérum sont transportées par avion de New York à Québec par nul autre que Charles Lindbergh, mais c'est trop tard: Floyd Bennett décède le 25 avril 1928 à l'hôpital Jeffery Hale.


La Patrie du 25 avril 1928


Sur l'île Greenly, on doit se résigner: il ne sera pas possible de réparer suffisamment le Bremen pour qu'il puisse décoller de l'île. Le plan B consiste à transporter l'avion par bateau jusqu'à New York, le réparer à cet endroit pour traverser à nouveau l'Atlantique, dans l'autre sens.  Mais pour l'instant, les glaces empêchent le déplacement de l'avion par bateau.

Le 26 avril, Koehl, Fitzmaurice et Hunefeld s'envolent vers La Malbaie à bord de l'avion Ford. Le 27 avril, l'avion s'envole vers les États-Unis: le but est d'assister aux funérailles de Floyd Bennett à Washington mais, encore une fois, le mauvais temps complique les choses; l'avion est forcé d'atterrir à New York. C'est à bord d'un train que les aviateurs se rendent à Washington pour déposer des fleurs sur la tombe de Floyd Bennett, étant arrivés trop tard pour les funérailles. Ils retournent ensuite à New York où ils sont acclamés par une foule enthousiaste estimée à 2,5 millions de personnes.

Pour remercier la population canadienne de son aide et de son accueil, l'équipage du Bremen vient saluer la population de Montréal le 22 mai, puis celle de Québec le 23 mai. Ils arrivent en train car, encore une fois, les conditions atmosphériques ne permettent pas une arrivée en avion!

On finira par abandonner tout espoir de remettre le Bremen en état de voler. Le 6 août 1928, le Bremen arrive à Québec à bord du navire North Shore. Le public pourra l'admirer lors de la 18e exposition provinciale, à Québec, du 1er au 8 septembre 1928.

Publicité dans Le Soleil du 22 août 1928


Le Bremen fait maintenant partie de la collection du Henry Ford Museum of American Innovation.


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Yves Pelletier (Facebook)


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