Incendie criminel à bord du SS Québec (1950)

Le 14 août 1950, alors qu'il navigue sur la rivière Saguenay, le SS Québec est dévasté par un incendie. Sept passagers trouvent la mort dans ce sinistre.

Le S.S. Québec (carte postale, source: BAnQ)


Construit par la compagnie Davie Shipbuilding de Lauzon, le navire SS Québec avait été inauguré en grande pompe le 24 avril 1928 devant 450 invités, parmi lesquels se trouvaient le premier ministre du Québec Louis-Alexandre Taschereau et son épouse Adine Dionne.


L'Action Catholique, 24 avril 1928

Le SS Québec est un gros bateau à vapeur muni de deux hélices. Il est long de 359 pieds (109 m), large de 70 pieds (21 mètres) et profond de 21 pieds (6,5 mètres). Sa coque est en acier, alors que sa superstructure est en acier et en bois.

Pendant plus de vingt ans, le SS Québec est affecté à la ligne Montréal - Bagotville de la compagnie Canada Steamship Lines Limited. Il fait partie de la flotte des "bateaux blancs du Saint-Laurent", avec le SS Tadoussac, le SS Richelieu et le SS Saint-Laurent. Pendant tout l'été, ces paquebots offrent aux plaisanciers des croisières de quelques jours sur le Saint-Laurent et le Saguenay, avec des escales à Québec, La Malbaie, Saint-Siméon et Tadoussac.


Affiche publicitaire des Canada Steamship Lines
Source: BAnQ

Le 14 août 1950 alors qu'il vogue à l'embouchure du Saguenay avec, à son bord, 426 voyageurs et 197 membres d'équipage, un violent incendie éclate dans une lingerie du S.S. Québec. Deux passagères alertent des membres de l'équipage vers 17h, après avoir vu de la fumée. Quatre jeunes employés tentent d'éteindre les flammes au moyen d'extincteurs manuels, ce qui a pour seul effet d'intensifier la fumée. Ils utilisent ensuite des boyaux d'arrosage, mais la densité de la fumée les empêchent de s'approcher suffisamment du foyer de l'incendie.

Avisé de la situation, le capitaine Cyril H. Burch tente de s'adresser aux passagers par le système de haut-parleurs, mais aucun son n'en sort. De plus, le système de klaxons n'est audible que sur les ponts D et E, réservés à l'équipage, alors qu'on n'entend rien sur les ponts A, B et C, où se trouvent les passagers.

Les membres de l'équipage font de leur mieux pour alerter les passagers et les rassembler en trois groupes distincts sur les ponts du navire. Une certaine confusion règne car la fumée empêche certains employés de se rendre aux endroits où ils doivent remplir leur fonction en cas d'urgence. On constate qu'on ne dispose pas d'un nombre suffisant de vêtements de flottaison, car la plupart d'entre eux sont entreposées dans les cabines, devenues inaccessibles à cause de la fumée.

Puisque le S.S. Québec se trouve à une distance de 4 milles de Tadoussac, le capitaine prend la décision d'augmenter la vitesse du navire à son maximum afin de débarquer les passagers au quai de Tadoussac plutôt que de descendre les canots de sauvetage. Il accoste effectivement au quai de Tadoussac aux commandes du navire en flamme, et les passagers et membres d'équipages sont rapidement évacués.

SS Québec en flammes au quai de Tadoussac (source: BAnQ)

Sept personnes, toutefois, ne descendent pas sur le quai. À cause de l'absence de klaxons d'alarme, elles sont mortes asphyxiées dans leur cabine.

Les victimes sont:

  • Norman Shapiro de Ville Mont-Royal, son épouse et son fils Leonard (Bernard, un autre enfant de la famille Shapiro, a survécu).
  • Eva et Gertrude Taub de Tarrytown, N.-Y., 
  • le Dr. Piken-Smith McCollum et son épouse, de la Caroline Méridionale
Famille de Norman Shapiro. Bernard Shapiro (à gauche) est le seul survivant. M. et Mme Norman Shapiro et leur fils Leonard Shapiro sont morts dans l'incendie (Le Soleil, 17 août 1950)


Dans les jours suivants l'incendie, le S.S. Québec est remorqué jusqu'à Lauzon pour qu'on puisse analyser ce qui en reste.

Une enquête publique sur l'incendie du S.S. Québec est tenue au Palais de Justice de Québec du 18 au 20 octobre 1950 et le rapport du juge Fernand Choquette de la cour supérieure du Québec est rendu public le 10 avril 1951.

L'enquête conclut que l'incendie qui a détruit le S.S. Québec a été causé par une main criminelle. De plus, le système d'avertisseurs aéro-électrique avait été volontairement mis hors d'usage (les accumulateurs alimentant le système avaient été débranchés). 

Le juge Choquette recommande néanmoins une meilleure formation de l'équipage pour faire face aux incendies: les flammes auraient probablement été maîtrisées si l'équipage avait immédiatement utilisé des boyaux plutôt que des extincteurs, et certains employés ne se sont pas présentés aux endroits qui leur avaient été assignés.

La Patrie, 10 avril 1951


Les autres navires de la Canada Steamship (le S.S. Richelieu, le S.S. Tadoussac et le S.S. Saint-Laurent) demeurèrent en service jusqu'à l'été 1965. En 1966, ils furent vendus à une compagnie belge afin d'être démantelés.

La Voix de l'Est, 15 novembre 1965

Yves Pelletier


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Coulage de la goëlette "I'm Alone" (1929)

Le 22 mars 1929, la goélette canadienne "I'm Alone" est coulée en haute mer par des garde-côtes américains, ce qui déclenche un incident diplomatique entre les deux pays.

La goélette I'm Alone (Le Droit, 6 mars 1962)

Le I'm Alone est une goélette à deux mâts qui a été construite en Nouvelle-Écosse six ans plus tôt. Son capitaine est John Thomas "Jack" Randell, natif de Terre-Neuve, qui s'est illustré lors de la première guerre mondiale à titre de lieutenant-commandant dans la marine royale.

Capitaine Jack Randell (Le Devoir, 3 avril 1929)

Le I'm Alone est exclusivement utilisé pour la contrebande d'alcool, dont la vente est interdite aux États-Unis pendant la prohibition. La procédure habituelle du I'm Alone consiste à prendre une cargaison d'alcool à Saint-Pierre ou à Bélize (qui s'appelle à l'époque le Honduras Britannique) et à s'approcher prudemment de la côte des États-Unis, tout en s'assurant de demeurer à au moins 12 milles du rivage afin de rester dans les eaux internationales. Des contrebandiers américains s'occupent ensuite de transporter l'alcool entre le I'm Alone et la terre ferme au moyen de petits bateaux à moteur.

Le 20 mars 1929 vers 5 heures du matin, au large de la Louisianne, la vedette Walcott des garde-côtes américains ordonne au I'm Alone de s'arrêter afin d'être inspecté, puisqu'on le soupçonne de transporter de l'alcool de contrebande. Ces soupçons sont fondés: le I'm Alone transporte effectivement 2400 caisses de spiritueux embarquées au Belize. Le capitaine Randell refuse de s'arrêter, déclarant qu'il se trouve à l'extérieur des eaux territoriales américaines.

Le Walcott se met alors à la poursuite du I'm Alone pendant plus de deux jours sur une distance de 200 milles. Le 22 mars, une deuxième vedette, le Dexter, arrive en renfort et dirige de 60 à 70 coups de canons sur le I'm Alone. Lourdement endommagée, la goélette coule. Léon Mainguy de Saint-Pierre et Miquelon, un des marins du I'm Alone, se noie. Les huit autres membres de l'équipage sont embarqués à bord du Dexter et mis en état d'arrestation.


La Patrie, 25 mars 1929

Puisque le I'm Alone a été immatriculé au Canada, le gouvernement canadien proteste auprès du gouvernement des États-Unis. Les deux pays ne s'entendent pas sur certaines interprétations d'un traité paraphé en janvier 1924 qui permet aux garde-côtes de perquisitionner et de saisir les navires contrebandiers qui se trouvent à moins d'une heure de navigation du littoral américain. Le Canada croit que le navire se trouvait en eaux internationales au moment où il a reçu l'ordre d'arrêter, et que les dispositions du traité ne justifient aucunement une poursuite d'une durée de deux jours se soldant par la destruction d'un navire en eaux internationales et le décès d'un membre d'équipage. Il fait également valoir que le navire qui a coulé le I'm Alone (le Dexter) n'est pas celui qui a débuté la poursuite (le Walcott). Tout en déplorant le décès de Léon Mainguy, le gouvernement américain considère avoir agit en toute légalité et que le capitaine du I'm Alone était dans l'obligation d'obéir à l'ordre de s'arrêter.

En raison de ce désaccord, les États-Unis proposent d'aller en arbitrage, ce qui est accepté par le gouvernement canadien. Au moins d'août 1929, on annonce que l'arbitre nommé par le Canada est Eugène Lafleur (il sera plus tard remplacé par Lyman P. Duff, juge en chef de la cours suprême du Canada). Le juge Willis van Devanter est l'arbitre nommé par les États-Unis.


Les quatre canadiens choisis pour représenter le Canada dans l'arbitrage sur l'affaire du coulage de l'I'm Alone: (1) M. Eugène Lafleur de Montréal, arbitre pour le Canada; (2) Aimé Geoffrion, Montréal, conseiller, (3) John E. Read, de Nouvelle-Écosse, agent canadien dans l'affaire, (4) W.N. Tilley, Toronto, conseiller. (Le Droit, 10 août 1929)



Le Devoir, 9 janvier 1935


Les procédures judiciaires s'éternisent, et ce n'est qu'en janvier 1935, soit plus de 6 ans après le coulage de la goélette, que la commission judiciaire mixte rend publique sa décision.

Tout d'abord, les commissaire en arrivent à la conclusion que le bateau a été coulé illégalement. Les États-Unis doivent donc présenter des excuses au Canada et payer au gouvernement Canadien une indemnité de $25 000.

Aucune indemnisation n'est accordée aux propriétaires de la goélette pour la perte du navire et de sa cargaison (pendant l'enquête, le gouvernement américain a fait la preuve que, bien qu'immatriculé au Canada, le I'm Alone appartenait à des contrebandiers américains).

Toutefois, la commission est d'avis que les membres de l'équipage du I'm Alone n'ont rien fait d'illégal et qu'ils méritent un dédommagement pour la perte de leurs effets personnels, pour les inconvénients engendrés par le plongeon forcé dans l'eau glacée lors du naufrage, et pour l'humiliation d'avoir été enchaînés et emprisonnés.

Ainsi, Amanda Mainguy, veuve de Léon Mainguy qui a perdu la vie lors des événements, reçoit la somme de $10 185. Le capitaine Randell reçoit $7 906. Les sept autres membres de l'équipage reçoivent environ $1 000 chacun (mais le jugement arrive tellement tardivement que deux d'entre eux sont décédés entre-temps!).

Yves Pelletier


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Le jeune noyé de Guybourg (1933)

À Guybourg (un secteur de Montréal), dans la journée du 29 juin 1933, des baigneurs trouvent dans le fleuve Saint-Laurent un sac de jute renfermant le cadavre d'un jeune garçon.

La Patrie, 3 juillet 1933

L'enfant semble âgé d'une dizaine d'années; il mesure 3 pieds et 6 pouces (1,1 mètre) , il pèse entre 75 et 80 livres (35 kg) et ses cheveux sont châtains.  Il porte un veston de couleur bleu marine de marque "Self Help" dont les boutons sont jaunes, une culotte bleu marine, des chaussettes beiges et des chaussures en cuir brun. L'aspect des vêtement permettent de supposer qu'il ne s'agit pas d'un résident de Montréal, mais plutôt quelqu'un provenant d'Europe ou des États-Unis. Il serait toutefois catholique, puisqu'il portait une médaille à l'effigie de Notre-Dame-de-Lourdes.


Photographie montrant l'endroit où le cadavre a été découvert
(La Patrie, 30 juin 1933)

Selon le Dr. Rosario Fontaine, directeur du laboratoire de médecine légale, l'enfant est décédé deux ou trois semaines auparavant. L'état de décomposition du cadavre étant assez avancé, il n'est pas en mesure de déterminer si l'enfant a été noyé ou s'il était déjà décédé avant d'être immergé. Le corps ne présente aucune trace de violence. L'estomac contenait des morceaux de pommes de terre, ce qui semble indiquer que l'enfant avait mangé moins de trois heures avant son décès.

Le Dr Rosario Fontaine, directeur du laboratoire de médecine légale
(Le Petit Journal, 9 juillet 1933)

De toute évidence, puisque le cadavre se trouvait à l'intérieur d'un sac, il ne s'agit pas d'une simple noyade accidentelle. Le garçon a-t-il été assassiné? La famille de l'enfant aurait-elle discrètement disposé du cadavre suite à un décès de cause naturelle?

Le corps a été trouvé à une vingtaine de pieds du rivage, sous 15 pieds d'eau à proximité du terrain de camping "Jimmy's Camping Ground". Interrogé par les enquêteurs, le propriétaire du camping, Jacques "Jimmy" Chénier établit rapidement un lien entre le petit défunt et une famille qui a résidé sur son terrain du début du mois d'avril jusqu'au 6 juin. Un garçon de cette famille portait un costume de matelot de couleur bleue marine, et les parents ont soudainement levé le camp à une date qui pourrait bien correspondre avec celle du décès du garçon. Chénier accompagne les policiers à la morgue et il est catégorique: ce cadavre est bel et bien celui du garçon qui a récemment séjourné sur son terrain de camping.

Ainsi, dans les jours suivants, les différents journaux rapportent que les policiers se sont lancés à la poursuite de témoins importants, se déplaçant dans deux automobiles immatriculées aux États-Unis, et partis en direction de Québec, puis ensuite en Ontario, et qu'une arrestation est imminente.


La Patrie, 4 juillet 1933

Le 7 juillet, le journal La Presse révèle l'identité des suspects recherchés: il s'agit de la famille Waterforth dont un des enfants, Johnny, a été identifié comme le cadavre repêché. L'article donne de nombreux détails sur les différents membres de la famille.


La Presse, 7 juillet 1933

Suite à la parution de cet article, la famille, dont le nom est en fait Waterworth, est retrouvée à Sainte-Cunégonde. Petit détail embarrassant: le jeune David Waterworth, 12 ans, qui ressemble effectivement au défunt, n'est pas mort du tout!


La Patrie, 8 juillet 1933

La famille Waterworth rencontre les enquêteurs et le propriétaire du camping, mis en présence du petit David Waterworth, confirme qu'il s'agit bien du garçon dont il parlait depuis le début de l'enquête.


La famille Waterworth lors de sa visite aux policiers
(Le Petit Journal, 9 juillet 1933)

Plus d'une semaine après la découverte du cadavre, l'enquête reprend donc à zéro, puisqu'il s'agissait de la seule piste suivie par les enquêteurs chargés du dossier.

L'assistant-inspecteur Armand Brodeur, qui est en charge de l'enquête, croit que l'enfant, originaire des États-Unis, est possiblement décédé de cause naturelle à bord d'un charbonnier, et qu'il aurait ensuite été jeté par-dessus bord, comme les marins ont coutume de le faire lors du décès d'un membre de l'équipage.

Assistant inspecteur Armand Brodeur
(Le Petit Journal, 9 juillet 1933)

Le Dr. Pierre Hébert, coroner-adjoint, déclare toutefois que cette hypothèse de rite funéraire maritime est fort peu crédible: si tel avait été le cas, l'enfant aurait été enveloppé d'un drap et non enfermé dans un sac de jute. De plus, il aurait été jeté en haute mer, et non devant Montréal, à proximité de la berge.

Dr Pierre Hébert, coroner-adjoint
(Le Petit Journal, 9 juillet 1933)

Par la suite, il n'a pratiquement plus été question du petit noyé de Guybourg dans les journaux. Le 26 juillet, La Patrie mentionne que les enquêteurs attendent l'arrivée prochaine de certains navires océaniques qui se trouvaient dans le secteur au moment du décès de l'enfant, et qu'ils espèrent éclaircir le mystère en interrogeant les membres de l'équipage. Le 8 août, un entrefilet signal la présence d'un certain nombre de cadavres non-identifiés à la morgue de Montréal, y compris celui du jeune garçon trouvé dans le fleuve près de Guybourg.

Il semble donc que le mystère n'ait jamais été éclairci.

Yves Pelletier


À lire également:

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  • En 1934, à Québec, Rosaire Bilodeau abat six personnes et en blesse gravement deux autres.
  • En 1935, le jeune commis Armand Nadeau est assassiné lors d'un hold up à Hull.