Le 4 avril 1957, Herbert Norman, ambassadeur du Canada en Égypte, se rend à l'édifice qui abrite l'ambassade de Suède au Caire. Il prend l'ascenseur jusqu'au septième étage et, après avoir enlevé sa montre et ses lunettes, il saute dans le vide. On trouvera dans ses poches une note adressée à sa femme, griffonnée sur
une feuille de papier à en-tête de l'ambassade: "Je n'ai plus d'espoir". Il avait 47 ans.
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La Presse, 4 avril 1957 |
La raison de son geste désespéré: l'acharnement d'un sous-comité du sénat américain qui l'avait publiquement accusé d'être un communiste. Les premières accusations avaient été formulées en août 1951, alors que Norman était chef intérimaire de la délégation canadienne aux Nations Unies. Lester B. Pearson, alors ministre des affaires étrangères du Canada, avait immédiatement pris la défense du haut fonctionnaire, affirmant que le gouvernement canadien avait déjà enquêté sur ces allégations et qu'elles s'étaient révélées non-fondées.
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La Patrie, 17 août 1951 |
Le même sous-comité du Sénat américain était toutefois revenu à la charge en mars 1957, et le ministre Pearson avait réitéré sa confiance envers l'ambassadeur Norman. "Je n'ai rien à dire pour le moment à l'égard de ce rapport, sauf qu'il semble se faire l'écho de rumeurs, soupçons et calomnies que nous avons entendus pendant des années, et que nous avons rejetés comme dénués de tout fondement." (La Patrie, 15 mars 1957)
Suite à son décès d'Herbert Norman, le ministre Pearson ainsi que John Diefenbaker, chef de l'opposition, lui rendent hommage à la Chambre des Communes.
"Comme il est facile à comprendre, M. Norman avait été profondément attristé qu'un ou deux individus de Washington ressuscitent certaines accusations anciennes au sujet de sa fidélité à l'État, accusations qu'une minutieuse enquête avait détruites il y a plusieurs années. Il se peut que les motifs de ces attaques répétées soient difficiles à démêler, mais les moyens employés ne dégradent que ceux qui y recourent." (Lester B. Pearson, Ministre des affaires extérieures du Canada, La Presse, 4 avril 1967)
"Je suis profondément ému de la mort de M. Herbert Norman. Le Canada perd beaucoup en étant privé de la connaissance particulière des affaires asiatiques que possédait ce dévoué serviteur de l'État. Sa mort semble devoir être attribuée au penchant de certains inquisiteurs de Washington à la chasse aux sorcières. Ces derniers, manquant de victimes locales, ont été poussés à salir et à condamner des fonctionnaires canadiens comme ils avaient fait pour leurs compatriotes. Si désirable qu'il soit de défendre notre liberté contre le communisme, voici encore une preuve que le procès sur les soupçons, la condamnation par insinuation ont de terribles résultats pour la vie de ceux qui y sont exposés." (John Dienfenbaker, chef de l'opposition, La Presse, 4 avril 1967).
Le suicide de l'ambassadeur fait évidemment scandale au Canada, mais également aux États-Unis.
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La Patrie, 10 avril 1957 |
"Le New York Times écrit que le décès de l'ambassadeur canadien au Caire est une "honte pour le gouvernement et pour le peuple américain". Dans un éditorial rédigé très sévèrement, le St. Louis Post Dispatch a demandé: "Est-ce que les enquêteurs, dans leur désir d'attirer l'attention publique, ne voient pas les responsabilités de leurs gestes?" Et il ajoute: "Chaque Américain ayant une once de pudeur peut et doit avoir honte du rôle du sous-comité dans cette affaire." (La Patrie, 10 avril 1957)
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La Patrie, 10 avril 1957 |
"Le président Eisenhower a déclaré aujourd'hui que le suicide du diplomate canadien Herbert Norman lui a causé un profond chagrin et a exprimé l'espoir que les Canadiens comprennent à quel point les États-Unis désirent conserver leur respect et leur amitié." (La Patrie, 10 avril 1957).
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Le Devoir, 11 avril 1957 |
Le 11 avril, le ministre Pearson menace les États-Unis d'interrompre la transmission de renseignement sur la sécurité touchant les citoyens canadiens. "Il est intolérable, a-t-il dit, que les citoyens soient harassés par une agence d'un gouvernement étranger. Le gouvernement canadien est parfaitement en mesure d'examiner les questions de sécurité qui le regardent et qui ne relèvent certainement pas de quelque sous-commission d'un autre pays." (Le Devoir, 11 avril 1957)
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L'Action Catholique, 24 mai 1957 |
Le 24 mai 1957, pendant la campagne électorale qui entraînera l'élection de John Diefenbaker, Pat Walsh, secrétaire-trésorier de la Ligue anticommuniste pancanadienne, prétend que Herbert Norman ne s'est pas suicidé.! "Il a ajouté que le gouvernement a peur de faire cette révélation parce que ce serait une bombe électorale. Nous savons, dit-il, que Norman a été précipité dans le vide ou amené par hypnotisme à se suicider. Les deux méthodes sont utilisées par la police secrète soviétique." (L'Action Catholique, 24 mai 1957) Cette déclaration semble avoir comme objectif de semer le doute dans la population, à des fins purement partisanes: le gouvernement libéral protégerait volontairement de dangereux communistes, il faut donc voter pour les conservateurs...
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La Presse, 1er avril 1990 |
En 1990, le ministre Joe Clark dépose à la chambre des communes un rapport rédigé par Peyton Lyon, politicologue à l'université Carleton, qui confirme que Herbert Norman n'était pas un espion à l'emploi de l'Union soviétique. Quelques années plus tôt, James Barros de l'Université de Toronto avait affirmé le contraire dans son livre "No Sense of Evil: The Espionage Case of E. Herbert Norman".
Yves Pelletier
"L'homme qui aurait pu être", un excellent documentaire sur l'affaire Herbert Norman, peut être visionné sur le site de l'ONF.
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- Une autre occasion de friction entre le Canada et les États-Unis: le coulage de la goëlette I'M Alone en 1929.
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- Effondrement du pont Duplessis (1951)
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