La première promenade en automobile de l'histoire de Montréal ne passa pas inaperçue, puisqu'elle fut annoncée à l'avance dans les journaux:
"Montréal verra aujourd'hui, pour la première fois, une voiture automobile fouler l'asphalte de ses rues. À 4 heures, M. U. H. Dandurand, propriétaire du véhicule et agent pour tout le Canada, accompagné`de Son Honneur le maire de Montréal et d'une couple d'autres citoyens marquants, fera une promenade à travers la ville dans la voiture nouveau genre. M. Dandurand a fait l'essai de son automobile, et il dit qu'il fonctionne à merveille." (La Presse, 21 novembre 1899)
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La Patrie, 22 novembre 1899 |
L'agent d'immeubles Ucal-Henri Dandurand, est généralement considéré comme le premier automobiliste montréalais. D'autres québécois, toutefois, l'avaient devancé: comme nous l'avons déjà raconté dans un précédent article, le Dr. Henri-Edmond Casgrain, dentiste de Québec, roulait dans sa voiturette Bollé depuis juin 1897. C'est aussi en 1897 que le très débrouillard George Foote Foss a roulé dans les rues de Sherbrooke au volant de l'automobile...qu'il avait lui-même fabriquée!
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Ucal-Henri Dandurand (La Presse, 15 juillet 1908) |
Notons également le que titre de "premier automobiliste montréalais" de monsieur Dandurand est parfois mis en doute. Dans Le Bulletin des Recherches Historiques de mars 1924, on peut lire:
"À Montréal, les automobiles firent leur apparition au printemps de 1898. Les deux premiers furent achetés aux États-Unis par MM. L.-C. Rivard et A. Guillet. Le troisième automobile fut amené à Montréal par M. U. - H. Dandurand."
Cette thèse est également reprise en 1982 dans la revue historique "Nos Racines" numéro 119:
"À Montréal, un grand amateur de publicité, Ucal-Henri Dandurand, acheta sa Walthan à vapeur au mois de novembre 1899. Il fit un tel tapage qu'on a cru et qu'on croit encore, qu'il est le premier Montréalais à avoir possédé et conduit une voiture automobile. C'est faux et, à ce chapitre, l'honneur revient à messieurs L.-C Rivard et E. Guillet. Leurs deux voitures, des américaines, ont roulé dans la boue au printemps 1898."
Malheureusement, il semble difficile de trouver plus d'informations sur les promenades en automobile de ces messieurs Rivard et Guillet, qui semblent avoir été beaucoup plus discrets que U. H. Dandurand. L'Étoile du Nord du 10 mai 1900 mentionne bien l'arrivée à Joliette d'une automobile conduite par Lewis C. Rivard, gérant de la manufacture de tabac, ce qui démontre au moins qu'il a été propriétaire d'une automobile à la même époque que Dandurand.
Revenons donc à cette promenade en automobile ultra-publicisée, effectuée par Ucal-Henri Dandurand dans les rues du centre-ville de Montréal le 21 novembre 1899:
Hier après-midi, le premier automobile est passé par nos rues principales, et l'expérience a été couronnée de succès. (...)
La
machine est aussi facile à conduire qu'une bicyclette, sans que l'on
ait à la maintenir en équilibre. Elle peut rouler à 22 allures
différentes.
Elle conserve à peu près la même vitesse en gravissant
une côte qu'en marchant sur un terrain plat. Les descentes de côtes
s'opèrent sans difficulté grâce à un frein à air dont elle est munie.
Hier après-midi, l'on est monté par la côte de la rue Windsor et descendu par celle du Beaver Hall.
La
machine, poussée à toute vitesse, peut atteindre une allure de 2
minutes au mille, mais sur la route, sa vitesse ordinaire est de 15
milles à l'heure.
(La Patrie, 22 novembre 1899)
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U.H. Dandurand et le maire Raymond Préfontaine La Patrie, 25 novembre 1899 |
Pour Dandurand, cette démonstration publique n'est pas qu'une simple activité récréative puisque, avec son associé J. A. Corriveau, il espère bien vendre un grand nombre d'automobiles à ses concitoyens.
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Publicité dans La Presse 14 avril 1900 |
La voiture conduite par Dandurand est un véhicule à vapeur de marque Waltham fabriqué aux États-Unis dans les ateliers de la New England Motor Carriage Company. En plus d'un réservoir de "gazoline" de 6,5 gallons, la voiture est équipée d'un réservoir d'eau de 16 gallons, ce qui lui permet en principe de rouler sur une distance d'environ 100 milles (l'essence sert à chauffer l'eau, dont la vapeur actionne le moteur).
"Il faut dire que la voiture avait grande allure. La carrosserie était de coeur de chène, les roues étaient de broche fine et elle était montée haut sur pattes comme un héron. Hélas! elle était d'une nudité indécente: pas de phares, ni klaxon, ni pare-chocs, ni toit, ni pare-brise." (Henri Dandurand, Perspectives 5 janvier 1963)
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La famille Dandurand dans la Waltham en 1899 (Le Petit Journal, 3 juin 1956) |
Le service après-vente est impressionnant:
"Quand M. Dandurand acheta cette voiture, la compagnie Waltham délégua à Montréal un expert de la manufacture qui séjourna ici trois mois, pour apprendre à M. Dandurand comment l'auto fonctionnait." (Le Petit Journal, 3 juin 1956)
La Waltham se révèle toutefois tellement peu fiable que Dandurand la retourne au fabriquant après seulement 3 mois d'utilisation. Il fait ensuite l'acquisition de quelques autres automobiles tout aussi insatisfaisantes, jusqu'à ce qu'il devienne propriétaire d'une De Dion-Bouton de fabrications française en 1903: il s'agit de sa cinquième automobile en quatre ans! Cette-fois, il est pleinement satisfait; il utilise cette voiture jusqu'en 1910.
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Publicité dans Le Journal, 29 septembre 1902 |
L'album Universel du 9 mai 1903 publie, au sujet de cette nouvelle acquisition, un article dithyrambique aux allures de publi-reportage:
"M.
Dandurand possède aujourd'hui l'un des automobiles les plus
perfectionnés, non seulement du continent, mais du monde entier. Cette
voiture est sortie des ateliers de la maison De Dion Bouton, qui est de
beaucoup la plus importante manufacture d'automobiles de l'univers.
L'automobile
en question pèse 800 livres et est mû par un pouvoir de six forces de
chevaux. La transmission du pouvoir est directe et elle se fait sans
l'intermédiaire d'aucune chaîne.
L'automobile perfectionné dont M.
Dandurand se sert tous les jours est pourvu d'un triple frein, ce qui en
rend le contrôle très facile. Il est mû par une espèce de pétrole
vaporisé, avec combinaison électrique. Il n'a coûté que $1500, mais on
ne pourrait acheter un automobile du même modèle aux États-Unis à moins
de $2000 ou $2500." (Album Universel, 9 mai 1903)
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U. H. Dandurand au volant de sa De Dion-Bouton (Album Universel, 9 mai 1903) |
La De Dion-Bouton de Dandurand figure maintenant dans la collection du Musée du Chateau Ramezay. Elle a été restaurée en 1955.
À sa mort, M. Dandurand donna cette voiture au Château de Ramezay. Elle demeura dans le même état jusqu'à l'automne dernier, alors qu'un industriel décida de la remettre à neuf. La vieille voiture a `été repeinte. Des pneus spéciaux ont été trouvés chez un antiquaire d'Angleterre. (Le Petit Journal, 3 juin 1956)
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La De Dion-Bouton de Dandurand, exposée au Château Ramezay |
En 1904, Ucal-Henri Dandurand se présente aux élections municipales dans l'espoir de devenir maire de Montréal. Ses détracteurs s'amusent à déclarer qu'il ne suffit pas de posséder une automobile pour devenir maire.
"L'autre candidat fut M. U. H. Dandurand, un certain individu dont la seule gloire fut de posséder un automobile. À part cela, il était absolument inconnu du public en général." (L'étoile du Nord, 4 février 1904)
"M. U. H. Dandurand a produit son bulletin de présentation, il est vrai, mais le public se demande s'il est réellement un candidat sérieux ou un candidat pour rire. Nous croyons pour notre part que le seul désir de M. Dandurand est de se faire connaître comme agent d'immeubles et d'automobiles. Il serait, en tous cas, curieux de connaître quels sont ses titres à la mairie, ses états de service à l'Hôtel de Ville." (Le Prix Courant, 22 janvier 1904)
"L'argent
est sans doute une graisse excellente, mais M. Dandurand n'en trouvera
jamais assez pour graisser à point les roues de son automobile qui devra
rester en panne au bas de cette côte abrupte qui mène à la mairie."
(Le Rappel, 18 octobre 1903)
"Depuis un an ou deux, il était parvenu à la notoriété, grâce à son
inévitable automobile. Dandurand et son automobile étaient connus de
tout Montréal comme naguère Forget et son violon. Seul, il ne riait pas,
et se prenait au sérieux, car il sentait son gousset gonflé d'assurance
et de billets de banques."
(Le rappel, 24 janvier 1904)
C'est finalement Hormidas Laporte qui devint maire de Montréal en 1904.
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Le Combat, 17 janvier 1904 |
Yves Pelletier (Facebook, Mastodon)
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