Quadruple meurtre chez les Nulty (1897)

Le 4 novembre 1897 à Rawdon, Thomas Nulty, 21 ans, assassine à coup de hache trois de ses soeurs ainsi que son frère.

 

La Presse, 5 novembre 1897
 

La famille Nulty 

La famille Nulty est installée sur une modeste terre agricole située à l'écart du village de Rawdon, dans Lanaudière. Sept personnes s'entassent dans une minuscule maison: 

  • le père, Michael Nulty, un anglophone de 58 ans, descendant d'immigrants irlandais
  • sa seconde femme, Émilie Ricard, une canadienne française de 52 ans
  • leur fils Thomas, célibataire de 21 ans, un bon vivant, reconnu dans la région pour ses talents de danseur et de violoneux 
  • leur fille Elizabeth, 17 ans 
  • leur fille Annie, 14 ans
  • leur fille Ellen, 11 ans 
  • leur fils Patrick, le petit dernier, âgé de 9 ans. 
Émilie Ricard, Michael Nulty et Thomas Nulty

Des frères et des soeurs plus âgés ont maintenant quitté le foyer familial mais, malgré tout, la maison est bien petite pour abriter ces 7 personnes, qui dorment tous dans la même pièce, au grenier.

La famille Nulty vit très pauvrement, isolée de la société. Aucun des enfants ne sait lire. L'année précédente, le curé Frédéric-Alexandre Baillargé a été atterré de constater qu'Elizabeth, alors âgée de 16 ans, n'avait toujours pas fait sa première communion et était incapable de répondre aux questions les plus simples concernant la religion catholique. Du point de vue de cet intellectuel, ancien professeur de philosophie, les parents Nulty sont des irresponsables qui laissent leurs enfants se comporter en sauvages.

Quatre cadavres 

Dans l'après-midi du 4 novembre 1897, André Morin, marchand de Chertsey, se rend chez les Nulty afin de percevoir un montant d'argent qui lui est dû. Sur les lieux, il aperçoit, entre la maison et la grange, le corps inerte et ensanglanté d'une jeune fille.

Domicile des Nulty (Le Samedi, 4 décembre 1897)
 

Ne voyant personnes aux alentours, Morin s'empresse d'aller alerter des voisins, dont Albert Lasalle, et retourne avec eux sur la terre des Nulty. Ils constatent alors que le cadavre qu'avait aperçu Morin est celui d'Annie Nulty, qui présente une blessure béante au cou.  Lasalle frappe à la porte de la maison, mais personne ne répond­. Morin regarde par la fenêtre et voit que d'autres corps ensanglantés se trouvent à l'intérieur.

À l'intérieur de la maison (Le Samedi, 4 décembre 1897)

Albert Lasalle prend la direction du village de Rawdon afin d'avertir les autorités; en chemin, il croise Michael Nulty et sa femme, qui reviennent tranquillement de Sainte-Julienne, où ils étaient allés faire quelques achats.  Lasalle les avise que quelque chose de grave est survenu chez eux pendant leur absence.

Arrivés chez eux, les parents Nulty voient immédiatement le cadavre de leur fille Annie. Désespérés, ils entrent dans la maison et y trouvent, de part et d'autre du poêle à bois, les corps ensanglantés d'Ellen et Patrick, leurs deux plus jeunes enfants. Une hache ensanglantée, propriété de la famille Nulty, laisse peu de doutes sur la façon dont les quatre enfants ont été tués.

Mais où est donc Elizabeth, à qui ils avaient donné la responsabilité de veiller sur les plus jeunes? Ils découvrent bientôt son cadavre dans la grange. 

Thomas Nulty, le plus vieux des garçons, n'arrive que vers minuit, après avoir rendu visite à sa demi-soeur Marguerite, épouse d'Alexandre Poudrier. Dans la maison familiale, les corps inertes de son petit frère et de ses trois soeurs sont exposés côte à côte, sur une planche.

Le père Nulty et Mme Tracy (une voisine) remarquent que Tom semble inexplicablement indifférent lorsqu'on lui apprend la tragédie qui a frappé les jeunes membres de sa famille. 

Les quatre victimes: Elizabeth, Annie, Ellen et Parick Nulty.

Des aveux

Qui a pu commettre un crime aussi affreux, et pourquoi? Différentes théories sont ébauchées. Un désaxé aurait peut-être tué Elizabeth après l'avoir violée, puis aurait ensuite éliminé les témoins potentiels? Mais est-il concevable qu'une personne seule soit parvenue à éliminer ces quatre solides enfants, sans qu'un seul d'entre eux ne parvienne à s'échapper? Un vieux vagabond est arrêté, pour la simple raison qu'il n'est pas du coin, mais on arrive rapidement à la conclusion qu'il n'a rien à voir avec ce crime.

Le détective montréalais Kenneth Peter McCaskill est appelé sur les lieux; nous avons déjà parlé de lui dans l'article concernant le meurtre d'Isidore Poirier à Saint-Canut

Le détective K. P. McCaskill

Assez rapidement, McCaskill détecte des contradictions dans le témoignages de Thomas Nulty. Le récit de son emploi du temps le jour du meurtre est partiellement contredit par d'autres témoins qui l'ont aperçu à proximité de la maison familiale à des moments où ils prétendait être ailleurs.

Confronté par McCaskill, Thomas Nulty tente tant bien que mal de modifier sa version des faits, mais finit par avouer qu'il est bel est bien la personne qui a exécuté son frère et ses trois soeurs à coups de hache! 

 

La Patrie, 8 novembre 1897

Nulty raconte qu'en revenant de chez sa demi-soeur Marguerite, il est entré dans la maison, a accroché son manteau, puis est ressorti dehors avec la hache afin de couper un peu de bois. Voyant sa soeur Élisabeth se diriger vers la grange afin de nourrir les animaux, il l'a suivi et, sans raison particulière,  sans la moindre préméditation, il l'a tuée d'un coup de hache alors qu'elle lui tournait le dos. 

Lorsqu'il est ressorti de la grange, il a croisé Annie, mais ne se souvient pas l'avoir frappée. Il a repris ses esprits un peu plus tard; il se trouvait à l'intérieur de la maison, et a été horrifié de constater qu'il avait assassiné son petit frère Patrick.

Après le carnage, Tom Nulty est reparti à pied à travers les bois et, comme si de rien n'était, est allé visiter Rose Lespérance, 18 ans, qu'il courtisait ardemment depuis deux semaines.


Inhumation des quatre victimes
(La Presse 12 novembre 1897)

 

Mais pourquoi?

Tom Nulty jure que son geste, perpétré sans complices, n'était nullement prémédité. D'ailleurs, il adorait ses soeurs et son frère (tous les témoins ont confirmé qu'effectivement, il s'était toujours très bien entendu avec eux). Il aurait agi sous l'impulsion d'une soudaine crise de folie. 

Cette explication est bien possible, mais l'enquête permet d'envisager une deuxième possibilité. Dans les jours précédents, Thomas Nulty a fait part à sa mère ainsi qu'à sa demi-soeur Marguerite de son désir de se marier. Depuis deux semaines, il s'intéresse beaucoup à Rose Lespérance. Mais il est toujours amoureux de Marcelline L'Heureux, qui est partie aux États-Unis deux mois auparavant. Puisque Tom est analphabète, c'est une amie qui rédige en son nom des lettres d'amour adressées à Marcelline.

La Patrie, 8 novembre 1897
 

Toutefois, la mère de Nulty lui a clairement fait savoir que s'il veut prendre épouse, il devra emménager ailleurs: pas question de nourrir et d'héberger une personne supplémentaire dans la minuscule maison paternelle, dans laquelle ils sont déjà beaucoup trop nombreux!  

Serait-ce possible que Thomas Nulty ait froidement éliminé les quatre plus jeunes membres de sa famille dans le simple but de faire de la place pour sa future épouse?

La question est importante, car le meurtrier risque la peine capitale, à moins que son avocat parvienne à convaincre le jury qu'il n'était pas sain d'esprit au moment du crime. 

Le procès

Le procès de Thomas Nulty s'ouvre à Joliette le 18 janvier 1898 devant le juge Charles-Chamigny de Lorimier (neveu du célèbre patriote Chevalier de Lorimier).  

Le juge C. C. De Lorimier (Le Samedi, 19 février 1898)
 

Interrogé par la défense, Michael Nulty déclare que son fils avait fréquemment de violents maux de tête, qu'il saignait du nez, qu'il avait parfois des hallucinations et des étourdissements, qu'il pouvait sembler ivre alors qu'il n'avait pas bu.

Deux médecin appelés par la défense déclarent que certains des comportements de Tom pourraient être de nature épileptique, ce qui expliquerait qu'il aurait commis les meurtres de façon automatique et inconsciente.

La poursuite réplique en faisant défiler de nombreux témoins qui n'ont jamais rien remarqué d'inhabituel dans le comportement de Tom Nulty, ainsi que des médecins qui ne croient pas que ce crime ait pu être commis pendant une crise d'épilepsie.

Lors de son adresse aux jurés, le juge Delorimier déclare qu'en cas de doute concernant la santé mentale de l'accusé, il faut supposer qu'il était sain d'esprit. On ne peut l'acquitter pour cause de maladie mentale que si cette maladie a été prouvée hors de tout doute raisonnable.

Après une courte délibération, le jury déclare que Thomas Nulty est coupable des meurtres d'Elizabeth , Annie, Ellen et Patrick Nulty. Le juge de Lorimier le condamne à être pendu. 

 

La Presse du 5 février 1898 annonçant
le verdict en première page

Les avocats de Nulty adressent un recours en grâce au Comte Aberdeen, gouverneur général du Canada, dans l'espoir que la peine de leur client soit commuée.

Le projet d'évasion

Mais tous les espoirs d'obtenir un pardon sont annihilés le 13 avril 1898, quand on apprend que Thomas Nulty projetait de s'évader de la prison de Joliette en tuant son gardien Arthur Turcotte à coup de pic!  

 

La patrie 13 avril 1898

Nulty a été trahi par un autre prisonnier, Venance Houle, qui a questionné Nulty pendant qu'Arthur Turcotte écoutait discrètement leur conversation. 

Nulty explique que la prochaine fois qu'Arthur Turcotte viendra seul dans son cachot, il le frappera au moyen du pic qu'il cache dans sa cellule. Il descendra ensuite les escaliers et, si la femme de Turcotte s'y trouve, il la frappera également à coups de pic, puis s'enfuira de la prison.

Arthur Turcotte, assistant geôlier de la prison de Joliette
(La Presse, 13 avril 1898)

 Nulty évoque aussi la possibilité de mettre le feu à sa paillasse, et profiter de la fumée et de la confusion pour s'évader.

Suite à ces révélations, la cellule de Thomas Nulty est soigneusement fouillée, et on trouve effectivement le pic (un outil servant à travailler le bois, qui avait servi de pièce à conviction dans un récent procès) dans le réservoir du cabinet d'aisance. On profite de l'occasion pour lui confisquer ses allumettes.

La pendaison 

 

La Patrie, 20 mai 1898

Thomas Nulty est pendu le 20 mai 1898 à 9 heures du  matin. 

Le jour de son exécution, les journaux publient une lettre dictée par Nulty, dans laquelle il avoue que son crime était prémédité:

"Avant de mourir, je tiens à déclarer publiquement que je suis coupable du crime pour lequel j'ai été condamné; j'en demande pardon de tout coeur au Dieu infiniment miséricordieux qui, je l'espère, sera touché de mon repentir et aura pitié de moi. J'en demande pardon à ma famille que j'ai plongée dans le deuil et l'affliction. J'en demande aussi pardon à la société que j'ai grandement scandalisée.
Je désire aussi donner le mobile de mon crime afin de calmer tout à fait la conscience de ceux qui ont eu le pénible devoir de me condamner. Je voulais absolument me marier, et, afin d'avoir de la place dans la maison de mon père pour ma femme et moi, je n'ai pas reculé devant le meurtre de quatre innocentes victimes que j'aimais pourtant et, je les ai sacrifiées à ma passion. Réunissez, Seigneur, dans un même séjour de lumière d'amour et de paix ceux qui, ici-bas, n'auraient dû avoir qu'un coeur et qu'une âme.
J'ai pensé plus d'une fois à mon acte monstrueux avant de l'accomplir. Toutefois, je déclare que personne ne m'a conseillé, soit directement, soit indirectement de faire ce que j'ai fait. J'accepte maintenant la mort comme une peine méritée et comme une expiation. Je remercie tous ceux qui se sont montrés si bons pour moi, ceux qui m'ont instruit de mes devoirs, qui m'ont visité (en particulier Sa Grandeur Mgr Bruchesi) consolé, fortifié, dans mes derniers moments, et je leur demande de prier encore pour le pauvre pécheur qui va bientôt paraître devant son Juge.
Encore une fois, à tous pardon, merci, ayez pitié. Jeunes gens, que mon triste sort vous soit un avertissement. Voyez où mène le vice. Je prie le Rév. M. I. Clairoux, mon directeur spirituel de publier cette confession, après ma mort. Puisse cette confession que je fais bien librement, mais aussi bien humblement, me mériter de Dieu, de ma famille et de la société le pardon que je sollicite.

Prison de Joliette, 20 mai au matin 1898

(Signé) Tom Nulty

Témoins: A.M. Rivard, Shérif, J. Turcotte, geolier, J.H.A. Turcotte, ass.-geôlier, I. Clairoux, ptre. "   (La Presse, 20 mai 1898) 


Pendaison de Thomas Nulty (La Presse, 20 mai 1898)

Un automne sanglant

Les reporters judiciaires québécois ont été très occupés en novembre 1897. Environ 3 semaines après les assassinats de Rawdon, Cordélia Viau et Sam Parslow furent accusés d'avoir tué Isidore Poirier au moyen d'un couteau de boucherie. Le premier procès de Cordélia Viau s'est déroulé en janvier 1898, en même temps que celui de Thomas Nulty. Tout comme Tom Nulty, Viau et Parslow ont été trouvés coupables et pendus par le bourreau Radclive.

Yves Pelletier (Facebook, Mastodon)


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