Meurtre d'Armand Nadeau à Hull (1935)

Le 4 décembre 1935, c'est la consternation à Hull: Armand Nadeau, un jeune commis de la Banque Provinciale, est abattu par des voleurs qui dérobent le sac rempli d'argent qu'il transportait à Ottawa. Son collègue Paul Lafleur, qui conduisait l'automobile, a aussi été blessé. 

Le Droit, 4 décembre 1935

Les journaux du 4 et du 5 décembre 1935 relatent le témoignage de Paul Lafleur, 29 ans, commis-payeur à l'emploi de la succursale de la Banque Provinciale située sur la rue Principale à Hull. Il raconte que lui et son jeune collègue Armand Nadeau avaient été chargés par la banque de transporter une forte somme d'argent ( $16 610) vers une autre succursale située à Ottawa. Ils étaient partis vers 10h15, dans la voiture personnelle de Lafleur. Paul Lafleur conduisait l'auto, et Armand Nadeau était assis à sa droite sur le siège avant. Comme c'était l'habitude pour ce genre d'opération, ils avaient en leur possession un revolver de calibre 38 fourni par leur employeur.

Alors que leur automobile était immobilisée à un feu rouge à l'intersection des rues McKenzie et Saint-Patrice, un inconnu sorti d'une autre voiture s'était engouffré par la porte arrière de l'auto de Lafleur. En les menaçant d'un revolver, il leur avait ordonné de rebrousser chemin, puis de se diriger vers un chemin peu fréquenté dans un boisé de Pointe-Gatineau, où Lafleur avait immobilisé sa voiture. À cet endroit,  l'inconnu avait attaché Lafleur à son volant et lui avait bandé les yeux. Horrifié, Lafleur avait ensuite entendu des coups de feu, et senti Armand Nadeau tomber à la renverse, en plus de ressentir une vive douleur à l'épaule.

Il avait entendu le voleur déguerpir dans l'auto de son complice, qui les avaient suivis. Après un certain temps, Lafleur était parvenu à défaire de ses liens, et il avait couru jusqu'à la route principale pour alerter des passants.

Les agents de la police de Hull qui arrivèrent sur les lieu un peu plus tard constatèrent qu'Armand Nadeau était gravement blessé à la tête. Paul Lafleur avait un bras ensanglanté. Complètement paniqué, il criait que des bandits les avait volés, et avaient abattu son ami.

Nadeau et Lafleur furent conduits à l'Hôpital Sacré-Coeur de Hull, où Armand Nadeau mourut quelques heures plus tard. L'autopsie démontra qu'il avait été atteint à la tête par trois balles de calibre 38 tirées à bout portant. Quant à Lafleur, il avait été légèrement blessé à l'épaule par une des balles qui avait traversé la tête de Nadeau.

Compte tenu de la gravité du crime, la police municipale de Hull fait appel à la Police Provinciale. Paul Lafleur, le seul témoin du crime, est conduit à Montréal pour être interrogé par le chef Louis Jargaille de la Police Provinciale.

Les choses se précipitent: le 9 décembre, moins d'une semaine après le crime, la police annonce avoir abattu l'assassin de Nadeau, en plus d'avoir arrêté plus d'une dizaine de ses complices. La police est également à la recherche d'un fuyard nommé Albert Herman Laroche, alias Larocque, qui a joué un rôle important dans l'organisation du braquage. 


La Presse, 9 décembre 1935 (l'homme sur la photo est le fuyard Albert Herman Laroche)

L'homme qui a tué Armand Nadeau était un dangereux criminel activement recherché aux États-Unis, où il avait perpétré de nombreux vols de banque. Âgé de 41 ans, il était connu sous diverses identités:  Nathan Martin, Ted Montin , Nathan Boverman... Le sergent détective Albert Marineau, qui avait reçu le mandat de mettre Nathan Martin en état d'arrestation, fut forcé de l'abattre pour sauver sa propre vie.

Parmi les personnes arrêtées, nous retrouvons nul autre que Paul Lafleur, l'employé de la banque qui accompagnait Armand Nadeau au moment du drame! Un détail important que Paul Lafleur avait omis de mentionner lors de sa description des événements, c'est qu'il était de mèche avec les criminels qui avaient organisé le cambriolage: on lui avait promis $1500 pour laisser la porte arrière déverrouillée et se laisser voler sans offrir de résistance. 

Une dizaine de personnes de Hull, d'Ottawa et de Montréal ont été impliquées de près ou de loin dans l'organisation du braquage.  Elles ont toutes maintenu qu'il n'avait jamais été question que quelqu'un soit tué à cette occasion. Puisque Paul Lafleur, le conducteur de l'auto transportant l'argent, était complice, il était entendu que l'argent serait volé "pacifiquement", sans la moindre violence.

Le jeune Armand Nadeau, toutefois, n'était nullement impliqué dans ce vol. Les auteurs du crime ont considéré qu'il était "trop jeune" pour offrir une résistance au cambriolage (malgré le fait qu'il avait accès à un revolver fourni par la banque!).

Les deux instigateurs du vol sont Joseph Rochon (36 ans), ex-gérant d'un "club de cartes" d'Ottawa, et Georges Chénier (21 ans), ex-employé de la Banque Provinciale. Quelques mois plus tôt, Chénier était lui-même responsable de transporter l'argent de la banque, mais il avait été congédié en septembre.

Georges Chénier s'était assuré de la complicité de deux employés de la banque: Paul Lafleur et Jean-O. Beausoleil (23 ans). Chénier, Lafleur et Beausoleil étaient de bons amis de Nadeau (Beausoleil était même son co-chambreur); ils n'avaient pas prévu que leur cupidité entraînerait la mort de leur ami.
Chénier était le seul responsable des communications avec les deux complices de la banque: Lafleur et Beausoleil n'ont jamais rencontré Rochon.

Joseph Rochon, de son côté, a confié l'organisation du braquage à quelqu'un qui s'y connaissait mieux que lui: Albert Herman Laroche (alias Larocque). Laroche aurait à son tour délégué les opérations à Edmond "Eddie" Lajoie, 43 ans, de Montréal.

Lajoie se serait occupé de recruter Nathan Martin, sachant qu'il avait de l'expérience dans les vols de banque. La veille du crime, Lajoie et Martin se sont présentés chez Charles Donnelly (27 ans), aux Cèdres, près de Montréal, et lui ont offert de participer à un hold up sans violence: le rôle de Donnelly consistait à se rendre à Ottawa en auto en compagnie de Nathan Martin, puis de suivre l'auto utilisée par les employés de la banque jusqu'à ce que le vol soit terminé. Edmond Lajoie est ensuite retourné chez lui.

Le jour du crime, c'est donc Nathan Martin qui est entré dans l'auto de Lafleur en les menaçant de son revolver, alors que Charles Donnelly suivait dans un deuxième véhicule.

Une fois arrivé dans un chemin retiré de Pointe-Gatineau, Nathan Martin s'est énervé: jugeant qu'Armand Nadeau le regardait avec trop d'attention (et qu'il pourrait ainsi l'identifier), il lui tira 3 balles dans la tête. Il repartit dans l'auto conduite par Donnelly avec, en sa possession, le lourd sac de cuir contenant l'argent. Donnelly a reconduit Nathan Martin chez Joseph Rochon à Ottawa, puis est retourné chez lui aux Cèdres. 

Joseph Rochon vit donc arriver à son domicile cet homme armé et violent, qu'il n'avait jamais rencontré auparavant, et qui lui révéla avoir tué un des deux commis de la banque.  Julien Chapdelaine, qui habitait le même immeuble, s'occupa de faire disparaître l'arme du crime ainsi que le sac de cuir qui avait été vidé de son contenu (le sac et le revolver furent trouvés un peu plus tard dans une cours à bois de J.R. Booth à Ottawa, tout près du domicile de Rochon).  Le lendemain, Nathan Martin exigea que Laura Côté, la conjointe de Rochon, le conduise jusque chez Donnelly, aux Cèdres. Donnelly a hébergé Nathan Martin pendant une nuit, puis l'a reconduit jusqu'à son domicile à Montréal.  

Entre-temps, les policiers étaient parvenu à récolter de précieuses informations grâce aux interrogatoires de Lafleur, de Beausoleil et de Chénier qui, horrifiés de la mort de leur ami, avouèrent assez rapidement leur implication.  Grâce aux indications de Laura Côté, les policiers se rendirent au domicile de Donnelly, qui les mena à son tour au domicile de Nathan Martin.


Le Droit, 30 mars 1936


Au terme d'un long procès de 6 semaines impliquant 93 témoins, 6 personnes furent reconnues coupables d'homicide involontaire:
  • Emond Lajoie: prison à vie
  • Joseph Rochon: prison à vie
  • Charles Donnelly: 25 ans de prison
  • Paul Lafleur: 20 ans de prison
  • Georges Chénier: 15 ans de prison.
  • Jean-O. Beausoleil: 10 ans de prison.

L'Illustration Nouvelle, 31 mars 1936

Même s'il était clair que Nadeau avait été abattu par Nathan Martin, et que les accusés avaient prévu un braquage sans violence, ils furent malgré tout considérés responsables, par complicité,  de la mort de Nadeau.

D'autres complices ont passé quelques mois en prison pour des offenses moins graves: Julien "Chappie" Chapdelaine, Armand Venne et Jeanne Laviolette (pour complicité après le fait),  Lorenzo "Zozo" Tellier et M. Journet dit Colomb (complot pour vol).  Les accusations de complicité après le fait envers Laura Côté ont été retirées après qu'elle ait témoigné pour la couronne lors du procès.

Albert Herman Laroche, alias Larocque, ne fut jamais retrouvé!


À lire également:

  • En 1895, Sarah Jones est sauvagement assassinée à Baskatong

Yves Pelletier (Facebook)

Sources documentaires consultées:  

Journal Le Droit, du 4 décembre 1935 au 27 mai 1936.


Commentaires

Messages les plus consultés de ce blogue

Double meurtre à Saint-Simon (1967)

Incendie criminel à bord du SS Québec (1950)

Drame éléphantesque à Rock Forest (1978)