Le festival pop de Manseau (1970)
Le "Woodstock Pop Festival de Manseau" avait pour objectif de reproduire au Québec un événement musical similaire au festival de Woodstock (qui avait eu lieu l'année précédente). Le résultat a été un flop monumental.
La Tribune, 30 juillet 1970 |
Au début du mois de juin 1970, les organisateurs avaient d'abord annoncé que ce festival aurait lieu à Saint-Édouard de Maskinongé, mais les autorités avaient jugé que l'endroit n'était pas approprié pour un tel rassemblement (on parlait alors de la possibilité que pas moins de 100 000 hippies participent à l'événement).
À la fin du mois de juin, on annonce que le festival aura plutôt lieu à Manseau , une petite localité d'environ 800 habitants située entre Trois-Rivières et Québec, du 31 juillet au 2 août. Le site choisi est une terre agricole située à proximité de la route transcanadienne; cette fois, le gouvernement juge que l'endroit pourrait raisonnablement accommoder une foule de 50 000 personnes. Les billets peuvent être achetés à l'avance au prix de $12, où à l'entrée du site pour la somme de $15 (en dollars d'aujourd'hui, ça correspond à un peu plus de $100).
Publicité pour le Festival de Manseau Montréal-Matin, 9 juillet 1970 |
Billet pour le Festival de Manseau |
Plan du site (Le Nouvelliste, 24 juillet 1970) |
Lors de cette conférence de presse du mois de juin, les organisateurs promettent la présence de grandes vedettes américaines... mais ne précisent pas lesquelles. Dans les semaines qui suivent, la machine à rumeur s'emballe: Jimmy Hendrix, Joe Cocker, Led Zeppelin, Sly and The Family Stone, Little Richard, Canned Heat, Ritchie Havens, The Voices of East Harlem, Paul McCartney, Joan Beaz et d'autres sont tour à tour mentionnés dans les médias.
Dans les jours qui précèdent le festival, on commence à soupçonner que certaines choses ne tournent pas rond. Les frères Filiatrault, qui travaillent à l'organisation du festival, sont recherchés pour fraude: dans le passé, ils auraient récolté de l'argent pour recruter des artistes qui ne se sont jamais présentés. Ziggy Wiseman, également impliqué dans l'organisation du festival, figure sur la liste noire de la Guilde des musiciens car il n'a pas respecté ses contrats avec des artistes dans les années précédentes.
Le Nouvelliste, 31 juillet 1970 |
Lors d'une conférence de presse le 29 juillet (à deux jours du début du festival), Wiseman continue de se montrer évasif sur l'identité des artistes qui se produiront au festival, et il refuse de montrer le moindre contrat aux journalistes présents.
L'agence de sécurité Alliance, qui devait fournier 150 agents de sécurité pour le festival, annule son contrat car elle n'a pas reçu l'argent qu'on lui avait promis. À la dernière minute, on la remplace par l'agence Citadelle, et le gouvernement accepte d'augmenter le nombre de policiers affectés au festival pour compenser la diminution du nombre d'agents de sécurités.
La Presse, 31 juillet 1970 |
Le festival de Manseau débute donc le vendredi 31 juillet 1970, avec beaucoup, beaucoup moins de spectateurs que prévu. Les organisateurs avaient prétendu que 26 000 billets avaient été vendus à l'avance, mais ce nombre sera bientôt révisé à ... 1400. Le spectacle commence avec 3 heures et demi de retard, et ne présente ce soir là que des groupes totalement inconnus, qui jouent dans l'indifférence générale.
Le Nouvelliste, 1er août 1970 |
Pendant l'ensemble du festival le seul artiste américain raisonnablement connu est Dr. John, qui se présente sur la scène du festival tard le samedi soir. Le lendemain, les musiciens du groupe déclarent ne pas avoir reçu les $4 500 qu'on leur avait promis...
La Presse, 3 août 1970 |
Pendant la nuit de vendredi à samedi, l'agence de sécurité Citadelle retire ses gardiens, puisqu'elle n'a pas reçu l'argent promis. De nombreux spectateurs parviennent sans trop de mal à entrer sans payer, malgré la clôture de contreplaqué qui entoure le site. Le samedi en début d'après-midi, on finit par annoncer que l'entrée au festival est désormais gratuite.
Cette annonce provoque l'arrivée d'un nouveau genre de spectateurs: des centaines de "touristes" curieux de voir de leurs propres yeux des hippies qui se baignent tous nus! Ces nudistes ne sont pas très nombreux, mais tous les journaux ont mentionné leur présence...
"Le trou d'eau brune de la ferme Napoléon, le seul endroit rafraîchissant de tout le site, devint le point de ralliement des curieux, avides de seins nus et de pénis en liberté. Il y eut, à certains moments, des incidents époustouflants: une fille nue qui circulait dans le ruisseau était continuellement suivie sur la berge par une centaine de spectateurs, se déplaçant de gauche à droite selon les caprices de la belle." (La Presse, 3 août 1970)
Le Petit Journal, 9 août 1970 |
La seule activité qui semble avoir été correctement organisée au festival de Manseau est le commerce de la drogue. Le cannabis et le LSD sont extrêmement facile à obtenir, et les vendeurs ne se font aucunement inquiéter par les policiers. Le service médical présent sur les lieux a dû traiter, selon La Presse, 60 personnes intoxiquées par le LSD et 80 autres par du haschisch. Selon le Nouvelliste, il s'agit plutôt de 600 cas de LSD et 30 de haschisch!
Le Nouvelliste, 3 août 1970 |
L'événement prend fin tôt le dimanche après-midi, plusieurs heures avant l'heure de clôture qui avait initialement été annoncée. Le bilan: beaucoup de drogue mais peu de musique! Et très peu de violence, malgré la déception de ceux qui ont payé leur billet dans l'espoir d'assister à de bons spectacles.
Les arrestations ont été plutôt rares. On déplore le viol collectif d'une adolescente de 15 ans, un adolescent surnommé Pompon a été poignardé dans le dos mais a refusé de porter plainte, et on a dû sauver de la noyade un un jeune qui, sous l'emprise du LSD, désirait nager dans le fleuve jusqu'à Batiscan.
Le Nouvelliste, 3 août 1970 |
Yves Pelletier
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