Le deuxième René Lévesque (1960)
Les élections provinciales québécoises de 1960 occupent une place particulière dans l'histoire du Québec, puisqu'elles marquent le début de ce qu'on a appelé la révolution tranquille: après un règne ininterrompu de 16 années, l'Union Nationale a cédé la place au Parti Libéral de Jean Lesage. À cette époque, certains stratagèmes plus ou moins subtiles étaient parfois utilisés pour tenter de déjouer le processus démocratique comme, par exemple, la présentation de candidats homonymes.
Le 9 juin 1960, le quotidien Le Devoir publie la liste de tous les candidats aux prochaines élections. On en compte 260, répartis dans 95 districts: 53 indépendants, deux communistes, aucune femme, et plusieurs "homonymes".
Le Devoir, 9 juin 1960 |
Ces candidats homonymes, ce sont des candidats indépendants qui portent le même nom qu'un autre candidat, dans le même comté. Le cas le plus flagrant est celui de René Lévesque, candidat vedette du parti libéral, bien connu de la population puisqu'il est journaliste depuis de nombreuses années à la radio et à la télévision. Les électeurs du comté de Montréal-Laurier devront choisir entre quatre candidats: Arsène Gagné, député sortant représentant l'Union Nationale, Jacques Tozzi, René Lévesque et... René Lévesque!
En effet, un inconnu qui se nomme lui aussi René Lévesque a attendu à la date limite pour présenter sa candidature.
Le Devoir, 9 juin 1960 |
Évidemment, ce deuxième René Lévesque n'a aucune intention de devenir député (il ne fera aucun effort pour se faire élire). Son seul objectif est de créer la confusion, dans l'espoir de soutirer des votes au "vrai" René Lévesque. Pour être encore plus facile à confondre avec le candidat Libéral, le deuxième René Lévesque se présente à titre de "Libéral indépendant".
Le Clairon Maskoutin, 16 juin 1960 |
- Dans le comté de Richmond, Émilien Lachance (libéral) fait face à Émilien Lachance (libéral indépendant), en plus de Charles Gosselin (Union Nationale) et de Roger Gosselin (Union nationale indépendant);
- Dans le comté de Bourget, on doit choisir entre Jean Meunier (libéral) , Jean Meunier (libéral indépendant), Roméo McDuff (Union Nationale) et Roland McDuff (Union Nationale indépendant)!
- Dans Montréal - Maisonneuve, on retrouve Marcel Dupré (libéral) et Maurice Dupré (libéral indépendant).
Le stratagème semble avoir fonctionné dans le comté de Montréal - Maisonneuve: le candidat de l'Union Nationale a remporté l'élection avec une majorité de 2085 votes, alors que l'homonyme de son adversaire libéral a récolé 2346 votes. Si on considère que tous ceux qui ont voté en faveur de Maurice Dupré voulaient en fait voter pour Marcel Dupré, c'est le candidat libéral qui aurait remporté l'élection.
Le Devoir, 23 juin 1960 |
Dans le cas de René Lévesque, le stratagème est venu bien proche de réussir. Le vrai René Lévesque a remporté l'élection avec 14015 votes, mais avec une mince majorité de 127 voix, alors que le faux René Lévesque est parvenu à lui soutirer 910 votes.
Le Devoir, 23 juin 1960 |
L'utilisation des candidats homonymes n'a probablement pas été la méthode la plus drastique utilisée cette journée là. Plusieurs journaux du 23 juin 1960 rapportent des cas d'intimidation et de "bourrage" de boîtes de vote (des fiers à bras qui mettent illlégalement plusieurs bulletins dans l'urne), particulièrement dans le comté de Montréal-Laurier.
René Lévesque affirme: "J'ai vu des officiers de la Police provinciale dirigeant eux-mêmes des bandits qui entraient par six dans les polls".
Le Devoir, 23 juin 1960 |
Dans le magazine MacLean's du 13 août 1960, la journaliste Cathie Breslin raconte qu'elle a été payée $25 pour produire 20 votes illégaux en faveur d'Arsène Gagné, candidat de l'Union Nationale dans Montréal-Laurier. Le stratagème consistait à se présenter sous une fausse identité, et à placer 5 bulletins à la fois dans l'urne.
MacLean's 13 août 1960 |
René Lévesque (le vrai) fut nommé Ministre des Travaux Publics et Ministre des Ressources Hydrauliques. Il allait plus tard quitter le parti Libéral et fonder un nouveau parti, puis devenir premier ministre du Québec. Mais ça, c'est une autre histoire.
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