Quelle mouche a donc piqué Rosaire Bilodeau? (1934)

À Québec, le 25 octobre 1934, Rosaire Bilodeau abat six personnes et en blesse gravement deux autres.

Le Soleil du 26 octobre 1934

Rosaire (ou Rosario) Bilodeau est né à Central Falls, dans l'état du Rhode Island, mais il a grandi au Québec. Puisque sa mère est décédée alors qu'il était très jeune, il a été élevé par ses soeurs Aurélie et Léonida, qui ont une vingtaine d'années de plus que lui. Il s'agit d'un homme calme, peu bavard, mais qui se considère constamment victime de graves injustices.

Rosaire Bilodeau (L'Illustration, 14 juin 1935)

Après avoir été prospecteur dans le domaine minier pendant un certain temps, il se fait engager à titre de facteur, mais il trouve ce travail trop fatigant. Il porte plainte contre un de ses supérieurs, Moïse Jolicoeur, prétextant qu'il favorise les employés qui votent pour le Parti Libéral. 

En novembre 1932, sur présentation d'un certificat médical présentant un diagnostic de neurasthénie et de surmenage, Bilodeau cesse temporairement de travailler pour le service des postes, mais la direction accepte de conserver son nom sur la liste des employés en attendant que sa santé s'améliore.

Meurtre de Gaston et Fernand Gauvin

Le 25 octobre 1934, Rosaire Bilodeau, célibataire âgé de 38 ans, est donc sans emploi depuis près de deux ans. Vers 10h30, il se rend au garage Cloutier afin de louer une automobile. Il invite ensuite ses deux neveux, Gaston et Fernand Gauvin, respectivement âgés de 20 et 18 ans, à l'accompagner dans le bois de St-André à Sainte-Thérèse de Laval (la mère des deux jeunes hommes, décédée quelques années auparavant, était la soeur de Rosaire Bilodeau). Après avoir marché avec ses neveux dans la forêt, il les abats tous les deux, à bout portant, au moyen d'un revolver automatique Mauser de calibre 32.

Meurtre d'Aurélie et Léonida Bilodeau et d'Yvette Gauvin

Vers 13h30, au volant de son auto louée, Rosaire Bilodeau retourne en ville et invite cette fois ses deux soeurs, Aurélie et Léonida Bilodeau (62 et 63 ans), ainsi que sa nièce, Yvette Gauvin (21 ans), à l'accompagner dans le bois de St-André.  Dans un sentier, il les abat à leur tour au moyen de son revolver.

(N.B.: les deux soeurs de Rosaire Bilodeau ont d'abord été présentées dans les journaux comme Marie et Rosalie Bilodeau, mais lors du procès, elles ont été identifiées comme Aurélie et Léonida Bilodeau.)

Gaston Gauvin, Aurélie Bilodeau, Léonida Bilodeau et Yvette Gauvin
(Le Soleil du 26 octobre 1934)

Fusillade à l'hôtel des postes (meurtre d'Octave Fiset)

Après avoir éliminé tous les membres de sa famille, Bilodeau se présente à l'hôtel de postes de Québec vers 15h15, où il demande à rencontrer quatre de ses supérieurs: Jean-Baptiste Morin, maître général des postes pour la ville de Québec, Octave Fiset, surintendant du service des facteurs pour la ville de Québec, Moïse Jolicoeur, commis senior pour la division de Limoilou et Louis-Napoléon Santerre, chef de la livraison postale. Santerre n'est pas disponible, mais Fiset et Jolicoeur rejoignent Bilodeau dans le bureau de Morin.

Octave Fiset, Jean-Baptiste Morin et Moïse Jolicoeur
(La Presse du 26 octobre 1934, et Le Soleil, 26 janvier 1935)

Bilodeau sort encore une fois son revolver et fait feu sur les trois hommes.  Morin est atteint de trois balles (une à la mâchoire, les autres à l'abdomen), mais il parvient malgré tout à sortir du bureau. Des employés sont accourus après avoir entendu les coups de feu; Morin leur ordonne de bloquer la porte pour empêcher la fuite de Bilodeau.

Dans le bureau,  Octave Fiset agonise; une balle lui a traversé le cerveau, une autre a transpercé un poumon. Moïse Jolicoeur a été atteint d'une seule balle qui ne met pas sa vie en danger, et il a la présence d'esprit de rester immobile. Bilodeau le croit probablement mort.

Le constable Patrick Horrigan, qui était posté à l'hôtel de ville, arrive rapidement sur les lieux. Il entre seul dans le bureau et voit Bilodeau qui tient un téléphone dans ses main; son arme est devant lui, sur un bureau. Horrigan se précipite sur Bilodeau, qui offre peu de résistance, et procède à son arrestation.

Le constable Patrick Horrigan
(Le Soleil du 27 octobre 1934)

Les trois blessés sont transportés d'urgence à l'Hôtel Dieu, mais Octave Fiset, 60 ans, est déjà mort à son arrivée à l'hôpital.

Découverte des cadavres dans la forêt

Pendant que Rosaire Bilodeau est détenu à l'hôtel de Ville, son beau-frère Séraphin Gauvin demande à le voir. Il a appris que sa fille Yvette Gauvin, ainsi que ses deux belles-soeurs Aurélie et Léonida Bilodeau sont parties en compagnie de Bilodeau au début de l'après-midi, et il ignore où elles se trouvent (à ce moment, il ignore que ses deux fils sont également disparus).

Rosaire Bilodeau avoue immédiatement aux policiers qu'il a tué ses deux soeurs ainsi que sa nièce mais, puisqu'on ne lui pose pas la question, il ne mentionne pas le meurtre de ses neveux. Bilodeau accompagne les policiers jusqu'au lieu du crime, et on découvre les trois cadavres défigurés, chacune des trois femmes ayant reçu un projectile à la tête.

On annonce la triste nouvelle à Séraphin Gauvin qui, entre-temps, a appris que ses deux fils sont également disparus après être montés dans la voiture louée de Bilodeau. 

Encore une fois, Bilodeau admet avoir avoir abattu ses deux neveux et accompagne les policiers dans la forêt. L'obscurité rend les recherches difficiles, et les deux cadavres ne sont retrouvés que le lendemain matin.

Citoyens assemblés devant la résidence de Séraphin Gauvin, où
sont exposés les corps de 5 premières victimes
(La Presse du 29 octobre 1934)

Pourquoi?

Dans les heures qui ont suivi son arrestation, Bilodeau a indiqué aux policiers les raisons pour lesquelles il a commis tous ces assassinats.

  • Il a voulu éliminer tous ceux qui avaient été ses supérieurs au service des postes afin de se venger des injustices dont il disait avoir été victime alors qu'il était à leur service.
  • Les jeunes Gauvin n'était pas heureux. Ils avaient besoin de plus d'argent que ce que leur père pouvait leur donner. Yvette voulait aller travailler dans un restaurant à Montréal et Bilodeau considérait que ce n'était pas convenable pour une jeune fille.
  • Il ne voulaient pas que ses soeurs soient soumise au déshonneur qui résulterait de son crime.

Le procès

Débuté le 24 janvier 1935, le procès de Bilodeau pour le meurtre d'Octave Fiset ne dure que 5 jours. Pendant son procès, Bilodeau semble totalement indifférent aux témoignages. Il lui arrive de s'allonger sur sont banc, dans la boîte des accusés.  Une lettre écrite par Bilodeau à sa fiancée la veille du meurtre démontre que les gestes étaient prémédités. 

Le Soleil, 26 janvier 1935

Puisque sa culpabilité ne fait aucune doute, les membres du jury doivent surtout déterminer si Bilodeau était sain d'esprit au moment des crimes: s'il ne l'était pas, il sera enfermé dans un asile d'aliéné et évitera la peine de mort. La défense fait entendre des experts qui expliquent que les crimes de Bilodeau sont attribuables à sa paranoïa, la couronne rétorque que, malgré son tempérament paranoïaque, Bilodeau a tenu des propos démontrant qu'il était pleinement conscient de la gravité de ses gestes.

Dans la soirée du 29 janvier 1935, après avoir délibéré pendant 50 minutes, le jury livre son verdict: Bilodeau et trouvé sain d'esprit et coupable du meurtre d'Octave Fiset. Il est condamné à être pendu par le cou jusqu'à ce que mort s'en suive.

Rosaire Bilodeau, 39 ans,  est pendu à la prison de Québec le 14 juin 1935 à 8h02.

Le Soleil, 14 juin 1935

Yves Pelletier (Facebook)

L'accident de la gare Windsor (1909)

Le matin du 17 mars 1909, incapable de s'immobiliser à temps, un train de passagers défonce un mur de la gare Windsor, au centre-ville de Montréal, provoquant la mort de quatre personnes qui se trouvaient dans la salle d'attente.

La Presse du 17 mars 1909

Alors que l'express de Boston se trouve dans les environs de Westmount, en direction de Montréal, le bouchon d'un tube de la chaudière saute avec un fort bruit d'explosion. Louis Craig, le jeune chauffeur de la locomotive, se trouve rapidement entouré de vapeur et, pour éviter de mourir ébouillanté, il saute hors du train et tombe dans un fossé. 

La Patrie du 17 mars 1909

Quelques minutes plus tard, le mécanicien Mark Cunningham, âgé de 52 ans, est également forcé de sauter hors du train. Lors de la chute, il subit une fracture du crâne, dont il décédera le lendemain, sans avoir jamais repris connaissance. Il avait également de grave brûlures.

Louis Craig (chauffeur), Mark Cunningham (mécanicien) et Joseph A. Dion (serre-frein)
La Presse, 17, 18 et 22 mars 1909

Pendant ce temps, le reste de l'équipage ignore qu'il est arrivé quelque chose d'inhabituel. Ce n'est qu'en passant à proximité de la rue Guy que le serre-frein Joseph A. Dion remarque que le train va beaucoup trop vite: il actionne les freins à air comprimé, puis les freins à main, mais c'est insuffisant.  À 8h37,  le train percute un mur de la gare Windsor avec une vitesse d'environ 40 miles à heure, et entre avec fracas à l'intérieur de la salle d'attente réservée aux dames dans la partie sud-ouest de la gare, démolissant tout sur son passage.

La locomotive dans la rotonde de la gare Windsor
La Patrie du 17 mars 1909

En plus d'une quinzaine de blessés, quatre personnes (dont trois enfants) meurent sur le coup, écrasés par la locomotive ou par l'affaissement d'un mur:

  • Anne Bennett Nixon et ses deux enfants, Ross (10 ans) et Marjorie (12 ans), qui s'étaient rendus à la gare pour accueillir monsieur Nixon à son retour de Medecine Hat.
  • Elsie Villiers, 12 ans qui accompagnait sa grand mère venue faire ses adieux à une amie qui partait.

Anne Bennett Nixon, Ross Nixon, Marjorie Nixon et Elsie Villiers, décédés à l'intérieur de la gare Windsor (photos: La Presse et La Patrie du 18 mars 1909)

Alors que la locomotive s'immobilise dans la salle d'attente générale, son tender (wagon spécial transportant le combustible) défonce le plancher, provoquant la chute d'une lourde poutre d'acier au sous sol, là où travaillent des employés de la gare. La poutre tombe sur le pupitre d'Yvan Bock, interprète du Pacifique Canadien, qui est alors emprisonné sous les décombres. Son délicat sauvetage, supervisé par le chef du service des incendies Joseph Tremblay, durera plus de deux heures.

Plan montrant la trajectoire de la locomotive à travers la gare
(La Patrie du 17 mars 1909)

Aucun passager du train n'a été blessé. Dès les heures suivantes, 200 ouvriers s'affairaient à retirer la locomotive des décombres et à construire un mur temporaire. Les dégâts matériels étaient évalués à $200 000. Heureusement, la structure de la gare n'a pas été fragilisée; on avait craint, initialement, à un risque d'écroulement.

La Presse du 18 mars 1909

L'enquête du coroner McMahon conclut, le 22 mars, qu'il s'agit d'un accident, aucune négligence ou geste de nature criminelle n'ayant été relevé.

Yves Pelletier (Facebook)

Catastrophe ferroviaire à Saint-Hilaire (1864)

Dans la nuit du 29 juin 1864 , un train de la compagnie de chemin de fer du Grand Tronc plonge dans les eaux de la Rivière Richelieu près de St-Hilaire, faisant près d'une centaine de victimes.


Le train était parti de Pointe-Lévis dans l'après-midi du 28 juin, avec à son bord 467 immigrants européens qui étaient arrivés la veille à bord du navire "Le Neckar". Ces immigrants, pour la plupart norvégiens, prussiens, danois ou polonais, étaient partis de Hambourg le 18 mai dans le but de s'établir dans le Haut-Canada et dans les territoires de l'Ouest.

Constitué de 12 chars (une locomotive et onze wagons habituellement utilisés pour le transport de marchandise), ce train spécial doit les conduire à Montréal. Quatre employés de la compagnie du Grand Tronc se trouvent à bord: Thomas Finn (conducteur), William Burney (ingénieur), Nicholas Flynn (chauffeur) et Gédéon Giroux (garde-frein).

Vers 1h15, après s'être brièvement arrêté à la station de St-Hilaire pour se ravitailler en eau et en bois, le train s'approche du pont de Belœil.  Ce pont, qui enjambe la Rivière Richelieu, est un pont tournant: une partie de la travée peut pivoter afin de laisser passer des bateaux. Une lanterne de couleur rouge est alors allumé pour indiquer aux conducteurs qu'ils doivent immobiliser le train en attendant que le pont puisse être traversé.

Au moment où le train s'approche de la rivière, le pont est tourné pour laisser le passage à cinq barges remorquées par un bateau à vapeur. Nicolas Griffin, le gardien du pont, voit le train arriver à grande vitesse. Il agite frénétiquement une deuxième lanterne rouge afin d'attirer l'attention du conducteur, mais il est trop tard: le train au complet s'engouffre dans la rivière.

Thomas Valiquette, le maître de gare de St-Hilaire, a entendu le bruit de l'accident. Il télégraphie à  Pointe St-Charles, où la compagnie du Grand Tronc rassemble de toute urgence une équipe de sauvetage qui arrive sur les lieux deux heures plus tard. Entre-temps, les médecins des environs ont été alertés. Dans les heures suivantes, une centaine de personnes travaillent à secourir les blessés et à récupérer les cadavres. 

"Le spectacle que présentaient ces infortunés après avoir été transportés sur la terre était des plus navrants. Ici, c'était un enfant qui cherchait en vain son père, sa mère et quelquefois les deux ensemble, là une femme qui pleurait son époux, ou bien qui avait à côté d'elle les cadavres de ses enfants. Nous avons vu un infortuné époux qui dut assister à l'amputation d'une jambe de sa femme. On nous a parlé d'une malheureuse mère qui a été trouvée morte tenant encore dans ses bras un faible enfant d'une couple de mois qui était encore vivant."   (Le Courrier de St-Hyacinthe, 1 juillet 1864)

Le bilan est catastrophique: 

"Des 384 passagers qui furent amenés à la ville on compte que 156 sont grièvement blessés et qu'un grand nombre d'autres sont plus ou moins sérieusement contusionnés. Si l'on ajoute aux 83 cadavres placés dans des cercueils à St-Hilaire, les deux ou trois victimes qui sont mortes après avoir été conduites à Montréal, on a un total de 85 à 86 morts."  (Le courrier de Saint-Hilaire du 5 juillet 1864).

Deux des quatre employés qui étaient à bord du train sont au nombre des survivants: William Burney et Gédéon Giroux. Compte tenu de ses responsabilités à titre d'ingénieur, William Burney est mis en état d'arrestation.

Le coroner Joseph Jones amorce son enquête le 1er juillet. Les témoignages permettent de constater que William Burney, même s'il travaillait depuis sept ans à bord des trains du Grand Tronc, avait été récemment promu au titre d'ingénieur sans avoir reçu de formation particulière. De plus, il connaissait mal cette partie du trajet. 

L'enquête a démontré que le train avait commencé à freiner avant de s'engouffrer dans la rivière, mais beaucoup trop tard.  Au moment de l'accident, le garde-frein Gédéon Giroux n'était pas à son poste, car le conducteur lui avait demandé de préparer des lampes dans le wagon de queue (se trouvant dans le wagon de queue, il a pu sauter du train au moment où la locomotive tombait déjà).

L'enquête du coroner se termine le 13 juillet. Tout en soulignant la négligence de quelques autres employés, le jury conclut à la négligence coupable de William Burney, qui demeure détenu en attente de son procès. À l'automne 1864, toutefois, le grand jury de Montréal arrive à la conclusion que l'accusation envers William Burney n'est pas fondée, car c'est la Compagnie du Grand-Tronc dans son ensemble qui est responsable de l'accident.

Dans la première semaine du mois d'octobre 1864, de nombreux journaux publient une déclaration du grand jury qui se montre extrêmement critique envers la Compagnie du Grand Tronc: 

  • Bien qu'ils aient payé le prix ordinaire pour leur passage, 360 passagers ont été entassés dans des wagons de fret mal aérés, et sans lumière, avec la moitié de l'espace qui leur aurait normalement été alloué dans un wagon de deuxième classe. D'autres passagers étaient debout dans le seul wagon de deuxième classe, car tous les sièges étaient déjà occupés.
  • Pendant le voyage d'une durée de 9 ou 10 heures, les passagers n'ont pas été autorisés à sortir des wagons pour "satisfaire aux besoins de la nature". Ils étaient  "contraints de chercher du soulagement comme ils le pouvaient, assis ou debout, dans les chars encombrés, au mépris de la décence et au dégoût de tous."
  • Il n'y avait qu'un seul serre-frein sur le train, alors qu'il y en a normalement deux sur un train de cette taille quand il transporte du fret, et qu'il y aurait dû y en avoir trois puisqu'il transportait des passagers.
  • La compagnie a confié les passagers à un ingénieur qui n'avait jamais fait le trajet entre Richmond et Montréal, et qui avait été promu à ce poste 10 jours auparavant, assisté d'un chauffeur qui ne connaissait rien de ce trajet lui non plus.
  • La compagnie a permis que le train fasse tout le trajet sans corde pour la cloche qui aurait permis une communication entre les deux extrémités du convoi.
  • La compagnie a toléré pendant des années que les trains ne s'arrêtent pas complètement avant d'entrer sur le pont de Beloeil, alors que la loi impose un arrêt complet de 3 minutes avant d'entrer sur un pont tournant.  

"Pour les raisons ci-dessus, et pour d'autres actes très graves d'omission et de commission, le grand jury croit de son devoir d'exprimer de nouveau sa conviction solennelle que la Compagnie du Grand-Tronc du Canada est principalement responsable de la terrible catastrophe du 29 juin dernier et de la perte de vie qui en a été la suite, et il espère que la dite Compagnie sera traduite devant les tribunaux pour répondre du traitement honteux dont ses nombreux passagers ont été les victimes. " (L'Union Nationale, 6 octobre 1864)

Notons finalement que cet accident causa indirectement un décès supplémentaire: le 3 août 1864, environ un mois après l'accident, un autre train de la compagnie du Grand-Tronc traversait le pont de Beloeil. Un passager nommé Henderson, originaire de New York, se trouvait sur la plate-forme du quatrième wagon; il se pencha au-dessus de la rampe afin d'observer le lieu de la catastrophe, et sa tête frappa violemment une poutre du pont. Son corps fut repêché dans la rivière le lendemain.

Yves Pelletier (Facebook)

Scandaleux marathons de danse à St-Laurent et à Hull (1933)

Les marathons de danse ont connu une grande popularité aux États-Unis au cours des années 1920 et 1930. Pendant plusieurs semaines, les participants devaient danser en couple 24 heures sur 24, devant public, n'ayant droit à une pause que pendant 15 minutes à chaque heure. Les prix offerts aux gagnants étaient particulièrement alléchants pendant la crise économique.

Deux marathons de danse ont causé la controverse au Québec à partir de juillet 1933: le marathon de danse du parc Luna, à Hull (maintenant un quartier de Gatineau), et le Walkathon de St-Laurent Garden à Ville Saint-Laurent (maintenant un arrondissement de Montréal). Dans les deux cas, des concurrents ont poursuivi l'épreuve pendant environ deux mois.

Concurrents du Walkathon de Saint-Laurent, La Presse 28 septembre 1933

Désapprobation

Même s'ils attirent de nombreux spectateurs curieux d'observer des danseurs exténués, ces deux événements sont fortement désapprouvés par une partie de la population.

Dans Le Devoir du 4 août 1933 l'éditorialiste Émile Benoist demande l'intervention de la police:

"En attendant marcheurs et marcheuses du marathon marchent toujours. Ils marchent depuis six jours et six nuits. Ils marcheront peut-être pendant six autres jours et six autres nuits, à moins que la police n'intervienne. Cela nous le souhaitons fort. Si les autorités de Saint-Laurent ou celles de la province ne trouvent aucun article du code qui leur permette d'intervenir, qu'elles agissent au nom du simple bon sens pour mettre fin à cette stupidité."

Le 9 août, une lectrice indignée fait connaître son mécontentement dans le courrier des lecteurs du Droit d'Ottawa:

"La jeunesse, si peu retenue d'à présent, va puiser chaque jour, dans ces divertissements abrutissants, un poison terrible pour son âme et aussi pour son corps rompu, puisé à ce tour de force diabolique. Et si, comme suite de cette néfaste aventure, les jeunes personnes qui ont pris part à ce marathon, sont affaiblies et nerveuses, qui les soignera, sinon nos dispensaires et notre hôpital, et cela probablement à nos frais?... C'est vraiment révoltant!"

Le 14 août 1933, le Droit d'Ottawa publie une lettre adressée au conseil municipal de Hull par trois société féminines: la Ligue Catholique Féminine, la Jeunesse Ouvrière Catholique et le Cercle des Institutrices de Hull:

"Ces concours de danse, au dire des personnes sérieuses, sont une honte et une insulte à la dignité de la population. Ce qu'on a toléré ici ne l'a été nulle part ailleurs: en Belgique, en France, ces concours ont été arrêtés aussitôt. Le souci de la santé de ceux qui y prennent part devrait être un motif suffisant pour établir un règlement à cet effet. Les première victimes sont naturellement les jeunes filles qui souvent y compromettent leur santé pour la vie."

Procès 

En septembre 1933, chacun des quatre organisateurs du Walkathon de Ville Saint-Laurent est condamné à payer une amende de $40 pour avoir tenu une salle d'amusement sans détenir un permis de la trésorerie provinciale. Le concours se poursuit malgré tout.

L'attaque du 27 septembre

L'Illustration, 28 septembre 1933

Le 27 septembre 1933, 350 étudiants de l'université de Montréal et de l'université McGill décident de mettre fin au Walkathon de St-Laurent, prétextant qu'il est inhumain de faire marcher ainsi sans arrêt des hommes et des femmes. Les étudiants prennent le tramway sans payer, se rendent au St-Laurent Garden et s'y regroupent en chantant le "O Canada". Ils envahissent ensuite le plancher de danse, faisant fuir les concurrents en leur lançant des fruits pourris. Ils tentent ensuite de faire sortir les spectateurs.

Vitres brisées , La Presse 28 septembre 1933

Le chef des pompiers de St-Laurent fait sortir les étudiants en leur promettant de faire évacuer lui-même les 3000 spectateurs. Cependant, puisque qu'ils jugent l'évacuation trop lente, les étudiants lancent des pierres et des briques dans les fenêtres du Garden. Certains de ces projectiles atteignent des spectateurs qui se trouvent à l'intérieur de l'édifice. Ainsi, Charles Coates reçoit une pierre à la tête et Mme William Lamont est atteinte au dos par une brique. Une femme non identifiée s'évanouit après avoir reçu une pierre en plein visage.

Charles Coates et Mme William Lamont, blessés lors de l'attaque des étudiants
(La Patrie, 28 septembre 1933)

Frank Noades a eu une dent brisée: on l'a frappé avec une chaise alors qu'il tentait d'empêcher les manifestants de démolir l'émetteur radio qui servait à publiciser le concours.  Les étudiants causent des dommages matériel évalués à $500.

Le gardien de nuit Joseph Vendirendonsky tire sur les étudiants au moyen d'un revolver chargé à blanc, espérant les effrayer. Six manifestants son finalement capturés. Des négociations ont ensuite lieu avec les meneurs, qui acceptent de quitter les lieux en échange des otages.

Dès le début de l'attaque, les concurrents (neuf couples) ont été évacués en taxi et on poursuivi l'épreuve en marchant autour de l'hôtel Ford. Il sont retournés au St-Laurent Garden après le départ des étudiants.

Fermeture du walkathon

Le 3 octobre, après avoir appris que les étudiants préparaient un deuxième coup de force, le premier ministre Louis-Alexandre Tashereau ordonne que le walkathon de ville St-Laurent soit interdit au public. Dans l'après-midi, une cinquantaine de policiers font sortir les 500 spectateurs et cernent les lieux.

La Presse 10 octobre 1933


Louis-Alexandre Taschereau
Premier ministre et procureur général du Québec

400 étudiants se rendent malgré tout au St-Laurent Garden, armés d'oeufs pourris, de tomates, de bâtons et de cailloux, et tentent d'y entrer de force. Cette fois, les policiers sont plus nombreux et mieux organisés. La manifestation prend fin assez rapidement.

Le 4 octobre, le grand prix du walkathon est séparé en 16 parts égales: chacun des concurrents reçoit la somme $80 .

L'attaque du 5 octobre

La décision de Taschereau ne concerne pas le concours de danse de Hull, toutefois, qui continue ses activités. Suite au succès de l'intervention des étudiants de Montréal, des étudiants de l'Université d'Ottawa et du Collège St-Patrick décident d'envahir le Parc Luna.

Le Droit, 4 octobre 1933

Le 5 octobre, 200 étudiants tentent, pendant trois heures, de pénétrer dans l'édifice qui abrite le marathon de danse, dans le but d'y mettre fin.  Ils sont cependant accueillis par des policiers et des pompiers de Hull, qui parviennent à repousser les étudiants au moyen de leurs boyaux à incendie.  Les émeutiers causent tout de même des dégâts évalués à $200, en plus de lancer des oeufs et des cailloux en direction des policiers.  

Le gérant du parc Luna, W.H. Conroy déclare que le marathon continuera malgré tout, par respect pour les 4 couples qui ont déjà dansé pendant 1900 heures. Il profite de l'occasion pour mentionner le marathon de chaises berçantes, commencé depuis une semaine.


Le Droit, 6 octobre 1933

Le 18 octobre 1933 Le Soleil de Québec considère que les étudiants ont eu raison de mettre fin aux marathons de danse, tout en déplorant la violence dont ils ont fait preuve:

Alors qu'il existe tant de sports intéressants, sains et honnêtes, on comprend difficilement cette sorte de sadisme qui pousse certains individus à inventer des manières de s'amuser qui feraient rougir même des porcs, si les porcs pouvaient rougir.

Si on veut à tout prix maintenir les marathons, qu'on soit au moins pratique et humain. Pourquoi pas, par exemple, un concours de tricot, entre femmes, pour les pauvres qui auront froid cet hiver? Tous les concours de charité qui n'auront pas la bêtise pour base peuvent être tolérés.

Évidemment, on ne saurait approuver, sans risquer de justifier des abus beaucoup plus graves, les violences illégales des étudiants de Montréal. Il faut sévir même contre ces adversaires de la sottise. Mais en principe, ils avaient raison de vouloir terminer la macabre parade.

 

Yves Pelletier (Facebook)

 

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Des alligators dans la rivière des Outaouais (1929)

Ouvert depuis 1925 sur le site de l'actuel Parc Moussette à Hull, au bord de la Rivière des Outaouais,  le Parc Luna était un parc d'attraction où on proposait différents manèges: montagnes russes en bois, caroussel, véhicules électriques,  patinage à roulettes, etc.

Plan du Parc Luna (1928)


Publicité du Parc Luna, Le Droit, 12 juin 1930

Les promoteurs du Parc Luna y ajoutèrent ensuite un petit jardin zoologique. C'est pour cette raison que le 12 juillet 1929, le Parc reçoit une cargaison de 26 alligators des marais de la Floride. Mais pendant que l'employé Joseph Charlebois les déplace à tour de rôle vers l'aquarium qui a été préparé à leur intention, deux alligators parviennent à s'échapper. Malgré les tentatives de Charlebois de les capturer à nouveau, les deux alligators, qui mesurent environ 5 pieds de longueur, disparaissent dans les eaux de la Rivière des Outaouais.

Le Droit, 13 juillet 1929

L'un des deux alligators est capturé le lendemain par P. Convoy, le gérant du Parc Luna, avec l'aide de deux autres employés. Pendant la capture, Monsieur Convoy est légèrement blessé au bras par un violent coup de queue.

Le Droit, 15 juillet 1929

Le deuxième alligator, toutefois, ne sera jamais retrouvé! On offre une récompense de $25 à quiconque rapportera l'alligator vivant, et de $10 si l'alligator est mort (mais le chasseur pourra alors conserver la peau, qui a une bonne valeur marchande).


Le Droit, 16 juillet 1929

Deux semaines après son évasion, l'alligator est aperçu à Eardley, par un cultivateur qui faisait boire ses chevaux dans la rivière.


La Presse, 25 juillet 1929

L'alligator est aperçu à nouveau à Woodroff, le 26 août. Il est alors en liberté depuis un mois et demi. C'est la dernière fois qu'on mentionne son existence: il semble n'avoir jamais été retrouvé.

La Presse, 26 août 1929


Yves Pelletier (Facebook)

La précieuse sacoche de Maître Plamondon (1904)

À l'automne 1904, l'avocat sorélois J.D. Plamondon se rend à Ottawa pour y déposer des documents officiels relatifs à l'élection fédérale qui a eu lieu quelques jours plus tôt. Mais il s'arrête d'abord à Montréal, y passe quelques jours...puis disparaît mystérieusement.

La Presse, 12 décembre 1904

Le 12 décembre 1904, le journal La Presse rapporte qu'on a découvert sur la rue Amherst, à Montréal, une sacoche renfermant d'importants documents officiels relatifs à l'élection fédérale dans le comté de Richelieu: le relevé du scrutin, les comptes de l'élection, le rapport officiel de l'officier-rapporteur au greffier de la Couronne... Cette sacoche est vraisemblablement celle que transportait l'avocat J. Daniel Plamondon, de Sorel, dont on est sans nouvelles depuis plusieurs jours! Plamondon a-il été assassiné? A-t-il fui aux États-Unis après avoir dilapidé l'argent qu'il était chargé de transmettre au gouvernement? S'est-il suicidé après avoir constaté la perte des précieux documents?  On l'ignore!

La sacoche trouvée sur la rue Amherst (La Presse, 16 décembre 1904)

J. D. Plamondon, 45 ans, avait été nommé officier-rapporteur du comté de Richelieu pour les élections fédérales du 3 novembre 1904. À cette occasion, le député libéral Arthur Aimé Bruneau a été réélu après avoir obtenu plus de votes que Bruno Leclaire, son adversaire du parti conservateur.

J.D. Plamondon (La Presse, 16 juin 1905)

En décembre 1904 et en janvier 1905, le journal La Presse mène une enquête qui permet de reconstituer en partie le séjour de l'avocat Plamondon à Montréal.

Le 18 novembre, Plamondon quitte Sorel en train, en disant qu'il se rend à Ottawa afin de remettre en mains propres les documents de l'élection au Greffier de la Couronne en Chancellerie. Sa sacoche de cuir contient, entre autres choses,  le dépôt de chacun des deux candidats à l'élection du 3 novembre (un total de $400). Un certain Frank Côté, qui se trouve à bord du même train, dira plus tard que Plamondon "paraissait avoir des allures étranges".

Vers midi ce jour-là, Plamondon prend une chambre à l'hôtel Jacques-Cartier de Montréal. Charles N. Savage, le gérant de l'hôtel raconte au journaliste de La Presse que Plamondon était très bavard. Il lui a confié sa sacoche, son seul bagage, pour qu'elle soit placée dans le coffre-fort de l'hôtel. Il lui confie également son très chic chapeau haut de forme en soie.

Le 19 novembre, Plamondon se rend à la banque d'Hochelaga, sur la rue St-Jacques pour encaisser un chèque. Son identité a été établie par le seigneur Massue-Drolet de St-Aimé.  D'après le témoignage de M. Biron, surintendant des marchés de Montréal, Plamondon visite également la cour du Recorder, où il discute avec d'autres avocats.

Le matin du 21 novembre, Plamondon quitte l'hôtel Jacques-Cartier, après avoir récupéré sa sacoche et son chapeau de soie, déclarant qu'il se dirige vers Ottawa. Toutefois, en soirée, un témoin voit Plamondon, en état d'ébriété, au coin des rues Cadieux et La Gauchetière, en compagnie de deux jeunes hommes d'allure louche: "Ils étaient fort mal vêtus, et ils me paraissaient plutôt, à côté de ce monsieur en chapeau de soie, être de ces gens-là que des malheureux rencontrent assez souvent dans les buvettes borgnes, liant conversation avec eux, dans leur ivresse, pour se retrouver ensuite dévalisés."

Le 23 novembre, en fin d'après-midi, Plamondon retourne à l'hôtel Jacques-Cartier mais, cette fois, il est visiblement en état d'ébriété, à un point tel qu'il est incapable de signer le registre. Il était très "fripé", nous dit M. Savage, "ses vêtements et son chapeau témoignant d'une rude escapade". Il n'est plus en possession de sa sacoche.

Le 24 novembre, Plamondon quitte discrètement l'hôtel Jacques-Cartier, laissant son chapeau de soie en guise de paiement.

Quelques résidentes de la rue Amherst affirment avoir vu Plamondon, après le 25 novembre, à la recherche de sa sacoche. Il leur raconte avoir visité une maison de cette rue "pour s'amuser un brin", et y a oublié sa sacoche, mais il ne se souvient plus de l'adresse exacte!   "Je vous en supplie, dit-il, rendez-mois mes papiers; si vous le voulez, gardez la sacoche avec tout l'argent qu'elle contient, je saurai le remplacer, mais remettez-moi le reste..."

La Presse, 13 janvier 1905

Le matin du 11 décembre, deux résidents de la rue Amherst, Louis Picard et Olivier Ménard, trouvent la sacoche de Plamondon sur le bord de la rue, pas très loin du fleuve. Le 15 décembre, le député Camille Piché récupère la sacoche et expédie à Ottawa les documents qu'elle contient.

Le 16 juin 1905, un cadavre est trouvé dans le fleuve St-Laurent, entre les quais Jacques et Victoria, pas très loin de l'endroit où la sacoche avait été retrouvée quelques mois plus tôt. Le corps est en état de putréfaction avancée, mais sa taille et ses vêtements correspondent à la description de l'avocat de Sorel. De plus, on trouve dans sa poche quelques documents concernant les districts de votation du comté de Richelieu, et une lettre datée du 14 novembre, adressée à J. D. Plamondon.

Le 18 juin 1905, les restes de J. D. Plamondon sont inhumés au cimetière des Saints-Anges de Sorel.

Yves Pelletier (Facebook)

Les débuts de la Beatlemania au Québec (1964)

Le Petit Journal, 8 mars 1964

De nos jours, les Beatles sont unanimement reconnus comme un groupe qui a révolutionné la musique populaire du vingtième siècle. Cependant, les premiers commentaires à leur sujet dans les médias québécois s'attardaient davantage à leur coupe de cheveux qu'à leurs chansons.

Un des premiers journalistes québécois à mentionner les Beatles est le chroniqueur Raymond Guérin, du journal La Presse. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne les apprécie pas du tout ... au point de leur consacrer trois billets dans la même semaine, en février 1964!

La Presse, 4 février 1964

D'abord, le 4 février 1964: 

"Quand je dis "chanteurs", je suis évidemment poli. La sorte de sons qu'ils émettent n'a qu'une parenté très lointaine avec le chant proprement dit. Les "Beatles" font dans le rock, le twist, le "yé, yé", et autres, des manifestations nerveuses qui n'ont qu'un rapport fort lointain avec la musique. Mais je n'ai pas besoin d'insister là-dessus. Vous connaissez le genre.

Toutefois, ce qui distingue les "Beatles" des autres farfelus de la chanson, c'est leur coupe de cheveux. Il est possible que vous les ayez vus sur photos; si oui, vous aurez été étonnés des têtes qu'ils ont: Ils ont l'air de femmes!     (...)

Voici quatre jeunes gens, à peine sortis des couches de l'adolescence, qui se promènent avec une tignasse monstrueuse, les cheveux sur le front, les cheveux sur les oreilles, les cheveux tout partout, sauf aux endroits par où il faut voir et respirer.

Des têtes? Non, de vadrouilles ambulantes!    (...)

Moi, je vous le dis franchement, je vais demander au directeur Josaphat Brunet un permis de porter des ciseaux. Et si je rencontre un des "Beatles", ou quelqu'un qui leur ressemble, je fais des ravages.

(La Presse,  4 février 1964)  

Publicité des magasins Morgan, La Presse, 5 février 1964

Guérin revient à la charge 3 jours plus tard, suite à la parution d'une publicité des magasins Morgan, qui offrent désormais des disques des Beatles ainsi qu'une "perruque Beatles" (d'après le Petit Journal du 8 mars 1964, la totalité de 1200 perruques ont été vendues en 3 jours):

"Sombre journée que celle de mercredi, où j'aperçus, dans notre journal, une annonce proclamant l'invasion tant redoutée des Beatles à Montréal. Ah! Malheur de nous! Quand je vous disais qu'il fallait craindre le pire...

Les Beatles, ces quatre jeunes échevelés britanniques qui se disent chanteurs, ont fait irruption dans notre trop accueillante cité, non pas en personne - on respire! - mais par voie du disque et du cheveu postiche.

Eh oui! On annonce maintenant la vente de deux microsillons des oeuvres des Beatles. Et pour joindre la douleur de la vue à celle de l'oreille, on offre également aux clients la nouvelle perruque Beatle, "à frange et à accroche-coeur", mes trésors!

Je passe sous silence le phénomène de ceux qui achèteront en tout sérieux cette perruque. Cela relève plutôt de la chronique médicale - côté psychiatrie.    

(La Presse,  7 février 1964) 

Guérin mentionne les Beatles pour un troisième fois le 10 février 1964 pour déplorer, cette fois, les excès d'enthousiasme de leurs admiratrices:

"J'ai vu les Beatles en personne hier soir, à l'émission de TV d'Ed Sullivan. Ils ont l'air de bons petits garçons. On a envie de les moucher. Hideux, mais bien inoffensifs.

Ce sont les filles de l'auditoire qui font peur! "

(La Presse,  10 février 1964) 

Publicité des magasins Morgan, La Presse, 14 février 1964

La chronique de Raymond Guérin se voulant humoristique, on peut probablement lui pardonner certaines exagérations. Mais Claude Gingras, responsable de la rubrique "disques", n'est pas beaucoup plus subtil que son confrère:

"Si vous ne connaissez pas encore les Beatles, c'est que vous ne vivez pas sur notre planète! Car il est impossible de les avoir ratés: leurs chevelures en broussaille sont maintenant répandues dans le monde entier, sous forme de petites perruques bon marché, leurs têtes grimaçantes sont dans tous les journaux, leurs gesticulations sont sur tous les écrans de télévision, leurs hurlements sont sur touts les postes de radio. La "beatlemanie" a envahi le monde, et le comble, c'est que la reine-mère d'Angleterre les aime beaucoup, paraît-il.

Le grand avantage de ce disque, c'est qu'on ne les voit pas et qu'on peut les arrêter quand on veut."

(La Presse,  15 février 1964)


La population bien-pensante semble aussi de cet avis. Par exemple, Pierre Caron, un lecteur de la Presse, croise parfois, avec honte et répugnance, de jeunes québécois qui ressemblent aux Beatles: 

Or, voici ce qui est survenu l'autre dimanche, et croyez bien que je n’exagère pas. Mon épouse, qui est une personne plutôt placide était dans le vivoir devant l'appa­reil de TV afin de voir la présentation d’Ed Sullivan: j'étais dans une autre pièce à savourer un bon livre, quand tout à coup j’entendis un cri d'hor­reur lancé par mon épouse. J'accours pour constater qu'on montrait les "Beatles" sur l'é­cran. Je vous ferai grâce des mots et jurons que j'ai pronon­cés.   (...)

Pourquoi je suis demeuré devant mon appareil de TV après les nouvelles de l’heure du souper ce même mercredi, je l'ignore. À tout événement, on y présentait, au canal 2, une émission intitulée "Le pain du jour" et quelle ne fut pas ma consternation quand j'ai constaté que quatre jeunes hommes, parmi les interprètes masculins, étaient affublés d'une tête, ou plutôt de quatre têtes presque semblables à celles des "Beatles".

J'ai souvent vu de ces "bibittes", soit à la sortie des élèves de nos collèges classiques, de nos écoles supérieures ou au­tour de l’université et c'est avec honte, avec répugnance que je constate que ce sont toujours nos jeunes Canadiens français qui portent ce genre de che­velure.

(La Presse,  5 mars 1964) 

Le Soleil, 28 janvier 1964

En plus de leur influence néfaste sur les préférences capillaires des jeunes hommes, les observateurs s'inquiètent de l'hystérie collective qui s'empare de l'auditoire féminin à chaque apparition publique du quatuor. Le révérend père Jean-Louis Bouillé, alors directeur de la revue L'Actualité,  s'indigne de l'inaction du personnel enseignant:

D'un côté, quatre têtes-vadrouilles tablant sur la bêtise humaine avec la bénédiction des rois du show business, pour se faire des sous. De l'autre, un lot de jeunes adolescentes plongées en pleine hystérie, au bord de la névrose. C'était à pleurer. Elles criaient, s'agitaient, se tiraient les cheveux en proie à un véritable délire. Ce spectacle de démence, des millions d'adolescents y ont participé. Deux réflexions nous viennent à l'esprit à la suite de cet événement déprimant au possible.

Comment des adultes, car ce sont eux les responsables, largement payés pour faire honnêtement leur métier, peuvent-ils, de sang froid, accepter de plonger ainsi des âmes neuves en pleine névrose et risquer que ces déséquilibres se prolongent au détriment de toute une vie?   (...)

Notre deuxième réflexion porte sur le silence ou tout au moins l'absence de réprobation de nos média d'information et de nos éducateurs. (...)  Mais qu'on expose au déséquilibre nerveux et mental les jeunes intelligences en les invitant à participer à des spectacles d'hystérie collective ne semble pas émouvoir outre-mesure ces passionnés de l'éducation.

(Le Bien Public, 26 juin 1964)

Dans une lettre à la Presse, Mireille Barrière, éducatrice, conseille au père Brouillé de ne pas exagérer l'influence des Beatles sur les jeunes québécoises:

Les jeunes, dit le Père Brouil­lé, sont menacés de déséquili­bre mental devant cette hysté­rie collective. Je vis depuis six mois avec trente jeunes délu­rées, presque toutes ferventes admiratrices des "Beatles”: elles sont encore très saines d'es­prit et ne s'arrachent pas les cheveux.  (...)

Combien de nos mères ac­tuelles se sont pâmées devant les yeux nébuleux d'un Valen­tino et ont perdu conscience le jour de ses obsèques, et pourtant elles sont aujourd'hui parfaitement équilibrées. Chaque âge connaît ses engouements, alors, cessons de nous battre contre des moulins à vent.

(La Presse, 16 mars 1964)

Publicité pour le film "A hard day's night" dans un cinéma de Montréal

Le 15 mai 1964, les guichets du forum de Montréal sont assailli par des centaines de jeunes qui désirent mettre la main sur des billets pour un des deux spectacles des Beatles, prévus le 8 septembre (une première représentation en après-midi, à 16h00, et une deuxième en soirée, à 20h30). Prix du billet: $5,50.  400 personnes ont passé la nuit à la belle étoile, devant le forum,  pour obtenir les meilleurs places; le journaliste non-identifié de la La Presse précise que la plupart d'entre eux s'exprimaient en anglais.

La Presse, 15 mai 1964

Le 8 septembre 1964, c'est le grand jour!  Près de 12000 personnes sont entassées dans le forum pour écouter leurs idoles (ou plutôt, d'après la description des journalistes, crier à tue-tête pendant toute la durée du spectacle à un point tel qu'on n'entend pas vraiment la musique).

Montréal Matin, 9 septembre 1964

Auparavant, les Beatles avaient été accueillis à l'aéroport international de Dorval par environ 3000 admirateurs, malgré la pluie.

Quelques centaines de personnes les attendaient plutôt devant l'entrée du forum de Montréal. Elles ont été leurrées par des imposteurs qui sont arrivés à bord d'un taxi pour détourner leur attention, pendant que les véritables Beatles arrivaient en Limousine à une autre entrée du forum.

Les Beatles à leur arrivée à l'aéroport de Dorval
(Photo Journal, 9 septembre 1964)

Le spectacle dure deux heures: les 90 premières minutes sont assurées par des artistes pas très connus, alors que les Beatles eux-mêmes ne jouent que pendant 35 minutes, offrant à leur public un total de 11 chansons.

La journaliste de La Patrie décrit l'auditoire de la représentation de 16 h: moyenne d'âge: 13 ou 14 ans, majorité féminine à 80%. L'auditoire de la représentation de 20h30 était un peu plus âgé.

La foule a été bruyante, mais aucune spectatrice n'est parvenue à monter sur la scène; on a mentionné que la foule de Montréal avait été la plus disciplinée de la tournée.

Une partie de l'auditoire, pendant le concert des Beatles à Montréal
La Patrie, 10 septembre 1964

Quelques spectatrices pendant la prestation des Beatles à Montréal
(Le Petit Journal, 13 septembre 1964)


Une jeune spectatrice est transportée par des ambulanciers
(Le Petit Journal, 13 septembre 1964)

Il s'agit de l'unique visite des Beatles à Montréal. En 1969, toutefois, le célèbre "bed-in" de John Lennon et Yoko Ono eut lieu à l'hôtel Reine Élisabeth de Montréal.

D'autre part, la mode favorisa des cheveux beaucoup plus longs dans les années suivantes...

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Yves Pelletier (Facebook)