Le géant Beaupré

C'est au début du mois de mars 1901 que les journaux québécois commencent à parler d'Édouard Beaupré, qu'ils surnomment "le géant canadien". Âgé de 20 ans, Beaupré mesure 7 pieds et 8 pouces (2,34 mètres) et pèse 360 livres (165 kg) (N.B.: il a continué de grandir par la suite, atteignant 2,52 m ! Encore de nos jours, Beaupré arrive au 5e rang des hommes les plus grands de l'histoire). 

Beaupré est né a Willow Bunch, en Saskatchewan (mais à l'époque, on disait qu'il provenait des Territoires du Nord Ouest, puisque la Saskatchewan n'a été constituée qu'en 1905). Ses parents, Gaspard Beaupré et Florestine Piché, sont de taille parfaitement normale. 

Après avoir séjourné quelques jours à Ottawa, Beaupré arrive à Montréal le 5 mars 1901, en compagnie de son gérant. Les journalistes s'extasient devant son imposantes stature, sa grande force physique, et son énorme appétit.

Édouard Beaupré et un journaliste du journal La Patrie
(publié dans La Patrie du 6 mars 1901)

Environ une semaine après son arrivée à Montréal, le géant Beaupré lance un défi à Louis Cyr, le légendaire homme fort québécois: osera-t-il l'affronter dans un combat de lutte au corps à corps? Beaupré a choisi un combat de lutte, même s'il n'en a jamais fait auparavant, car il sait ne pas être en mesure de soulever des charges aussi lourdes que celles soulevées par Cyr.

Louis Cyr accepte le défi, même s'il n'est pas vraiment un lutteur et n'est plus au sommet de sa forme. Il insiste toutefois pour que le combat soit suivi d'une démonstration de force musculaire. Le combat a donc lieu au parc Sohmer de Montréal le 25 mars 1901, devant une assistance d'environ 1000 spectateurs. Le combat ne dure que trois minutes et Louis Cyr l'emporte avec une facilité déconcertante. 

Louis Cyr et Édouard Beaupré
Tiré de La Presse du 16 mars 1901

Dans les semaines suivantes, Édouard Beaupré s'exhibe à différents endroits en Nouvelle-Angleterre et au Québec, en compagnie de son gérant Elzéar Fortin. Puis, le 29 octobre 1901, le journal La Presse annonce qu'il est retourné chez sa famille à Willow Bunch.

Le Samedi du 23 mars 1901

En mars 1902, différents journaux prétendent qu'Édouard Beaupré est sur le point d'épouser Ella Ewing, une géante américaine ayant fait carrière avec le cirque Barnum et Bailey, et qui est un tout petit peu plus grande que lui. Il s'agit toutefois d'un canular.

Le géant Beaupré revient à Montréal en mai 1902, pour y devenir hôtelier. Pendant quelques mois, de nombreuses publicités incitent la population à visiter le restaurant de la Maison Fortin afin d'y faire la rencontre du géant.

Publicité de la Maison Fortin
La Presse, 2 juin 1903

Le 5 décembre 1903, la Presse annonce encore une fois le retour de Beaupré dans son ranch familial de l'ouest canadien.

Le 5 juillet 1904, les journaux annoncent le décès inattendu d'Édouard Beaupré, à l'âge de 23 ans.  Il travaillait alors à l'exposition de St-Louis, au Missouri, et semblait bien se porter. Pendant la nuit, il a demandé une tasse de thé, et s'est mis à cracher du sang. Il est décédé avant l'arrivée du médecin.

La Patrie du 5 juillet 1904

Il aurait été logique que l'histoire se résume à ceci: grâce à sa taille hors norme, Édouard Beaupré a été célèbre pendant 3 ans, puis est mort prématurément de tuberculose.

L'histoire du géant Beaupré, malheureusement, ne s'est pas terminée lors de son décès. Son cadavre allait subir de multiples outrages pendant des dizaines d'années encore!

Immédiatement après son décès, le nouveau gérant de Beaupré fait embaumer son cadavre pour qu'il puisse continuer d'être montré aux visiteurs de l'exposition de St-Louis. C'est que des engagements ont été pris, et il serait bien dommage que le décès du géant l'empêche de respecter son contrat!

Le cadavre pétrifié d'Édouard Beaupré est donc exhibé à St-Louis, au Missouri, pendant plusieurs mois.

En janvier 1905, un dénommé Pascal Bonneau tente d'obtenir un permis pour exposer à Montréal le cadavre pétrifié du géant Beaupré. Le permis lui est refusé. Le promoteur revient à la charge à la fin du mois de mars, et fait expédier à Montréal, par train,  l'immense cercueil contenant le cadavre du géant. Puisque les autorités municipales lui refusent encore une fois le permis demandé, Bonneau tarde à réclamer le cadavre de Beaupré, que le personnel de la compagnie Dominion Express trouve bien encombrant, d'autant plus qu'il dégage une forte odeur de produits chimiques!

Il semble que les permis nécessaires finissent par être obtenus, car le cadavre du géant Beaupré est ensuite exhibé pendant quelques mois au musée Eden, sur la rue Saint-Laurent, et ensuite sous une tente au parc Riverside. 

En novembre 1906, des enfants découvrent, en jouant au parc Riverside, une grande caisse renfermant le cadavre du géant Beaupré! Il semble que le promoteur qui l'avait exhibé à cet endroit a choisi de s'éclipser discrètement, abandonnant le cadavre derrière lui!

La Patrie du 21 novembre 1906

Suite à cette découverte, le cadavre est récupéré par la faculté de médecine de l'Université de Montréal, 

En 1975, Ovila Lespérance, neveu du géant, visite l'université, et est indigné de constater que le cadavre de son oncle y est exposé en public, dans une vitrine, entièrement nu. Il demande que le corps soit retourné à sa famille, en Saskatchewan.

L'université accepte alors de retirer le cadavre de la vue du public, mais elle tergiversera pendant 15 autres années avant d'accepter de restituer le cadavre à la famille.

C'est finalement en juillet 1990 que le cadavre du géant Beaupré est incinéré, puis expédié dans son village natal de Willow Bunch, où il est inhumé près d'une statue à son effigie.

La Presse du 9 juillet 1990

Yves Pelletier (Facebook)

Pièce de théâtre sanglante (1895)

Le 20 juin 1895, lors de la présentation d'une pièce de théâtre à son école, le jeune Moïse Desjardins a accidentellement poignardé à mort, sur la scène, son camarade Ovide Lorrain.

Le Spectateur, 28 juin 1895

L'école Champlain, située sur la rue Fullum à Montréal, présentait ce soir-là un drame en trois actes intitulé "Les jeunes captifs", par l'Abbé Lebardin. Au dernier acte de la pièce, un personnage nommé Pietro (joué par Moïse Desjardins, 14 ans) poignarde le traître Sterno (joué par Ovide Lorrain, 16 ans).

Jugeant que le faux poignard fourni par l'école manquait de réalisme, Ovide Lorrain avait apporté de son domicile un véritable poignard, à l'insu du personnel de l'école et malgré l'interdiction de sa belle-mère. Il l'avait prêté à Moïse Desjardins et lui avait montré comment empoigner son costume pour y faire passer la lame à travers le tissus, afin que l'illusion soit parfaite.

Mais dans le feu de l'action, à cause d'un faux mouvement, Moïse Desjardins a véritablement poignardé Ovide Lorrain à la gorge. Ce dernier a couru à l'arrière de la scène en criant "Je suis frappé!", avant de s'effondrer dans une mare de sang.

La victime, Ovide Lorrain
(La Presse, 21 juin 1895)

On a évidemment interrompu la présentation de la pièce et fait sortir le public, parmi lequel se trouvaient la belle-mère et les deux soeurs de la victime! Pendant qu'Ovide Lorrain agonisait, Moïse Desjardins, en état de choc, l'implorait de lui pardonner. Le jeune Desjardins est décédé au bout d'environ 15 minutes. Il était déjà mort à l'arrivée du Dr. J. O. Gadoury, qu'on était allé quérir d'urgence.

Lors de l'enquête du coroner McMahon, le lendemain matin, Moïse Desjardins a expliqué qu'un faux poignard en bois (totalement inoffensif) avait été utilisé pendant toutes les répétitions de la pièce. Ovide Lorrain lui avait donné le véritable poignard en lui expliquant comment procéder (empoigner sa robe pour que la lame traverse le tissus sans le blesser), mais Lorrain aurait bougé d'une façon que Desjardins n'avait pas prévu, et la lame a pénétré dans sa gorge.

Sans être des amis proches, Desjardins et Lorrain se connaissaient assez bien, et tous les témoins on confirmé qu'il n'avaient eu connaissance d'aucune querelle les impliquant.

La belle-mère de Lorrain a expliqué qu'elle lui avait interdit d'apporter le poignard à l'école pour jouer la pièce, elle l'avait même caché pour s'assurer qu'il ne l'apportait pas, mais il l'avait visiblement trouvé malgré tout.

Suite aux différents témoignages, le jury a rendu un verdict de mot accidentelle, n'imputant le blâme à personne.

Une dépêche publiée dans le journal La Presse du 24 juin 1895 indique que depuis le drame, Moïse Desjardins est très malade, au point que ses proches craignent pour sa vie.  On n'en a plus reparlé par la suite.

La Presse, 24 juin 1895

Yves Pelletier (Facebook)