Au début du XXe siècle, le nombre d'automobiles circulant dans les rues augmente rapidement, ce qui constitue un nouveau danger pour les piétons.
À Montréal, le premier piéton heurté mortellement par une automobile a été Antoine Toutant, le 11 août 1906, alors qu'à Québec, la première victime fut Eva Gagnon, le 4 octobre 1908.
Montréal, 11 août 1906 Antoine Toutant, 59 ans
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La Presse, 13 août 1906 |
Le samedi 11 août 1906 vers 20h30, Antoine Toutant, un "agent solliciteur en portraits au crayon" de 59 ans, est mortellement heurté par une automobile sur la rue Sainte-Catherine, près de l'intersection Maisonneuve. Accompagné de sa femme et de leur fils Oswald, âgé de 14 ans, Toutant était en train de traverser la rue Ste-Catherine au moment où un tramway s'est immobilisé pour faire descendre des passagers.
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Antoine Toutant (La Patrie, 13 août 1906) |
Pendant ce temps, une automobile qui roulait, selon des témoins, à une vitesse excessive, tente de contourner le tramway. L'automobile, qui appartient au Parc Dominion, est conduite par Thomas H. Atkinson. Herbert Dalbich, un autre employé du Parc Dominion, se trouve également dans le véhicule.
"J'ai assisté, a ajouté le témoin, à des courses, j'ai vu des tramways à toute vitesse, mais je n'ai vu jamais un cheval ou une voiture aller à une telle vitesse. Je ne crois pas exagérer en disant que la machine allait à une vitesse de 35 milles à l'heure." (R. Ernest Lambert, lors de l'enquête du coroner, cité dans La Presse du 13 août 1906)
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La Presse, 13 août 1906 |
La victime inconsciente est immédiatement transportée à la pharmacie Gauvin, située à proximité de l'accident. De là, une ambulance le transporte à l'hôpital Notre-Dame, où il rend l'âme 20 minutes plus tard. Atkinson et Dalbich sont immédiatement arrêtés.
Le lendemain, lors de l'enquête du coroner Biron, le jury demande que le conducteur Atkinson demeure emprisonné. Dalbich, qui était passager dans le véhicule mais ne le conduisait pas, est libéré, mais sera arrêté à nouveau, quelques semaines plus tard, pour avoir lui-même conduit trop rapidement sur la rue Ste-Catherine!
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La Presse, 11 septembre 1906 |
Lors de son procès, en septembre, Thomas H. Atkinson est condamné à 6 mois de prison pour homicide involontaire.
"Il a été établi que vous alliez au moins à une vitesse de 6 milles à l'heure quand l'accident est arrivée. Le règlement municipal ne vous permettant que 4 milles à l'heure, à l'intersection de deux rues. Dans les circonstances, vu que la rue était bondée de citoyens, vous auriez dû modérer la vitesse de l'automobile de manière à pouvoir l'arrêter instantanément." (le juge Choquet, cité dans La Patrie du 11 septembre 1906)
"Il faut bien comprendre que les routes et les rues appartiennent aux piétons et qu'il est du devoir de tous les conducteurs de véhicules quelconques d'arrêter ou du moins de ralentir leur marche lorsqu'un piéton traverse la route ou la rue. C'est là un devoir légal qui se néglige trop. Toutant n'aurait pas été tué si vous n'aviez pas marché si vite et si vous aviez rempli votre devoir qui consistait à arrêter lorsque vous avez vu la rue encombrée." (le juge Choquet, cité dans La Presse du 11 septembre 1906)
Le décès d'Antoine Toutant semble marquer le début d'une série d'accidents similaires. Le lendemain soir, une jeune fille nommée Gracie Hill est également heurtée par un automobiliste; elle subit des blessures assez graves, mais survit à l'accident. Une semaine plus tard, Sarfield Fleming, un garçon de 7 ans, est mortellement heurté par une automobile sur le chemin qui conduit à Lachine.
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Accident de Sarfield Fleming, La Presse 20 août 1906 |
"Avant que notre public ne s'exaspère contre les autos, aux mains de chauffeurs novices ou possédés de la folie de la vitesse, notre municipalité devrait prévenir de nouveaux accidents, en prenant des mesures sévères, afin de diminuer autant que possible le nouveau danger public que l'automobilisme multiplie chaque jour davantage. C'est déjà de trop que nous voyions de lourdes charrettes confiées aux soins de gamins, totalement incapables de conduire convenablement un cheval, sans que des autos, véritables faucheuses d'existences, ne soient mis en mains des premiers venus. (...) Nous avions trop de noyades par imprudence; trop d'hécatombes de chemins de fer; de grâce, qu'on nous dispense des bouillies humaines que semble vouloir nous réserver l'automobilisme. " (Album Universel, 25 août 1906)
Québec, 4 octobre 1908: Eva Gagnon, 17 ans
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La Presse, 5 octobre 1908 |
C'est deux ans plus tard, le 4 octobre 1908, qu'une première citoyenne de la ville de Québec décède sous les roues d'une automobile.
Vers 16h, Eva Gagnon, 17 ans, venait tout juste de descendre du tramway à l'angle des rues St-Bernard et St-Valier, devant l'hôpital du Sacré-Coeur. Elle s'apprêtait à traverser la rue en compagnie d'une amie, Alexandrine Pageau.
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Eva Gagnon (à gauche: La Presse, à droite La Patrie, 5 octobre 1908) |
"Un automobile venait en ce moment en sens inverse et ralentit son allure afin de laisser passer la jeune fille: celle-ci s'arrêtant aussi et pendant quelques secondes, on fut de part et d'autre dans l'expectative. Soudain, et au moment précis où le chauffeur se décidait à continuer sa route, la jeune fille poussée par une sorte de fatalité s'élança pour passer devant, mais elle avait mal calculé son élan et la malheureuse vint tomber sous les roues du lourd véhicule qui lui passèrent sur le corps. " (L'Action Sociale, 5 octobre 1908)
Le conducteur de l'automobile, Cyrille Robitaille Jr., transporte la victime chez le Dr. Bédard, où elle décède au bout d'un quart d'heure.
"Quand le correspondant de la Presse se présenta là, hier soir, la douleur de la mère faisait peine à voir: "J'avais quatre enfants, monsieur, nous dit-elle à travers ses sanglots! Il me reste une consolation: ma pauvre fille, en retraite, avait communié les trois derniers matins"." (La Presse, 5 octobre 1908)
L'enquête du coroner, qui se tient au domicile du père de la victime, arrive à la conclusion que la vitesse de l'automobile n'était pas excessive, puisque le conducteur l'a complètement immobilisée sur une distance de 10 pieds suite à l'impact. La mort est considérée comme accidentelle puisque le conducteur a fait tout son possible pour éviter l'accident.De nos jours, entre 60 et 80 piétons québécois meurent chaque année après avoir été heurtés par un automobiliste. C'était pire à une certaine époque (par exemple, en 1968, 463 piétons ont trouvé la mort sur les routes du Québec!). Nous pouvons nous réjouir des progrès accomplis en matière de sécurité routière, mais chaque victime est une victime de trop.
Yves Pelletier (Facebook, Mastodon)
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