Une automobile dans les rues de Québec! (1897)

En déambulant dans les rues de Québec de nos jours, nous serions bien surpris de n'apercevoir aucun véhicule automobile... Mais en juin 1897, lorsque le Dr. Henri-Edmond Casgrain y fit l'essai de son automobile, il ne passa pas du tout inaperçu! Il s'agissait en effet du premier véhicule automobile à rouler au Québec (les 3 premières automobiles montréalaises ne furent acquises qu'en 1898).

Dr.  Henri-Edmond Casgrain, Le Soleil, 16 mars 1903


Le Soleil du 4 juin 1897

L'automobile du docteur Casgrain était une "voiturette" construite en France par Léon Bollée. Très compacte et démunie de carrosserie, elle ressemblait beaucoup à une moto. Elle ne pesait que 330 livres (150 kg) et comportait deux roues directrices à l'avant, et une seule roue motrice à l'arrière. En plus du conducteur, un passager pouvait y prendre place grâce à un siège situé entre les deux roues avant. Le réservoir pouvait contenir assez d'essence pour parcourir une distance de 72 milles (115 km).  La puissance du moteur était de 2 chevaux-vapeur et on pouvait choisir 3 vitesses: 8 km/h, 20 km/h ou 32 km/h. Le Dr. Casgrain a fait l'essai de la vitesse la plus rapide sur le chemin Ste-Foy; d'après le journaliste du Soleil, "l'effet était vertigineux". On mentionne aussi qu'une promenade entre la rue St-Jean et Cap Rouge n'a duré qu'une heure et quart... Seul inconvénient, d'après le journaliste: la voiture fait beaucoup de bruit!

Affiche présentant la voiturette fabriquée en France par Léon Bollé

En plus d'être dentiste et échevin du quartier Saint-Louis, le Dr. Casgrain était inventeur (il aurait, entre autres choses, mis au point un procédé pour la fabrication de dentiers, un appareil servant à  faire fondre l'aluminium, ainsi qu'une machine à fabriquer des cigarettes). Pour que sa voiturette Bollée puisse être utilisée pendant l'hiver, il n'hésita pas à lui apporter certaines modifications qui sont décrites dans l'édition du 18 juin 1898 de la prestigieuses revue Scientific American: les deux roues avant sont remplacées par des skis en acier, et le pneu arrière est remplacé par un anneau de bois muni de crampons.

Les docteurs Henri-Edmond Casgrain et Emma Gaudreau, dans la voiturette Bollée modifiée pour l'hiver (Source: Scientific American, 18 juin 1898)

Le 10 juin 1900, le couple Casgrain est victime d'un des premiers accidents d'auto de l'histoire du Québec: au retour d'une promenade à Charlesbourg, pendant que la voiturette roule sur la rue du Pont, près de la rue St-Joseph, elle est heurtée par un tramway. Sous l'impact, le Dr. Casgrain et sa femme sont éjectés du véhicule; une jambe de Mme Casgrain est fracturée.

Mme Casgrain (née Emma Gaudreau) se remettra rapidement de ses blessures, et pourra continuer à exercer sa profession de dentiste (depuis le 6 avril 1898, elle est la première femme dentiste au Canada).


Lors de l'accident, la partie avant de la voiturette Bollée est sérieusement endommagée. C'est peut-être pour cette raison qu'à l'automne 1901, le Dr Casgrain fait l'acquisition d'une nouvelle automobile, arrivée d'Europe par le bateau Sylvania. Le Soleil et le Quebec Chronicle en font mention, sans préciser de quel modèle il s'agit.

Extrait du Quebec Chronicle du 31 octobre 1901

Ce nouveau véhicule servira en autres lors d'un petit voyage à Rivière-du-Loup, situé à 200 km de Québec.

Le Soleil, 26 août 1902

Aujourd'hui, plus de 5 millions d'automobiles de promenades sont immatriculés au Québec.

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Le Bremen traverse l'atlantique d'est en ouest (1928)

Le 12 avril 1928 à 5h38, un Junkers W 33 baptisé "Le Bremen" décolle de l'aérodrôme de Baldonnel, en Irlande, dans le but de traverser l'Atlantique et d'atterrir sur la piste de Mitchell Field, à New York. On prévoit qu'environ 40 heures de vol seront nécessaires pour parcourir une distance d'environ 4800 km.

La Patrie, 12 avril 1928

L'objectif est loin d'être banal: s'il arrive à destination, le Bremen deviendra le premier avion à avoir traversé l'océan Atlantique en partant de l'est et en volant vers l'ouest. Les vents, qui soufflent généralement vers l'est au-dessus de l'Atlantique, rendent cette traversée plus difficile que celle réalisée par Lindbergh (de l'ouest vers l'est) moins d'un an auparavant.

Depuis un an, trois avions se sont perdus en mer en tentant de traverser l'Atlantique d'est en ouest, causant la mort de sept personnes:

  • Le capitaine Charles-M. Nungesser et le capitaine François Coli, partis du Bourget, en France, à bord de L’Oiseau Blanc le 8 mai 1927.
  • Le Capitaine Leslie Hamilton, le lieutenant-colonel F. F. Minchin et la princesse Lowenstein-Wertheim, partis d’Upavon, en Angleterre le 31 août 1927 à bord du Saint-Raphael (plus de détails dans cet article).
  • Le capitaine Walter Hinchcliffe et Elsie Mackay, partis de Cromwell, en Angleterre, à bord de  l’Endeavour le 13 mars 1928.
Trois personnes ont pris place à bord du Bremen: l'allemand Herman Koehl et l'irlandais James Fitzmaurice, qui piloteront en alternance en se relayant toutes les 4 heures, et le baron Ehrenfried Gunther von Hunefeld, qui a financé l’entreprise, et qui aura pour fonction de pomper l’essence, de faire la cuisine et de tenir le registre de vol.  Koehl et Fitzmaurice ont tous les deux participé à la première guerre mondiale, dans des camps opposés (Koehl servait dans l'aviation allemande et Fitzmaurice dans l'aviation britannique).  Quelques mois plus tôt, Fitzmaurice a tenté une traversée de l'Atlantique aux côté du commandant Macinstosh, à bord du Princess Xenia, mais ils ont été obligés de rebrousser chemin. Comme c'est souvent le cas à l'époque, il n'y a pas de radio à bord, et l'appareil ne porte aucune bouée ou flotteur.

Lourdement chargé d'essence, le Bremen éprouve certaines difficultés à décoller; la queue de l'avion blesse un mouton qui broutait, et c'est grâce à une brèche dans un mur de pierre qu'on évite un désastre au décollage! Malgré tout, le décollage est réussi, et le Bremen prend la direction de l'océan Atlantique. 

Le lendemain, toutefois, le Bremen n'atterrit pas à Mitchell Field. Ce n'est que dans la soirée du 13 avril qu'on apprend ce qui est arrivé: le Bremen est bel est bien parvenu à traverser l'océan Atlantique! Toutefois, suite à une violente tempête, le monoplan a dévié de la trajectoire prévue et, ayant presque épuisé sa provision d'essence, il a été forcé d'atterrir sur la minuscule île Greenly, située au Québec, tout près de la côte du Labrador.  C'est le phare qui a attiré l'attention des pilotes, ils avaient d'abord cru qu'il s'agissait de la cheminée d'un navire. Lors de l'atterrissage sur la surface gelée d'un réservoir, l'hélice et le train d'atterrissage ont été endommagés, mais les trois aviateurs s'en sont tirés sans blessures.

Contrairement au plan de vol, le Bremen n'a donc pas atterri à New York mais, malgré tout, pour la première fois de l'histoire, un avion a traversé l'océan Atlantique volant vers l'ouest!


La Patrie, 14 avril 1928

Pendant l'hiver, l'île Greenly (aussi appelée "île Verte") n'est habitée que par 14 personnes, dont le gardien du phare Jacques Letemplier, qui a accueilli les pilotes suite à leur atterrissage.  Pour annoncer la nouvelle au reste du monde, il a été nécessaire de parcourir plusieurs kilomètres sur la surface gelée du golfe du St-Laurent avec un attelage de chiens afin d'atteindre l'émetteur radio le plus proche, à Pointe-Amour.

Dans les jours suivants, on tente de venir en aide aux trois aviateurs.  Le 15 avril, un avion de la Compagnie Aérienne Transcontinentale Canadienne avec à son bord le pilote Duke Schiller , le Dr Louis Cuisinier et le mécanicien Eugène Thibault atterrit à son tour sur l'île Greenly (l'année précédente, Duke Schiller avait tenté une traversée de l'océan aux commandes du Royal Windsor, tel que relaté dans cet autre article). Le Montcalm, un brise-glace du gouvernement canadien, se dirige péniblement vers l'île, mais il est ralenti par les glaces. 

Les trois aviateurs aimeraient réparer le Bremen et poursuivre leur périple jusqu'à New York.  Le matin du 16 avril, Schiller et Fitzmaurice décollent de l'île Greenly à bord de l'avion de la Compagnie Aérienne Transcontinentale Canadienne, en direction de La Malbaie. Puisqu'il est difficile de communiquer avec l'extérieur à partir de l'île, Fitzmaurice profitera de cette sortie pour discuter de la suite des choses avec Herta Junkers, la fille du concepteur du Bremen. Pendant ce temps, Cuisinier et Thibault sont restés sur l'île pour aider Koehl et Hunefeld à réparer le Bremen. Le mauvais temps oblige Schiller et Fitzmaurice à s'arrêter à Natashquan, puis à Clarke City (Sept-îles); il ne parviennent à La Malbaie que le 18 avril.

Le 20 avril, Bernt Belchen et Floyd Bennett décollent de l'aéroport de Detroit à bord d'un avion tri-moteur Ford afin d'apporter sur l'île Greenly diverses pièces de rechange nécessaires à la réparation du Bremen: un train d'atterrissage complet, une hélice, de l'essence...  Il s'agit de deux aviateurs célèbres: Belchen a participé à une traversée transatlantique à bord de l'America en 1927 (en compagnie de Byrd et d'Acosta) alors que Bennett a survolé le pôle nord avec Byrd (il n'a pas pu participer à la traversée de l'America car il avait été gravement blessé lors d'un vol d'essai). 

Après avoir fait escale à La Malbaie, le trimoteur Ford atterrit sur l'île Greenly le 23 avril­, avec à son bord Bernt Balchen, James Fitzmaurice, le mécanicien allemand Ernst Koeppen, ainsi que Charles Murphy, un reporter new-yorkais.

Floyd Bennett, toutefois, n'est pas à bord de cet avion: atteint d'une grave pneumonie, il a été transporté d'urgence par avion à l'hôpital Jeffery Hale de Québec. Son état est tellement grave que son médecin commande un sérum anti-pneumonique de l'institut Rockefeller, à New York.  12 bouteilles de ce sérum sont transportées par avion de New York à Québec par nul autre que Charles Lindbergh, mais c'est trop tard: Floyd Bennett décède le 25 avril 1928 à l'hôpital Jeffery Hale.


La Patrie du 25 avril 1928


Sur l'île Greenly, on doit se résigner: il ne sera pas possible de réparer suffisamment le Bremen pour qu'il puisse décoller de l'île. Le plan B consiste à transporter l'avion par bateau jusqu'à New York, le réparer à cet endroit pour traverser à nouveau l'Atlantique, dans l'autre sens.  Mais pour l'instant, les glaces empêchent le déplacement de l'avion par bateau.

Le 26 avril, Koehl, Fitzmaurice et Hunefeld s'envolent vers La Malbaie à bord de l'avion Ford. Le 27 avril, l'avion s'envole vers les États-Unis: le but est d'assister aux funérailles de Floyd Bennett à Washington mais, encore une fois, le mauvais temps complique les choses; l'avion est forcé d'atterrir à New York. C'est à bord d'un train que les aviateurs se rendent à Washington pour déposer des fleurs sur la tombe de Floyd Bennett, étant arrivés trop tard pour les funérailles. Ils retournent ensuite à New York où ils sont acclamés par une foule enthousiaste estimée à 2,5 millions de personnes.

Pour remercier la population canadienne de son aide et de son accueil, l'équipage du Bremen vient saluer la population de Montréal le 22 mai, puis celle de Québec le 23 mai. Ils arrivent en train car, encore une fois, les conditions atmosphériques ne permettent pas une arrivée en avion!

On finira par abandonner tout espoir de remettre le Bremen en état de voler. Le 6 août 1928, le Bremen arrive à Québec à bord du navire North Shore. Le public pourra l'admirer lors de la 18e exposition provinciale, à Québec, du 1er au 8 septembre 1928.

Publicité dans Le Soleil du 22 août 1928


Le Bremen fait maintenant partie de la collection du Henry Ford Museum of American Innovation.


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Les tentatives d'exploits aériens de septembre 1927

La première page du journal "Le Droit d'Ottawa" du 2 septembre 1927 est particulière, car presque tous ses grands titres font référence à des avions qui tentent de battre des records de distance:

  • "Le St-Raphael a-t-il eu le sort de l'Oiseau Blanc?"
  • "Courtney s'envole"
  • "Une aile en feu, le Royal Windsor a dû atterrir à St-Grégoire"
  • "Après avoir volé 300 milles dans la pluie et le brouillard, le Sir John Carling atterit"
  • "L'Oiseau bleu forcé de rentrer"
  • "Le Old Glory à la recheche du St-Raphael"
  • "Le Pride of Detroit parti pour Bagdad"

Le Droit, 2 septembre 1927

Au début du mois de septembre 1927, quelques mois après le vol historique de Charles Lindbergh, les aviateurs qui tentent à leur tour de traverser l'océan Atlantique sont extrêmement nombreux... à un point tel que des gouvernements songent sérieusement à légiférer pour mettre un terme à ces téméraires expéditions. 

Depuis le début de l'année 1927, avant même les tentatives que nous décrirons ci-dessous, on compte déjà quelques aviateurs décédés en tentant de traverser l'Atlantique en avion. Les plus célèbres d'entre eux sont probablement les français Charles Nungesser et François Coli, partis du Bourget le 8 mai 1927 à bord de l'Oiseau Blanc, à destination de New York, et qui se sont mystérieusement volatilisés en cours de route.

Des tragédies

1) Le Saint-Raphael (perdu en mer)

Le 31 août 1927 à 7h32, le monoplan Saint-Raphael décollait d'Upavon, en Angleterre, en direction d'Ottawa, au Canada, avec trois personnes à bord: le capitaine Leslie Hamilton, le colonel Frederick F. Minchin et la princesse Loweinstein-Werthein. Leur objectif était de réussir la première traversée de l'océan Atlantique en allant de l'est vers l'ouest. Ils espéraient accomplir le trajet en 37 heures, mais avaient assez de carburant pour voler pendant 44 heures. À Ottawa, le 1er septembre, la foule attendit en vain dans "le champ Lindbergh" (nommé ainsi depuis l'atterrissage de Lindbergh deux mois plus tôt): le Saint-Raphael n'a jamais atteint sa destination. Tout comme l'Oiseau Blanc, il a probablement sombré dans l'Atlantique.

Le Droit, 1er septembre 1927

2) Le Sir John Carling (perdu en mer)

L'objectif du Sir John Carling était d'accomplir le premier vol de l'histoire entre London au Canada et London (Londres) en Angleterre; son équipage aurait ainsi remporté un prix de $25 000. Son pilote était le capitaine Terry Tully, alors que le lieutenant James Metcalf agissait comme navigateur. Tout comme le Saint-Raphael, le Sir John Carling n'avait pas de radio à son bord.

Des milliers de spectateurs ont assisté au départ du monoplan le 1er septembre 1927 à 6h34. Puisque l'avion ne peut pas emmagasiner suffisamment de carburant pour accomplir toute la distance sans faire d'escale, le plan de vol prévoit un ravitaillement à Terre-Neuve.

Malgré une escale imprévue dans le Maine à cause d'un épais brouillard, le Sir John Carling atteint Hâvre-de-Grâce à Terre-Neuve, d'où il décolle le matin du 7 septembre 1927 (à 7h24) en direction de l'Angleterre. Il n'a jamais atteint sa destination, et a sombré quelque part dans l'océan Atlantique.

Jimmy-V. Medcalfe, Terry-B. Tully et Charles Burns devant le Sir John Carling
 (La Presse, 1er décembre 1927)

3) Le Old Glory (perdu en mer)

L'objectif initial du Old Glory était d'accomplir le premier vol de l'histoire entre New York et Rome. Mais après quelques tentatives ratées, on a conclu qu'il fallait une piste de décollage plus longue que le champ Roosevelt. C'est donc de Old Orchard, dans le Maine, que le Old Glory a pris son envol, le 6 septembre 1927 à 12h23, avec trois personnes à son bord: James Dewitt Hill (pilote),  Lloyd Wilson Bertaud (opérateur radio)  et Phillip A. Payne (directeur-gérant du Mirror de New York). Le 7 septembre vers 4 heures du matin, le Old Glory émit deux messages de détresse à 6 minutes d'intervalle, qui sont captés par le navire Transylvania, qui dévia de sa course pour tenter de trouver l'avion, mais sans succès. Le 12 septembre, des débris de l'avion furent retrouvés, à 600 milles des côtes de Terre-Neuve. L'état de débris ne laissait aucun doute sur le sort des trois personnes à bord: l'accident n'avait pas fait de survivant.

Le Droit, 8 septembre 1927

À l'intérieur d'une même semaine, 3 avions ont donc disparu dans l'océan Atlantique, faisant 8 victimes. 

Des abandons

Sans parvenir à traverser l'océan, d'autres équipages ont été plus chanceux, puisqu'ils ont eu la vie sauve:

4) Le Royal Windsor (abandon)

Le monoplan Royal Windsor avait pour objectif d'effectuer un vol sans escale de Windsor, au Canada, à Windsor, en Angleterre. La durée de la traversée était évaluée à environ 40 heures.  Clarence Alvin Duke Schiller (pilote) et Phil Wood (navigateur) décollèrent le 1er septembre 1927 à 10h18. Mais dans les heures suivantes, l'aile gauche de l'avion prit feu, et ils furent forcés d'atterrir à Saint-Grégoire, au Québec, endommageant le gouvernail pendant la manoeuvre. Les dommages étant limités, un forgeron local parvint à remettre l'avion en état et il put reprendre son vol dans les jours suivants. Le matin du 7 septembre, l'avion décolle de Old Orchard, dans le Maine (la raison de cette présence à Old Olchard est un peu nébuleuse) en direction de Hâvre-de-Grâce, à Terre-Neuve, où ils constatent une fuite dans leur réservoir d'essence. À ce moment, le triste sort du Saint-Raphael, du Old Glory et du Sir John Carling est connu, et les bailleurs de fond du projets ordonnent à Schiller et Wood de rebrousser chemin, ce qu'ils acceptent de faire, à contre coeur, le 14 septembre.

La Presse, 3 septembre 1927

5) L'Oiseau Bleu (abandon)

Le 2 septembre 1927 à 6h31, les aviateurs français Léon Givon et Pierre Corbu s'envolent du Bourget à bord du biplan L'Oiseau bleu, dans l'espoir d'atteindre New York, mais le brouillard les oblige à rebrousser chemin après deux heures de vol. Le 6 septembre, Givon se blesse dans une bagarre avec des ouvriers qui l'ont traité de lâche suite à la traversée avortée. Le projet de vol transatlantique par l'Oiseau Bleu est ensuite abandonné: le journal Le Canada du 11 octobre 1927 parle plutôt de préparations en vue d'un vol pour Dakkar. Pierre Corbu est décédé en décembre 1927 lors des essais d'un nouvel avion.

6) Le Whale (abandon)

Le 3 septembre 1927 à 6h26, le Whale s’envole de Plymouth, en Angleterre vers les Açores, où il compte faire escale avant de gagner New York. L'hydravion est piloté par le capitaine F. T. Courtney, assisté du lieutenant Downer (navigateur) et de R. F. Little (ingénieur). De plus, un millionnaire montréalais, E.B. Hosmer, a payé $7500 pour prendre place à bord. De forts vents obligent toutefois le Whale a atterrir d'urgence en Espagne. Le 12 septembre, la Westminster Gazette annonce qu'elle a cessé son support financier pour le vol transatlantique du Whale, qui n'aura donc pas lieu.

7) Le Princess Xenia (abandon)

Le 16 septembre 1927, le Princess Xenia s'envole de Dublin en direction de New York; on prévoit une escale à Terre Neuve. L'appareil est piloté par le commandant R.H. Macintosh accompagné du capitaine James C. Fitzmaurice. Le monoplan volait au-dessus de l'Atlantique lorsque les aviateurs furent forcés de rebrousser chemin, à cause des forts vents et de la faible visibilité.

La Patrie, 17 septembre 1927

8) L'American Girl (abandon)

Dès le 9 septembre, on commence à parler de la jeune aviatrice américaine Ruth Elder et de son projet de traverser l'Atlantique à bord du American Girl en compagnie du navigateur George W. Haldeman, mais ce n'est que le 11 octobre que l'avion décolle du champ Roosevelt pour un vol sans escale vers Paris. La rupture d'une conduite d'huile les oblige à amerrir en catastrophe au large des Açores, où ils sont rescapés par le navire hollandais Barendrecht.

9) Le Columbia (abandon)

Charles A. Levine et Walter Hincheliffe avait également annoncé leur intention de traverser l'Atlantique d'est en ouest à bord du Columbia, mais le projet fut abandonné.


D'autres itinéraires

Si la traversée de l'océan Atlantique était particulièrement à la mode en septembre 1927, d'autres aviateurs ont tenté d'autres exploits: 

10) Port of Brunswick (perdu en mer ou dans la jungle amazonienne)

Même si sa tentative de voler des États-Unis vers le Brésil à bord du Port of Brunswick a eu lieu à la fin du mois d'août 1927, les journaux du mois de septembre s'interrogent encore occasionnellement sur le sort qu'a bien pu connaître Paul Redfern (voir l'article détaillé sur la disparition de Paul Redfern).

11) Pride of Detroit (réussite partielle)

Finalement, William S. Brock et Edward F. Schlee, eux, ont réussi la traversée de l'Atlantique à bord du Pride of Detroit. Ils ont décollé de Havre-de-Grâce, à Terre-Neuve, à 5h14 le 27 août 1927, et ont atterri à Croydon, près de Londres, le 28 août à 10h35. Leur objectif, toutefois, était plus ambitieux: ils désiraient retourner à Havre-de-Grâce après avoir fait le tour du monde en avion! De jour en jour, les journaux nous rapportent leur nouvelle position: Munich , Belgrade, Constantinople, Bagdad, Calcutta, Rangoon, Tokyo... Le 15 septembre, devant l'opinion publique qui considère comme un véritable suicide leur projet de traverser l'océan Pacifique, ils décident de mettre un terme à leur voyage autour du monde. Le Pride of Detroit s'envole vers Yokohama pour être mis sur un bateau à destination de San Francisco.

Le Droit, 30 août 1927

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Visite tragique de Charles Lindbergh à Ottawa (1927)

Ottawa, 2 juillet 1927: la visite du colonel Charles Lindbergh constitue un moment fort des festivités du 60e anniversaire de la confédération canadienne. Lindbergh est au sommet de sa gloire, puisqu'il vient tout juste d'effectuer son historique traversée en solitaire de l'océan Atlantique environ un mois auparavant.

Le Droit, 4 juillet 1927

Parti de Detroit quelques heures plus tôt aux commandes de son monoplan "The Spirit of St-Louis", Lindbergh est apparu dans le ciel d'Ottawa peu après 13h, accompagné d'une escadrille de 12 avions américains.  Il a d'abord effectué quelques courbes au-dessus de l'édifice du parlement, avant de se diriger vers le lieu prévu pour l'atterrissage: le champ du Hunt Club, où une foule imposante (25 000 personnes selon Le Droit, 50 000 selon La Presse) attend son arrivée.

Lindbergh est le premier à atterrir, sous les cris d'acclamation de la foule. Pendant ce temps, les 12 autres avions effectuent des manoeuvres spectaculaires au-dessus du champ d'atterrissage en attendant leur tour d'atterrir.

Mais vers 13h20, l'avion du lieutenant J. Thad Johnson entre soudainement en collision avec un autre appareil, celui du lieutenant H. A. Wooding.  Malgré une hélice tordue, le lieutenant Wooding parvient à conserver la maîtrise de son appareil et à atterrir sans subir de blessures. 

Le lieutenant Johnson, n'a toutefois pas cette chance: la queue de son appareil a été arrachée lors de l'impact. Ayant perdu la maîtrise de son biplan, il saute du cockpit, mais son parachute n'a pas le temps de s'ouvrir; il meure sur le coup en arrivant au sol.

La Presse, 4 juillet 1927

Le colonel Lindbergh, qui s'apprêtait à monter dans une voiture pour se rendre aux cérémonies prévues sur la colline parlementaire, demande à être escorté jusqu'à l'endroit de l'accident, où on lui confirme le décès de son compatriote.

C'est avec des signes évidents de tristesse que Charles Lindbergh continuera le programme prévu pour le reste de la journée: cérémonie protocolaire sur la colline parlementaire en compagnie du premier ministre W. L. Mackenzie King, devant une foule de 35 000 personnes, apparition à quelques compétitions sportives,  goûter chez le gouverneur général lord Willington, banquet en l'honneur de William Phillips, ministre américain au Canada, etc. Dans son discours sur la colline du parlement, Lindbergh évoque l'émergence imminente de lignes aériennes entre les États-Unis et le Canada.

Le Droit, 5 juillet 1927: Lindbergh lors de son discours, et Lindbergh avec Lord Willington.

Lors d'une rencontre avec des journaliste en soirée, Lindbergh se déclare très peiné par le décès du lieutenant Johnson, un pilote expérimenté, qu'il connaissait bien.  Il ajoute : "C'est un accident très regrettable, mais il aurait pu se produire en n'importe quel autre endroit étant donné qu'il eut lieu durant des manoeuvres que l'escadrille fait régulièrement".

Le lendemain, 3 juillet, le cercueil du lieutenant Johnson fut exposé en chapelle ardente dans l'aile est du parlement, où se tint une cérémonie funéraire. La dépouille fut ensuite amenée à la gare pour être transportée à Fenton, au Michigan, dans un train spécial du Canadien National. Des milliers de personnes assistèrent au passage du cortège. Aux commandes du Spirit of St Louis, le colonel Lindbergh escorta le train, laissant tomber des fleurs sur le wagon.

Le 4 juillet, une enquête sur le décès du lieutenant Johnson est présidée par le coroner J.E. Craig, en présence de 7 des pilotes qui accompagnaient Lindbergh. On arrive à la conclusion que Johnson a temporairement perdu le contrôle de son appareil à cause d'un remous d'air causé par le mouvement circulaire rapide des avions, ce qui a provoqué la collision avec l'appareil de Wooding.  Suite à la collision, l'avion de Johnson a descendu d'environ 60 m (200 pieds), et Johnson en a sauté alors qu'il se trouvait à environ 40 m du sol (125 pieds).

Deux chemins situés à proximité de l'aéroport d'Ottawa ont été baptisés en souvenir de cette journée: Lindbergh Private et Thad Johnson Private.


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Effondrement du pont Duplessis (1951)

Le 31 janvier 1951, par une nuit glaciale, des résidents de Trois-Rivières sont brusquement réveillés par un bruit assourdissant: le Pont Duplessis, construit trois ans plus tôt, vient de s'effondrer! 

Le Nouvelliste, 31 janvier 1951

La construction du pont

C'est le 8 juin 1946 que Maurice Duplessis, premier ministre du Québec et député du comté de Trois-Rivières, annonce la construction d'un nouveau pont au-dessus de la rivière St-Maurice pour relier Trois-Rivières à Cap-de-la-Madeleine, au coût de 3 millions de dollars.

Le Nouvelliste, 8 juin 1946

Ce nouveau pont de béton à superstructure d'acier remplacera le vieux pont construit en 1900, qui ne répond plus à la densité actuelle de la circulation. Tout comme l'ancien pont, le nouveau pont sera constitué de deux sections: la section ouest reliant Trois-Rivières à l'île St-Christophe, et la section est reliant Cap-de-la-Madeleine à l'île St-Christophe.

La Dufresne Engineering et son sous-traitant, la Dominion Bridge, entreprennent les travaux le 28 juin 1946. Malgré une pénurie de matériau et quelques retards occasionnées par la crue printanière, la construction s'effectue en un temps record, et le pont est ouvert à la circulation le 21 décembre 1947. L'ancien pont est immédiatement fermé, et on entreprend sa démolition.

L'inauguration officielle du pont a lieu le 6 juin 1948. Suite à une recommandation du conseil municipal de Trois-Rivières, le nouveau pont est baptisé "pont Duplessis", en l'honneur de Maurice Duplessis, premier ministre du Québec, et de son père, Nérée Duplessis, qui avait été juge à la cours supérieure et député de Trois-Rivières.

Le Nouvelliste, 5 juin 1948

Affaissement et fissures

Le 25 février 1950, environ 2 ans après son ouverture, une partie du pont s'affaisse d'environ 20 cm, dans la section est (entre Cap-de-la-Madeleine et l'ile St-Christophe), à cause d'une large fissure dans une poutre d'acier. Le pont est temporairement fermé aux véhicules lourds, les usagers du transport en commun doivent traverser le pont à pied.

Le Nouvelliste, 27 février 1950

Une semaine plus tard, on annonce la découverte d'une deuxième fissure, dans la section ouest du pont (entre Trois-Rivières et l'île St-Christophe).  

Des travaux de réparation et de renforcement du pont sont entrepris par la Dufresne Engineering et la Dominion Bridge.  On annonce la fin de ces travaux le 7 août 1950. 

Le Nouvelliste, 3 mars 1950

Le pont s'écroule!

Le 31 janvier 1951, c'est la catastrophe: vers 3 heures du matin, par une température d'environ -30°C, quatre travées de la section ouest du pont s'effondrent dans la rivière St-Maurice. Des résidents des alentours s'éveillent brutalement, et croient qu'il s'agit d'un tremblement de terre.

Heureusement, peu de voitures circulent sur le pont à cette heure de la nuit, mais quatre personnes perdent la vie: 

  • Henri-Paul Gendron, chauffeur de taxi de Cap-de-la-Madeleine
  • Paul S. Fiset, voyageur de commerce de Ville St-Laurent
  • Noël Doucet, de Cap-de-la-Madeleine, employé de la Canada Iron Foundries
  • Maurice Baumier, de Cap-de-la-Madeleine, employé de la Canada Iron Foundries

La Presse, 31 janvier 1951

Le chauffeur de taxi Benoît Lefebvre et ses deux clients, Roger Landry et Maurice Surprenant, ont plus de chance: le véhicule conduit par Lefebvre chute tout près de la berge et ils s'en sortent vivant, devenant les principaux témoins de l'effondrement.

L'effondrement du pont engendre de graves problèmes pour la population: puisqu'on a détruit l'ancien pont désuet, il faut faire un détour de plus de 60 km pour aller de Trois-Rivières à Cap-de-la-Madeleine, en passant par Shawinigan. De plus, les câbles de la compagnie de téléphone ont été rompus, et pendant quelques jours il est donc impossible de communiquer par téléphone d'une rive à l'autre; pour remédier à la situation, une station de radio locale diffuse gratuitement les messages personnels des citoyens.

Grâce à un pont ferroviaire qui, lui, est demeuré intact, la compagnie Canadien Pacifique met en place un service de train pour permettre aux travailleurs de traverser la rivière. On établit également un service de traversier (on emprunte un bateau de la traverse Québec-Lévis) et on construit sur la glace de la rivière une passerelle de bois qui permet aux piétons de traverser sur l'autre rive de façon sécuritaire.

Le 6 février 1951, Roland Trottier remorque, au volant d'un tracteur, les véhicules qui sont tombés lors de l'effondrement du pont. La glace cède sous le poids du tracteur, qui s'enfonce dans les eaux glacées de la rivière. Roland Trottier devient indirectement la cinquième victime de l'effondrement.

Le Nouvelliste, 7 février 1951

Les ponts Bailey

En attendant la reconstruction permanente du pont, on emprunte d'Hydro Ontario des "ponts Bailey": il s'agit de ponts portatifs préfabriqués, initialement conçus pour un usage militaire. On installe deux ponts Bailey à sens unique: un pont pour aller de Trois-Rivières à Cap-de-la-Madeleine, et un autre pour aller de Cap-de-la-Madeleine à Trois-Rivières. Chaque pont est large de 12 pieds (3,5 m), et est muni d'une passerelle pour les piétons.

L'installation des ponts Bailey débute à la fin de février 1951; ils sont ouverts à la circulation automobile à la fin du mois de mai. À partir de ce moment, la circulation entre Trois-Rivières et Cap-de-la-Madeleine revient à peu près à la normale, même si la vitesse des véhicules est limitée. Le service de bateau passeur, devenu inutile, est interrompu.

La commission Lippé

Une commission d'enquête présidée par René Lippé est tenue du 27 août au 25 septembre 1951. Son rapport est dévoilé le 22 novembre 1951. 

Les conclusions sont que le pont s'est effondré suite à la rupture d'une poutre métallique maîtresse. L'hypothèse d'un sabotage (privilégiée dès le départ par le premier ministre Duplessis) ne peut pas être complètement éliminée, mais la chute du pont peut être attribuée à "un phénomène qui dépasse les connaissances actuelles de la science du génie".

D'autre part, la commission considère qu'aucune faute ou négligence ne peut être attribuée au gouvernement du Québec, ni aux compagnies qui ont construit le pont (Dufresne Engineering et Dominion Bridge).

La semaine suivant le dévoilement du rapport de la commission Lippé, le chef de l'opposition libérale, George Marler évoque un rapport commandé par la Dominion Bridge suite à l'apparition des fissures de 1950, qui concluait que l'acier employé était de mauvaise qualité. Apparemment, ce genre de test n'a pas été effectué suite à l'effondrement du pont!

Le Devoir, 22 novembre 1951


L'Avenir du Nord, 7 décembre 1951

Reconstruction du pont

La reconstruction du pont Duplessis s'amorce en mars 1953. On ne se contente pas de réparer la partie effondrée: toute la section ouest du pont, entre Trois-Rivières et l'île St-Christophe, est reconstruite. 

La section ouest du pont est rouverte à la circulation le 22 novembre 1953. On continue toutefois d'utiliser les ponts temporaires (Bailey) entre Cap-de-la-Madeleine et l'ile St-Christophe, car la section est  du pont demeure fermée à la circulation.

Des travaux de consolidation sont finalement effectués sur la section est (entre Cap-de-la-Madeleine et l'ile St-Christophe) en 1955, et le pont Duplessis reconstruit est à nouveau ouvert à la circulation, sur la totalité de sa longueur, le 1er décembre 1955.

Près de 5 ans après leur installation, les ponts Bailey entre Cap-de-la-Madeleine et l'île St-Christophe peuvent enfin être démantelés.

Le Nouvelliste, 1er décembre 1955


Yves Pelletier (Facebook)