Mourir en jouant au hockey (Alcide Laurin 1905 et Owen McCourt 1907)

Coups de bâtons, coups de poings...au début du XXe siècle, le hockey est un sport brutal... et aucun joueur ne porte de casque!

Dans cet article, nous combinons deux événements survenus à deux ans d'intervalle, qui présentent de nombreuses similarités: dans les deux cas, un jeune joueur de hockey meurt d'un coup de bâton à la tête pendant un match particulièrement violent, et son agresseur doit ensuite faire face à des accusations de meurtre au palais de justice de Cornwall, en Ontario.


1905: Décès d'Alcide Laurin, procès d'Allan Loney

La Presse, 1er mars 1905

Le 24 février 1905, Alcide Laurin, meurt des suites d'un coup à la tête asséné par Allan Loney, lors d'un match de hockey amateur à Maxville, en Ontario.

Joueur talentueux, Alcide Laurin, 24 ans, est le capitaine de l'équipe d'Alexandria. Il joue à la position "rover", qui n'existe plus de nos jours; contrairement aux 6 autres joueurs, le rover n'occupait pas une position précise sur la patinoire, il se déplaçait au gré des besoins, jouant parfois à l'attaque, parfois à la défense.

Alcide Laurin (La Presse, 2 mars 1905)

Âgé de 19 ans, Allan Loney est un défenseur de l'équipe de Maxville. Il a la réputation de jouer d'une façon plutôt agressive.

Allan Loney, The Ottawa Journal, 27 février 1905

La population d'Alexandria est majoritairement francophone et catholique, alors que celle de Maxville est anglophone et protestante, ce qui contribue à exacerber la rivalité entre les deux équipes. Chaque partie de hockey ou de crosse impliquant ces deux localités amène son lot d'insultes et de gestes violents.

L'arbitre Bernard O'Connor considère que la partie du 24 février 1905 est le match de hockey le plus violent qu'il ait eu l'occasion de voir dans sa vie. Au moment où la moitié du temps est écoulé, il a déjà décerné 5 pénalités aux joueurs de Maxville, et deux à ceux d'Alexandria. Au début du match, Loney a même tenté d'intimider l'arbitre, le menaçant de s'en prendre à lui s'il continue de punir les joueurs de son équipe!

Bernard O'Connor (La Presse, 2 mars 1905)

Allan Loney vient tout juste de soutirer la rondelle à Alcide Laurin lorsque ce dernier le frappe violemment aux jambes avec son bâton, qui casse sous l'impact. Selon plusieurs témoins, Laurin aurait également asséné un ou deux coups de poings au visage de Loney. Loney réplique en élevant son bâton au-dessus de ses épaules, et en l'abaissant violemment sur la tête de Laurin, juste au-dessus de son oreille gauche.

Alcide Laurin s'effondre immédiatement sur la patinoire, où il reste immobile. Son frère Léon, qui joue également pour l'équipe d'Alexandria, se rue sur Loney et l'abreuve de coups de poings. Dans les minutes suivantes, on constate avec consternation qu'Alcide Laurin est mort.

L'autopsie démontrera que le décès a été causée par une fracture de l'os temporal causé par un choc violent sur le côté gauche du crâne. Fracture est longue de 2 pouces et large d'un demi pouce.

Même si le décès a eu lieu à Maxville, l'enquête du coroner se déroule à Alexandria, le 3 mars 1905. Les jurés concluent alors qu'Alcide Laurin est décédé d'un coup violent porté à la tête par Allan Loney, et qu'il ne s'agissait pas d'un geste de légitime défense.

Par conséquent, Allan Loney est accusé du meurtre d'Alcide Laurin. La couronne réduira toutefois l'accusation à homicide involontaire.

Le procès d'Allan Loney s'ouvre à Cornwall le 28 mars. Cette fois, on prend soin de former un jury qui n'inclut aucun citoyen de Maxville ou d'Alexandria.

Lors du procès, Loney déclare avoir perdu connaissance suite aux coups que lui a portés Alcide Laurin. Il prétend qu'il ne se souvient pas avoir frappé Laurin avec son bâton. Le Dr McDermid confirme qu'il a soigné Loney pour une blessure au nez et des contusions au visage.

Léon Laurin (La Presse, 3 mars 1905)

Léon Laurin, frère de la victime, maintient que c'est lui-même qui a brisé le nez de Loney suite à l'agression qui a coûté la vie à son frère. Les témoignages à ce sujet divergent: quelques témoins affirment qu'Alcide Laurin avait effectivement blessé Loney au visage juste avant de recevoir le coup fatal, alors que d'autres n'ont rien remarqué de tel.

Le Canada, 31 mars 1905

Au terme du procès, le 30 mars 1905, Allan Loney est finalement acquitté et ovationné par la foule.

Lors de sa déclaration, le président du jury déplore toutefois que les journaux glorifient les sportifs qui agissent en brute au hockey, à la crosse et au football. Il considère que ces sports devraient être interdits par la loi.

Lors de leur description de l'incident, les journaux québécois insistent beaucoup sur le fait que la victime est canadienne-française, contrairement à son agresseur.  Le 6 mars, le journal La Presse annonce même qu'une équipe de hockey de Cornwall, entièrement composée de frères d'une même famille canadienne-française, lance un défi aux joueurs de l'équipe de Maxville. "Ces braves athlètes veulent montrer aux joueurs de Maxville comment on joue au hockey selon les règlements et sans s'assommer."

La Presse, 6 mars 1905


Les membres de la famille Charlebois: Olivier, Alonzo, Denis, Octave, Albert, Édouard,  Aliter, Joachim, Alfred et Narcisse (La Presse, 6 mars 1905)


1907: Décès d'Owen McCourt, procès de Charles Masson


La Presse, 8 mars 1907

Deux ans plus tard, le 6 mars 1907 Owen "Bud" McCourt est blessé à mort lors d'un match de la ligue fédérale de hockey opposant le Club de Hockey Cornwall aux Victorias d'Ottawa.

Owen McCourt est un attaquant de l'équipe de Cornwall; il est âgé de 22 ans. Il a l'habitude de jouer de façon agressive. Lors de ce match en particulier, il a de nombreux accrochages avec Arthur Throop, chacun des deux joueurs recevant une pénalité pour avoir frappé l'autre.

Owen McCourt (La Patrie, 8 mars 1907)

À un certain moment pendant la partie, Charles Chamberlain frappe Owen McCourt à la tête. Furieux, McCourt se lance à la poursuite de Chamberlain et élève son bâton, dans l'intention de le frapper. Charles Masson intervient afin de protéger son coéquipier Chamberlain: il frappe McCourt à la tête avec son bâton. Owen McCourt s'effondre sur la patinoire, et il s'ensuit une mêlée générale pendant laquelle Zina Runions frappe Masson, et un joueur non-identifié frappe Arthur Throop à la tête.


Arthur Throop (La Patrie, 8 mars 1907)

À la suite de cette échauffourée, deux joueurs sont sérieusement blessés à la tête: Arthur Throop, des Victorias d'Ottawa, et Owen McCourt du club de Cornwall. Throop décide de ne pas revenir au jeu, mais McCourt insiste pour continuer la partie après s'être pansé la tête avec un mouchoir.

Ce retour au jeu ne dure toutefois que quelques minutes: à cause de la gravité de sa blessure à la tête, McCourt est forcé d'abandonner à son tour. Appelé sur les lieux, le Dr Alguire fait transporter McCourt à l'hôpital, où on procèdes à une trépanation pendant la nuit. Owen McCourt décède à l'hôpital le lendemain matin à 8h.

L'enquête du coroner se tient à Cornwall le 13 mars 1907. Suite aux témoignages entendus, les jurés concluent qu'Owen MCourt est mort d'un coup à la tête asséné par Charles Masson, 22 ans, défenseur des Victorias d'Ottawa.

Charles Masson (La Patrie, 8 mars 1907)

Procès de Charles Masson débute à Cornwall le 10 avril 1907, au même endroit où a eu lieu le procès d'Allan Loney deux ans auparavant. Masson est acquitté, car Owen McCourt a reçu plusieurs coups à la tête pendant le match (dont un par Charles Chamberlain, très peu de temps avant le coup porté par Masson), et il est impossible de déterminer lequel de ces coups lui a été fatal!

La Presse, 12 avril 1907


Yves Pelletier


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Les péripéties du navire transatlantique Mount Temple (1907-1916)

Construit en 1901, ce navire s'est échoué sur un rocher au large de la Nouvelle-Écosse en 1907, a été incapable de secourir les passagers du Titanic en 1912, puis a finalement été coulé par les allemands pendant la Première Guerre Mondiale, emportant avec lui au fond de l'océan Atlantique de précieux ossements de dinosaures!

La Patrie, 3 décembre 1907

Au début de l'année 1903, la compagnie du Canadien Pacifique fait l'acquisition de 14 navires à vapeur destinés à naviguer sur l'océan Atlantique. L'un d'entre eux est le Mount Temple, qui a été fabriqué en Angleterre deux ans plus tôt. Avant son acquisition par le Canadien Pacifique, le navire avait brièvement été utilisé pour le transport de chevaux entre les États-Unis et l'Afrique du Sud pendant la seconde guerre des Boers.

Le Soleil, 24 février 1903

Après quelques modifications, le Mount Temple peut dorénavant transporter plus de 1000 passagers de troisième classe, et 14 passagers de 1ère classe. Une publicité parue dans La Presse du 3 septembre 1903 nous apprend que le prix d'un voyage en troisième classe de Montréal à Liverpool est de $25 (la traversée dure 2 semaines et demi).

Publicité parue dans La Presse du 3 septembre 1903


1907: Naufrage du Mount Temple en Nouvelle-Écosse

Pendant la nuit du 2 décembre 1907, alors qu'il transporte 600 passagers embarqués à Anvers, le Mount Temple affronte une sévère tempête hivernale près des côtes de la Nouvelle-Écosse. La mer est agitée, et la neige rend la visibilité presque nulle. Soudainement, le navire s'échoue sur des récifs de l'Île West Iron Bound, près de l'embouchure du fleuve La Hève.


La Patrie, 3 décembre 1907

La mer étant trop agitée pour permettre une évacuation par des chaloupes de sauvetage, des marins parviennent à dresser de longs câbles entre le navire et la terre ferme, et les passagers sont évacués dans des paniers suspendus aux câbles, par groupes de 2 ou 3. Une fois sur la terre ferme, les 600 passagers et les 150 membres d'équipage ne sont pas au bout de leur peine, car la tempête de neige continue de faire rage, et l'île n'est habitée que par deux familles. 150 passagers sont évacués à bord du bateau à vapeur Trusty, les 500 autres passeront la nuit sur l'île, ou à l'intérieur des goëlettes Hazel et Guide. Malgré les difficultés, on ne déplore aucune perte de vie.


La Presse, 6 décembre 1907

Le 5 décembre, les naufragés du Mount Temple arrivent par train à Montréal. Une foule les attend à la gare Windsor, mais la plupart des passagers, majoritairement originaires d'Europe de l'Est, sont déjà descendus à Montreal Junction afin de prendre un autre train vers l'ouest canadien.

Le Mount Temple demeure échoué pendant tout l'hiver. Ce n'est qu'en avril 1908 qu'il est enfin dégagé de sa fâcheuse position et peut reprendre la mer.

La Patrie, 16 avril 1908

1912: Naufrage du Titanic

Dans la soirée du 14 avril 1912, J. Durnant, opérateur radio à bord du Mount Temple, reçoit un message de détresse en provenance du Titanic. Il avise aussitôt le capitaine J.P. Moore, qui met le cap en direction de la position supposée du navire en difficulté. Retardé par les glaces et se basant sur une position erronée, le Mount Temple arrive trop tard sur les lieux pour pouvoir venir en aide aux naufragés du Titanic. 

Le Devoir, 26 avril 1912


1913: Le Mount Temple s'échoue devant Longueuil

Le matin du 24 septembre 1913, alors qu'il vient tout juste de quitter le port de Montréal en direction de Londres et d'Anvers, le Mount Temple s'échoue devant Longueuil. Deux jours sont nécessaires pour le renflouer, et il doit ensuite être déchargé de son contenu pour permettre des réparations.

La Patrie 24 septembre 1913

Le 16 octobre, le Droit rapporte que trois marins du Mount Temple ont été mis en arrestation pour avoir été les instigateurs d'une grève: les marins prétendent que les réparations sommaires faites au navire suite à son échouement ne lui permettent pas de traverser l'Atlantique de façon sécuritaire.

Le Droit, 16 octobre 1913


1916: Le Mount Temple est coulé par les Allemands

La dernière traversée transatlantique du Mount Temple débute à Montréal en décembre 1916; le navire porte à son bord plus de 700 chevaux destinés aux soldats qui font la guerre en France, du blé, des oeufs, des pommes...et 22 grosses caisses de bois renfermant des squelettes de dinosaures découverts à Red Deer, en Alberta, et destinés à un musée londonien.

Le Devoir, 17 janvier 1917

Le 6 décembre, le Mount Temple est torpillé par le navire allemand Möwe. Quatre membres d'équipage sont tués, les autres sont faits prisonniers. Le navire est coulé.

Dans son édition du 19 décembre 1917, le journal La Patrie publie une entrevue avec Alex Fontaine, un agriculteur québécois originaire d'Upton, en Montérégie. Âgé de soixante ans, il avait été engagé pour prendre soin des chevaux à bord du Mont Temple. Il s'agissait de sa toute première traversée. Suite à la capture du Mont Temple, il a été emprisonné pendant 8 mois au camps de Brendebourg. Il déclare avoir vu mourir de faim un grand nombre de prisonniers.

Alex Fontaine (La Patrie, 19 décembre 1917)

Yves Pelletier


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Sarah Maxwell et l'incendie de l'école d'Hochelaga (1907)

Le 26 février 1907, un incendie dans école protestante du quartier Hochelaga fait 17 victimes, dont la directrice de l'école, Sarah Maxwell, qui meurt en tentant de sauver ses élèves.

La Presse, 27 février 1907

Située sur la rue Préfontaine, dans le quartier Hochelaga à Montréal, l'école Ste-Mary accueillait  environ 170 enfants anglophones de religion protestante. Il s'agissait d'un édifice de trois étages, en bois et en brique, construit une vingtaine d'années plus tôt.

École Ste-Mary, avant l'incendie
Montreal Daily News, 27 février 1907

Le mardi 26 février en début d'après-midi, un incendie éclata dans la cave de l'école, où se trouvait la fournaise alimentée au charbon. Alertées par la fumée qui envahissait progressivement les étages supérieurs, les institutrices organisèrent immédiatement l'évacuation des enfants.

Carte postale montrant l'école incendiée (Source: BAnQ)

Les enfants qui se trouvaient dans les classes du rez-de-chaussée réussirent à sortir sans trop de difficulté, mais la fumée qui envahissait l'étroite cage d'escalier est rapidement devenue tellement dense que les jeunes enfants qui se trouvaient au deuxième étage furent incapables d'y descendre. Il s'agissait pourtant de la seule issue!

De nombreux témoins virent des institutrices briser les vitres du deuxième étage en appelant à l'aide. En attendant l'arrivée des pompiers, on trouva une échelle chez un commerçant du voisinage, et quelques braves samaritains y grimpèrent afin de descendre, un par un, les enfants que leur tendait par la fenêtre Mlle Sarah Maxwell, la jeune directrice de l'école.

Sarah Maxwell, directrice de l'école

Les pompiers arrivèrent enfin avec leurs échelles mécaniques, ce qui permit d'accélérer le processus d'évacuation. Mlle Maxwell continuait de passer les enfants par la fenêtre; ils étaient recueillis par les pompiers qui formaient une chaîne humaine dans l'échelle. Soudain, on vit Mlle Maxwell tomber en arrière; elle ne reparut pas à la fenêtre. Un peu plus tôt, elle avait refusé de quitter son poste malgré les demandes insistantes des pompiers, puisqu'il y avait encore des enfants auprès d'elle.

La Patrie, 27 février 1907

L'incendie fut maîtrisé au bout d'une heure environ. Les pompiers purent ensuite sortir les cadavres des décombres: il y en avait 17.

La Presse, 27 février 1907

En plus de Mlle Sarah Maxwell, 31 ans, qui était la directrice de l'école depuis quatre ans, sept garçons et neuf filles perdirent la vie par asphyxie:  Myrtle Hazell Spraggs, Mable Hazell Spraggs, Edith Golson, Lilian Ridge, Edna Davey, Cecilia Forbes, Florence Evelyn Glady Hingston,Ethel Lambton, Anny Jackson Andrew, Albert Edward Jackson, James Pilkinton Lindley, James McPherson, William John Zimmerman, Jalmer Frederick Anderson, John Lomas, et Joseph Johnson.

Ils étaient tous âgés entres 5 et 7 ans, à l'exception de la petite Mable Hazell Spraggs, âgée de 3 ans, qui accompagnait exceptionnellement sa grande soeur à l'école ce jour là.

Les 16 enfants décédés dans l'incendie de l'école
(Source: La Presse, 27 février 1907)

Carte postale montrant l'intérieur de l'école après l'incendie.
(Source: BAnQ)

Les parents identifient les jeunes victimes à la morgue
La Patrie, 27 février 1907

À la suite de cette catastrophe, on a dénoncé l'absence d'échelles de sauvetages sur les façades du bâtiment, malgré un règlement municipal qui exigeait un tel dispositif d'urgence sur les édifices publics. On a aussi déploré que les enfants aient reçu comme instruction de revêtir leurs vêtements d'extérieur avant de sortir, ce qui leur a fait perdre un temps précieux.

Certains journaux avaient d'abord rapporté que la pression d'eau était insuffisante lors de l'arrivée des pompiers, mais les pompiers ont plus tard déclaré que ça n'avait pas été un problème majeur.

Funérailles de Mlle Maxwell eurent lieu le 28 février 1907 à la Cathédrale anglicane Christ Church, rue Sainte-Catherine, et elle fut inhumée au Cimetière Mont-Royal. Une foule impressionnante s'était assemblée sur le trajet du cortège funèbre.

Funérailles de Sarah Maxwell (La Presse, 1er mars 1907)


Funérailles de Sarah Maxwell (carte postale, source: BAnQ)




Yves Pelletier



Tumultueuses élections municipales à Jacques-Cartier (1957)

Coups de feu, résidences saccagées, autos renversées, menaces, arrestations ... le 1er juin 1957, c'est jour d'élections municipales à Ville Jacques-Cartier!

Dimanche-Matin, 2 juin 1957

La campagne électorale

En avril 1957, on annonce la création d'une Ligue de Vigilance Civique dont l'objectif est d'assainir la Ville de Jacques-Cartier, située sur la rive sud de Montréal. Cette banlieue de 40 000 habitants a la triste réputation de servir de repaire au crime organisé, qui y opère des maisons de jeu et des débits de boisson clandestins.  De plus, la ville est sous tutelle depuis quelques années, ayant accumulé une dette de $12 millions à cause de la mauvaise gestion des administrations précédentes.


Le Devoir, 23 avril 1957

"La population de Jacques-Cartier a été victime à maintes reprises, dans le passé, des activités et des machinations d'individus et de clans qui ont recherché leurs intérêts personnels ou ceux de leurs groupes au détriment du bien général. Dans une Cité toute jeune, formée en très grande majorité de citoyens intègres et honnêtes qui ont désiré donner un toit à leur famille au prix de grands sacrifices, les requins de la petite politique et les arrivistes sans conscience ont eu beau jeu. Le temps est venu, pour les citoyens de Jacques-Cartier, de se révolter contre les abus de pouvoir et les violateurs de l'ordre public. Il est urgent que les citoyens de Jacques-Cartier prennent en main les destinés de leurs institutions publiques et de leur vie sociale. (Le Devoir, 23 avril 1957)"

La Ligue de Vigilance n'est pas un parti politique, mais elle apporte publiquement son soutient au candidat à la mairie Joseph-Louis Chamberland, président de la commission scolaire, ainsi qu'à six candidats au poste d'échevin.

Le Courrier du Sud, 16 mai 1957

L'autre candidat à la mairie est Aldéo-Léo Rémillard, un homme d'affaire dont le casier judiciaire est passablement chargé: vol et recel d'automobile, vol par effraction, assaut sur un constable, faux, parjure, vol de coffre-fort... Depuis des années, Rémillard en mène large au conseil municipal de Jacques-Cartier. Il n'hésite pas à intimider ouvertement ses adversaires politiques, grâce à de nombreux fiers-à-bras qui lui obéissent au doigt et à l'oeil, dont André Delisle, Lucien Guay, Kid Girard, Gaby Ferland, Tarzan Plante et Ti-Louis Desrosiers. 

Il semble bien difficile d'obtenir un contrat de voirie quand on n'est pas un ami de Rémillard, et la police municipale semble agir sous ses ordres!

Le Devoir, 21 mai 1957

Le 5 mai, trois employés de Rémillard perturbent cavalièrement une réunion de la Ligue de Vigilance. Les organisateur demandent aux deux policiers présents d'expulser les perturbateurs, mais ces derniers choisissent de quitter les lieux sans intervenir.

Pendant toute la campagne, Le Devoir fait activement campagne contre Rémillard. Le 21 mai, des fiers-à-bras à la solde de Rémillard tentent d'empêcher la vente du journal Le Devoir dans les kiosques à journaux de Jacques-Cartier. Un commis de l'Hôtel de Ville est même congédié pour s'être présenté au travail avec des exemplaires du Devoir en sa possession.

Le 27 mai, trois policiers municipaux se présentent dans les locaux des Jeunesses Ouvrières Chrétiennes pour y saisir des exemplaires du journal "Le Richelieu", dans lequel Mgr Gérard-Marie Coderre recommande aux fidèles de voter pour les candidats de la ligue de vigilance. Cinq personnes sont alors mises en arrestation sans raison valable. Lors de cette intervention, les policiers sont accompagnés par des fiers-à-bras à la solde de Rémillard!

Le Petit Journal, 26 mai 1957

Pour compliquer les choses, pas moins de trois chefs de polices se succèdent pendant la campagne électorale:  pour remplacer Fernand DeMiffonis qui a été nommé à la police de Trois-Rivières, on engage Georges Allain...qui démissionne avant la fin de sa première journée de travail. Édouard Lefebvre est finalement engagé dans les jours précédents les élections.

Les membres de la ligue de vigilance sont régulièrement menacés.  Une semaine avant les élections, le coffre-fort d'Évariste Forest, président de la ligue de vigilance, est dynamité.

Le Courrier du Sud, 23 mai 1957

Le 20 mai, les curés de la municipalité demandent aux fidèles d'avoir le courage d'exercer leur droit de vote, malgré les intimidations:

"En conclusion, nous croyons devoir affirmer que, dans les circonstances où le bien commun est menacé, chaque citoyen a l'obligation de conscience d'exercer son droit de vote et de porter à l'administration publique des candidats qui offrent de solides garanties d'honnêteté."  (Le Devoir, 20 mai 1957)

Le jour des élections

Le jour des élections débute par le saccage de la résidence de Louis-Philippe Fortin, publiciste de la Ligue de Vigilance. Vers 4 heures du matin, une voisine a vu une douzaine d'hommes fuir les lieux dans trois automobiles. À l'intérieur, ils ont tout saccagé à coups de haches. Puisque M. Fortin avait préalablement reçu des menaces par téléphone, il avait pris la précaution d'amener sa famille passer la nuit à l'extérieur de la résidence.

Saccage dans la maison de Louis-Philippe Fortin, le Devoir 3 juin 1957

La résidence de Willie Champagne, organisateur de la Ligue de Vigilance, a également été la cible de vandales: on a lancé des pierres dans les vitres, et même tiré des coups de feu en direction de la maison pendant que les résidents s'y trouvaient.

On a cassé avec des pierres les vitrines du commerce d'Évariste Forest, le président de la Ligue de Vigilance dont le coffre-fort avait été dynamité la semaine précédente.

Marcel Prévost, organisateur du député fédéral, a reçu deux fois la visite des vandales: ils ont d'abord renversé sa Cadillac sur le côté, puis on tiré des projectiles dans les vitrines de son commerce.

Au moins cinq voitures ont été renversées à différentes endroits de la ville.

Auto renversée le jour de l'élection, La Patrie 3 juin 1957

Au moins 300 "bouncers" déambulent dans les rues afin d'intimider les citoyens qui voudraient exercer leur droit de vote.  La totalité des membres de la police municipale de Jacques-Cartier est en service dès l'ouverture des bureaux de scrutin, mais il ne sont qu'une trentaine...

Tel qu'il l'avait annoncé des les jours précédents, le nouveau chef de police Édouard Lefebvre a demandé l'aide de la police provinciale, qui a dépêché quelques dizaines de policiers supplémentaires.

À midi, le maire sortant Julien Lord lit l'acte d'émeute: les attroupements de plus de 3 personnes sont désormais interdits sur tout le territoire de la municipalité. À partir de ce moment, il est plus facile pour les policiers de mettre d'incarcérer les intimidateurs; les actes de violence ont diminuent.

Sur l'insistance de Aldéo-Léo Rémillard, le citoyen Gilles Constantineau est emprisonné pour la simple raison qu'il a oublié ses cartes d'identité dans son automobile quand il s'est présenté pour voter. Il reste donc enfermé dans une cellule pendant 12 heures. (La Presse, 6 décembre 1960)

À la fermeture des bureaux de vote, les boîtes de scrutin sont transportées sous forte surveillance policière. Malgré tout, un certain Jacques Tessier est arrêté pour avoir déchiré des bulletins de vote.

Boites de scrutin sous escorte policière, La Patrie 3 juin 1957



Résultats du scrutin



À l'issue de cette journée mouvementée, le candidat approuvé par la Ligue de Vigilance, Joseph-Louis Chamberland, est élu maire, ayant recueilli 2492 votes, alors que son adversaire Aldéo-Léo Rémillard doit de contenter de 1616 votes.

Un troisième candidat, Georges Chamberland, ne reçoit que 323 votes. Ce deuxième Chamberland, qui n'a jamais participé à la campagne électorale, avait posé sa candidature dans le seul but de détourner une partie des votes destinés à Joseph-Louis Chamberland (comme nous l'avons vu dans cet autre article, il s'agissait d'une stratégie assez courant dans les années 1950).

Des six échevins élus, trois ont été approuvés par la Ligue de Vigilance, alors que les trois autres sont plutôt des sympathisants de Rémillard.

Dans les jours suivant l'élection, André Camaraire, qui a été élu échevin avec l'approbation de la ligue de Vigilance , est hospitalisé après avoir été victime d'un assaut: on lui fait 10 points de suture à l'hôpital. (le Devoir, 12 juin 1957)


Comparution des fauteurs de trouble

Le 3 juin, 21 hommes comparaissent devant le juge Armand Cloutier, après avoir été arrêtés pour s'être attroupés malgré la promulgation de la loi de l'émeute. Le juge Cloutier établit à $1000 le montant de la caution.

"C'est un crime très grave que de vouloir ainsi entraver l'expression libre de la volonté populaire. Il faut que tous les gens sachent qu'à l'avenir, de semblables gestes ne seront plus tolérés par les tribunaux." (Juge Armand Cloutier).

La Patrie, 3 juin 1957

Le juge Gérald Almond ne semble pas voir les choses de la même façon, toutefois. Le 11 juin, il acquitte tous les accusés, sous prétexte que la proclamation de la loi d'émeute n'était pas pertinente dans ces circonstances.

La fin d'Aldéo-Léo Rémillard au conseil municipal? Pas du tout!

Suite à cette défaite, Aldéo-Léo Rémillard ne s'avoue pas vaincu: il sera élu finalement élu maire de Ville Jacques-Cartier en 1960, jusqu'à ce que l'Assemblée Nationale modifie une loi spécialement pour le forcer à démissionner! 

Yves Pelletier


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Lauréat Leclerc: fumiste ou inventeur génial ? (1909)

Août 1909: un mystérieux engin volant dans le ciel de Québec

Le Soleil, 30 août 1909

Le vendredi 27 août 1909 vers 20h30, un étrange objet volant est aperçu dans le ciel de Québec. Pendant une trentaine de minutes, de nombreux témoins étonnés observent deux points lumineux, au-dessus de l'île d'Orléans, qui se déplacent vers l'ouest. 

Un journaliste du journal Le Soleil rapporte qu'au moyen d'une puissante lunette, il a été possible de distinguer une forme tubulaire se terminant en pointe aux deux extrémités, et émettant une forte lumière à chaque bout: il pourrait donc s'agir d'un ballon dirigeable.


Un ballon dirigeable fabriqué à Québec?

Le Soleil, 9 septembre 1909

Le 9 septembre 1909, alors que la population de Québec continue de s'interroger sur cet étrange phénomène qui s'est manifesté à quelques reprises, Le Soleil publie une explication. Le mystérieux ballon dirigeable serait en fait l'oeuvre de Lauréat Leclerc, un jeune inventeur de Québec âgé de 26 ans. 


La Presse, 10 septembre 1909

"Encore lundi soir, affirment des personnes sérieuses, Leclerc a fait avec sa machine aérienne une envolée digne de mention. Parti des Plaines d'Abraham, du côté de Québec, il aurait traversé le St-Laurent et serait allé atterrir au Bassin de radoub, à St-Joseph de Lévis, du côté sud, soit une distance d'environ cinq milles, et quelques minutes plus tard, vers minuit, se serait dirigé vers le nord, au Sault Montmorency, en doublant le Bout de l'île d'Orléans. Deux réflecteurs assez puissants servaient à orienter ses sorties nocturnes.

(...)

Voilà une quinzaine de jours que Leclerc a commencé ses expériences. Il en serait à sa septième ascension et se propose d'en faire une au grand jour dimanche prochain.

Leclerc dit que son ballon a la forme d'un cigare et qu'il est long de vingt-trois pieds. Il comprend un double de soie, un autre de coton et enfin un autre de grosse toile à voile. Il est mu par un moteur à gazoline de trois forces. Le gouvernail est de toile. Le mécanisme est fixé à une plateforme en madriers de deux pouces d'épaisseur et de cinq pieds de longueur et quatre pieds de largeur. En dessous sont placés deux gros sacs en caoutchouc remplis d'air. Leclerc dit qu'il peut s'élever à deux cents pieds ou plus, filer à 22 noeuds à l'heure et atterrir dans 200 pieds carrés. L'aluminium entre pour une notable partie dans la structure de cette machine."  (Le Soleil, 9 septembre 1909)

Un ballon qui dégonfle...


L'Événement, 13 septembre 1909

Les sceptiques sont nombreux. Ne s'agirait-il pas plutôt de cerfs-volants lancés par des élèves du collègue de Lévis? Ou de ballons en papier lancés par le Dr. Dorval, dentiste de la rue Saint-Jean? Aurait-on bêtement confondu la planète mars avec un aéronef?

Dans l'après-midi du dimanche 12 septembre 1909, au moins un millier de curieux s'assemblent sur les Plaines d'Abraham afin d'assister à une envolée de Lauréat Leclerc à bord de son ballon dirigeable. Mais Leclerc ne s'y présente pas! De plus, un journaliste du journal L'Événement a discrètement inspecté la cours arrière de l'armurerie Ross, où Leclerc est supposé remiser son engin volant, et il n'a rien trouvé.

Le 15 septembre, Lauréat Leclerc déclare qu'il a vendu son dirigeable au Français Alexandre Calais, représentant de la maison Clément-Bayard, une firme française qui fabrique, entre autres choses, des ballons dirigeables. Si Leclerc n'a pas pu exhiber son invention devant le public réuni sur les plaines d'Abraham, c'est que Monsieur Calais était parti à Montréal avec le moteur.

Ces explications ne convainquent apparemment personne, et le "Ballon Leclerc" est considéré comme un canular, même parmi les témoins qui sont convaincu qu'il s'agissait bel et bien d'un ballon dirigeable.

Un inventeur prolifique! (mais peu crédible)


Le Soleil, 24 novembre 1905

Il faut dire que Lauréat Leclerc, qui est né a Québec le 22 août 1883 et a quitté l'école à l'âge de 12 ans, n'en est pas à ses premières frasques en matière d'innovations technologiques peu crédibles.

Quelques années plus tôt, alors qu'il était âgé de 22 ans, Lauréat Leclerc a annoncé l'invention de trois appareils révolutionnaires différents en moins d'un an.


Le Soleil, 24 novembre 1905

Dans son édition du 24 novembre 1905, le journal Le Soleil consacre un article à ce jeune canadien français qui prétend avoir inventé une machine puisant son énergie dans "les fluides électriques de la terre", grâce à deux bouts de tuyau enfouis dans un trou de deux pieds carrés. 


Le Soleil, 25 avril 1906

Cette première invention ne semble pas avoir eu de suite, mais ce n'est pas très grave puisque quelques mois plus tard, le 25 avril 1906, Lauréat Leclerc annonce qu'il a inventé une machine qui permet de guérir l'alcoolisme grâce à un courant électrique.  

"Cette curieuse machine dont l'énergie électrique est toute autre que l'électricité ordinaire fonctionne admirablement bien et a déjà opéré des cures merveilleuses comme en font foi plusieurs certificats de personnes traitées et guéries complètement de la vilaine maladie de l'ivrognerie." (Le Soleil, 25 avril 1906)

Ici encore, la machine à guérir l'alcoolisme est vite tombée dans l'oubli malgré les vertus miraculeuses que sont créateur lui prêtait. Loin de se décourager, Lauréat Leclerc annonce dans la même année l'invention d'un appareil qui traite efficacement la tuberculose!

Le Soleil, 30 août 1906

"Cet appareil mesure 8 pieds de longueur, 4 pieds de largeur et est pourvu d'un siège et d'un support qui réchauffe les pieds du patient, en même temps que d'une petite bouilloire qui distribue une petite vapeur au poumon et les ondes électriques sont lancées sur le patient en quantité voulue. M. Lauréat Leclerc a fait une belle découverte en pouvant projeter ces ondes électriques et faire un bien sans pareil, sans donner de souffrances."  (Le Soleil, 30 août 1906)

Trois ans après qu'il ait prétendument construit son propre ballon dirigeable, le journal L'Action Sociale du 30 août 1912 nous apprend que Lauréat Leclerc a construit une bicyclette qui permet de se déplacer sur l'eau aussi bien que sur terre.  Les visiteurs de l'Exposition provinciale de Québec peuvent voir cet ingénieux véhicule de leurs propres yeux pour la modique somme de 10 sous.

L'accident

Le 29 octobre 1914, Lauréat Leclerc se blesse gravement en marchant sur un trottoir défectueux. Il intente une poursuite de $6 000 contre la ville de Québec, le constructeur du trottoir et le propriétaire de la maison devant laquelle il est tombé. Le montant est énorme (à titre de comparaison, le revenu annuel d'un ouvrier de l'époque est de l'ordre de $500). 

Lors de ce procès, un avocat de la défense pose des questions sur le prétendu ballon dirigeable de 1909, dans le but d'attaquer la crédibilité de Leclerc.  Ce dernier confirme qu'il a effectivement construit une machine volante et qu'il l'a pilotée à quelques reprises, toujours pendant la nuit puisqu'il désirait que son invention demeure secrète. (Le Soleil, 11 novembre 1915)

Leclerc perd son procès. Le juge considère que l'incident semble plutôt dû à la négligence de Leclerc, et qu'il n'a pas fait la preuve que ses séquelles justifiaient une compensation aussi substantielle.

L'espion allemand

Le Soleil, 16 mars 1915

Coup de théâtre: en mars 1915, de nombreux journaux rapportent qu'une lettre écrite de la main de Lauréat Leclerc a été retrouvée lors de l'arrestation à Southampton d'un certain Lawrence Victor Cobb, que certains qualifient d'espion allemand. Dans cette lettre, Leclerc répond à une requête de Cobb concernant le régulateur de vitesse de la machine volante qu'il lui a vendue.

Le Soleil, 17 mars 1915

Convoqué par le chef de police Émile Trudel, Leclerc déclare qu'il a effectivement vendu son ballon dirigeable à Cobb 5 ans auparavant, pour la somme de $50, après avoir été tourné en ridicule par la population de Québec. Quelques jours plus tard, Leclerc apporte à Trudel une photographie qui le montre en compagnie de Cobb, devant ce qu'il prétend être le dirigeable qu'il avait fabriqué. 

Des journalistes s'interrogent: cette abracadabrante histoire de ballon dirigeable pourrait-elle avoir été véridique? Le zeppelin allemand aurait-il, en fait, été inventé par un Québécois?

Lauréat Leclerc est décédé à Québec le 2 janvier 1944, à l'âge de 60 ans.

Yves Pelletier