Explosion d'une usine d'explosifs à Hull (1910)

Le 8 mai 1910, une usine de produits explosifs de Hull prend feu et explose, causant la mort de 11 personnes, faisant quelques dizaines de blessés graves et causant d'importants dégâts matériels.

La Patrie, 9 mai 1910

La General Explosives Company of Canada s'était installé à Hull, près de la rive ouest du Ruisseau de la Brasserie, à peine quatre ans plus tôt. Bien conscient du danger que représentait cet usine pour les citoyens qui habitaient à proximité, le conseil municipal avait tenté d'obliger la compagnie à s'installer hors des limites de la ville. L'affaire s'était retrouvée devant les tribunaux, mais la compagnie était parvenue à convaincre le juge que ses installations ne représentaient pas le moindre danger pour la population.

Le 8 mai 1910 en fin d'après-midi, un incendie se déclare dans les installations de l'usine, qui sont désertes puisqu'il s'agit d'un dimanche (le gérant de la compagnie, Christie Lafranchise a même déclaré que personne n'avait travaillé sur les lieux depuis trois semaines).  Le journaliste de La Patrie parle d'un feu allumé par des enfants qui jouaient avec des allumettes, mais il est difficile de savoir s'il s'agit d'un fait vérifié ou d'une simple rumeur. 

Les pompiers sont appelés sur les lieux, et constatent qu'ils ne seront pas en mesure d'éteindre l'incendie ("Il aurait fallu trois mille pieds de boyau pour jeter de l'eau sur le brasier", d'après le chef Alphonse Tessier). Ils tentent d'éloigner les nombreux curieux attirés par l'incendie (plusieurs de ces personnes assistaient à une partie de baseball qui vient tout juste de prendre fin à proximité de l'usine).

Une première explosion survient, relativement peu puissante, mais elle est bientôt suivie de deux autres explosions qui sont beaucoup plus violentes. Les lourds blocs de pierre qui forment les épais murs de l'usine sont propulsés dans toutes les directions.

Explosion de l'usine d'explosifs
(La Presse, 9 mai 1910)

L'explosion a été entendue jusqu'à Wakefield, plus de 30 km plus loin. Des résidents d'Ottawa ont cru qu'il s'agissait d'un violent tremblement de terre, ou même qu'un morceau de la comète de Halley venait de tomber au sol! Les vitrines des commerces de Hull et d'Ottawa on volé en éclat, et des témoins ont affirmé que certaines pierres avaient été projetées jusqu'à Pointe Gatineau, 5 km plus loin.


Illustrations montrant la mort de (1) Ferdinand Lorrain et (2) des soeurs Carrière.
(5) Les cadavres à la morgue.
(3), (4), (6) maisons endommagées par les débris de l'explosion.
(La Patrie, 9 mai 1910)

La rue Chaudière, à 500 mètres de l'explosion, est dévastée: les maisons sont lourdement endommagées par des projectiles de diverses tailles.

Huit personnes meurent sur le coup, violemment frappées par de lourdes pierres et une trentaine d'autres sont blessées (trois d'entre elles ne survivront pas à leur blessures).

Amélia et Rosalie Carrière meurent alors qu'elle sont attablées à l'intérieur de la maison familiale: une lourde pierre ayant fracassé le toit de la maison.

La pièce où sont décédées Amélia et Rosalie Carrière
(La Presse, 9 mai 1910)

Onze résidents de Hull trouvent la mort lors de ce sinistre:

  • Théodore Gagné, 31 ans, marié et père de trois enfants.
  • Ferdinand Laurin, 28 ans marié et père de 4 enfants.
  • Willie Sabourin, 24 ans, marié sans enfants.
  • Louis McCann, 16 ans.
  • Donat Fabien, 13 ans.
  • Antoine Servant, 12 ans.
  • Amélia Carrière, 15 ans.
  • Rosalie Carrière, 12 ans.
  • Patrick Blanchfield 65 ans (décès annoncé le 10 mai 1910).
  • George Coleman, 19 ans (décès annoncé le 24 mai 1910).
  • Arthur Garneau, 26 ans (décès annoncé le 24 mai 1910).

Carte postale (Source: Banq)

Les funérailles d'Amélia Carrière, Rosalie Carrière, Louis McCann, Théodore Gagné, Ferdinand Laurin, Antoine Servant et Donat Fabien eurent lieu le 11 mai 1910. Les six corbillards étaient suivis d'un cortège constitué de 3000 personnes.


La Presse, 11 mai 1910


L'enquête du coroner Lyster prend fin le 13 mai 1910. Sans tenir la compagnie criminellement responsable du décès des neuf victimes, le jury la considère coupable d'imprudence pour avoir placé les détonateurs à proximité du dépôt d'explosifs. Le Jury a recommandé des amendements à la loi afin qu'aucun magasin ou usine d'explosifs ne soit toléré dans les limites d'une ville ou d'un village. (L'action sociale, 16 mai 1910)

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Yves Pelletier

L'éclipse totale de 1932

Dans l'après-midi du 31 août 1932, plusieurs localités du Québec se trouvent dans la trajectoire d'une éclipse complète de soleil. Malheureusement, un ciel nuageux frustrera de nombreux observateurs.


Le Soleil, 1er septembre 1932


Ça fait plus de trois cent ans
Qu'on entend dire les savants
Que l'éclipse devait avoir lieu
En dix-neuf-cent-trente-deux
À Quatre Heures de l'après-midi
Il faisait noir comme la nuit
Les lumières sont allumées
Tout le monde se mit à crier "Hé! Hé!"
("As-tu Vu l'Éclipse", chanson de La Bolduc)

Les médias québécois parlent de l'éclipse plusieurs semaines à l'avance. Montréal se trouve à la limite de la zone de totalité. Les localités de Parent, Sorel et Magog sont des sites d'observation particulièrement recommandés puisqu'ils se situent en plein centre de la zone de totalité (c'est à Parent, "situé sur la ligne Transcontinentale du Canadien National", que l'éclipse totale durera le plus longtemps, soit 102 secondes).


Carte montrant la zone de totalité de l'éclipse
Le Soleil, 26 juillet 1932

Des équipes de chercheurs en provenance du monde entier installent leur équipement à différents endroit. Des savants de l'université Cambridge s'installent à Magog, une équipe française choisit plutôt Louiseville, alors que les professeurs de l'Université de Montréal se contentent de monter leur matériel sur le toits de leur institution.

Scientifiques européens arrivés à Montréal afin d'observer l'éclipse,
photographiés à l'entrée de l'hôtel Windsor. (La Presse, 29 juillet 1932)



L'équipe du Dr J.-E. Gendreau, professeur de physique à la Faculté des sciences
de l'Université de Montréal.  (La Presse, 31 août 1932)




Un intérêt des éclipses totales, c'est que pendant que la photosphère est occultée par la lune, il devient possible d'observer la couronne solaire et de déterminer sa composition au moyen d'un spectromètre. À l'époque, on sait depuis longtemps que le soleil est essentiellement composé d'hydrogène et d'hélium, mais depuis la fin du XIXe siècle on s'interroge sur la signification exacte de certaines raies spectrales, qui pourraient bien être causées par un gaz inconnu sur terre, qu'on a baptisé coronium (on ne le sait pas encore, mais il sera établi dans les années suivantes que ce qu'on croyait être un nouveau gaz est en fait du fer hautement ionisé). À cet effet, les scientifiques français sont impatients d'utiliser le coronographe qu'ils ont récemment mis au point.

On désire aussi profiter de l'événement pour étudier l'effet de l'éclipse sur les transmissions radiophoniques. Il est toutefois hors de question de vérifier à nouveau la théorie de la relativité d'Einstein, comme on l'avait fait lors de l'éclipse de 1919, à cause de l'absence d'étoiles suffisamment brillantes à proximité du soleil au moment de l'éclipse.


Le Nouvelliste, 29 août 1932

En ce qui concerne la population générale, on leur recommande d'éviter de regarder vers le soleil sans protection: il faut plutôt utiliser des verres fumés "très foncés".  Le jour de l'éclipse, un incendie se déclare dans un hangar de Limoilou: "Nous fumions des verres pour voir l'éclipse, mais nous avons échappé la chandelle allumée", déclarent aux pompiers les enfants qui ont sonné l'alarme.

On peut aussi investir 10 cents dans l'achat d'un "Éclipse-O-Scope".

La Presse, 25 août 1932


Le Canada, 1er septembre 1932

Malheureusement, le 31 août 1932, la météo n'est pas tellement favorable à l'observation d'une éclipse. À Montréal, les foules rassemblées dans des parcs et sur des toits sont témoins de la troublante période d'obscurité totale en plein jour, mais des nuages empêchent l'observation directe du phénomène.

Famille observant l'éclipse à Montréal
(La Presse, 1er septembre 1932)

Depuis le toit de l'université de Montréal, le docteur Ernest Gendreau décrit en direct à la radio de CKAC les différentes phases de l'éclipse, mais mais la majeure partie de ce qu'il décrit demeure invisible à cause des nuages.

Le Dr. Ernest Gendreau, professeur de physique de l'Université de Montréal.
(La Presse, 1er septembre 1932)

Sept avions ont décollé de l'aéroport St-Hubert et son montés au-dessus des nuages spécialement pour photographier l'éclipse. À bord d'un de ces avions, D.P.R. Coats décrit soigneusement tout ce qu'il observe, au bénéfice des auditeurs de la station de radio CFCF. Ce n'est qu'à son retour au sol qu'on lui apprend que sa description n'a jamais jamais été captée!


Le Nouvelliste, 1er septembre 1932

700 montréalais qui se sont rendu à Sorel à bord d'un train spécial du Canadien National observent l'éclipse dans un ciel dégagé. Les 1000 passagers du navire "Le Richelieu" de la Canada Steamship, parti de Montréal en début d'après-midi, jouissent du même privilège. 

La Tribune de Sherbrooke mentionne que les citoyens de Gould, Bury et Scotstown, en Estrie, ont pu observer l'éclipse dans des conditions idéales. 

Les scientifiques français installés à Louiseville profitent d'un ciel dégagé, les nuages s'étant dissipés juste avant le moment de l'éclipse totale. Les astronomes britanniques qui s'étaient installés à Magog et à Parent n'ont pas cette chance.

Les conditions atmosphériques ont été assez bonnes à Québec et à Ottawa, mais l'éclipse n'y était que partielle.


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Yves Pelletier

Un visiteur dévoré par les ours polaires au zoo de Charlebourg (1939)

Le 3 juillet 1939, le Dr. Joseph Germain de Rimouski est tué par les ours polaires du jardin Zoologique de Charlesbourg. 

Le Soleil, 4 juillet 1939

Le Dr. Joseph Germain, 53 ans, officier médical de l'unité sanitaire de Rimouski, est en visite pour quelques jours à Québec, chez des membres de sa famille, lorsqu'il visite le jardin zoologique de Charlesbourg en fin d'après-midi le 3 juillet 1939. Il est alors accompagné de sa fille Jeannine, 23 ans, de son fils Paul, 14 ans, de son neveu Maurice Paquet et de Rock Lechasseur, 16 ans, un voisin Rimouskois.

Le Dr. Joseph Germain
(Le Progrès du Golfe, 7 juillet 1939)

Le jardin zoologique de Charlesbourg a été inauguré en 1931.  Trois ours polaires capturés dans le grand nord canadien ont  été acquis par le zoo à l'automne 1936, et ils en constituent l'une des principales attractions.

Un peu avant 18h, le Dr. Germain et les jeunes qui l'accompagnent se trouvent devant la cage des ours polaires. Une barrière constituée de 2 barres métalliques horizontales délimite une zone de sécurité large de 6 pieds (1,8 mètre) sur tout le pourtour de la cage. Ignorant les enseignes qui interdisent aux visiteurs de s'aventurer au-delà de cette barrière, le Dr. Germain la traverse et s'approche des barreaux de la cage afin de lancer des arachides en direction des ours.

Les trois ours polaires du jardin zoologique de Charlebourg en 1939
(Le Progrès du Golfe, 14 juillet 1939)

Un des ours profite de l'occasion pour agripper le poignet droit du Dr. Germain. Il fait passer son bras entre deux barreaux de la cage, et l'emprisonne dans sa puissante mâchoire. Pendant que le Dr. Germain se débat pour tenter de se libérer, un deuxième ours s'en prend à sa jambe gauche.

Paul Germain et Maurice Paquet tentent de venir en aide au Dr Germain en frappant les ours à coup de pieds et de bâtons, et en leur lançant du sable dans les yeux. Les deux ours finissent par s'éloigner, mais il est trop tard. Le Dr. Germain a les deux bras arrachés, et une partie substantielle de sa jambe gauche a été dévorée. Il meurt dans les minutes suivantes.

L'enquête du coroner présidée par le Dr. Paul V. Marceau a lieu sur place le soir même; ce n'est qu'ensuite, vers minuit, que les restes du Dr. Germain sont transportés à la morgue. La conclusion de l'enquête est que la victime est morte d'un choc traumatique dû à de  multiples blessures qu'elle a subies après avoir été happée accidentellement par les ours, au moment où elle voulait les nourrir contrairement aux règlements. On recommande aux autorités du parc d'avoir un plus grand nombre de gardiens afin de mieux protéger les visiteurs.

Les obsèques du Dr Germain eurent lieu à Rimouski le 6 juillet 1939.

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  • À Montréal en 1895, Ovide Desjardins est accidentellement poignardé à mort pendant une représentation théâtrale de son école.

Yves Pelletier

La petite martyre de la rue Lafontaine (1911)

Au Québec, l'histoire d'Aurore Gagnon, martyrisée à mort par sa belle-mère, est bien connue grâce aux deux films à succès qui lui ont été consacré. Plus récemment, la population a été horrifiée par le drame de la "fillette de Granby". Dans l'affaire beaucoup moins célèbre de la petite Blanche Hamelin, survenue à Montréal en 1911, les autorités sont intervenues juste à temps pour lui sauver la vie.

La Presse, 8 juin 1811

Le 7 juin 1911, suite à l'intervention de voisins, Louis Desautels et Diana Lecompte sont mis en état d'arrestation en raison des mauvais traitements infligés pendant plusieurs mois à la petite Blanche Hamelin, 9 ans. On leur reproche de l'avoir violemment battue à coups de poings, de pieds, de tisonnier, et de poêle à frire, et de lui avoir arraché une épaisse touffe de cheveux. Le Dr. J. N. Picotte, médecin de la police, atteste la présence de 32 graves contusions sur tout le corps de la fillette.

Blanche Hamelin (ou Lemelin) est orpheline de père. En 1905, sa mère Diana Lecompte (32 ans) s'est remariée avec Louis Desautels (46 ans), avec qui elle a eu quatre autres enfants.

Blanche était obligée de s'occuper de l'entretien de la maison familiale et de veiller sur ses quatre frères et soeurs. Ses parents la battaient lorsqu'ils étaient insatisfaits de son travail.

"Dimanche dernier, par exemple, raconte l'enfant, pendant que sa mère la battait à bras rabattus avec un tisonnier, son père la tira tellement fort par les cheveux qu'il lui en arracha une épaisse couette. Plus elle criait, plus on la battait" (La Patrie, 8 juin 1911).

Le jour de l'arrestation des parents, Blanche est recueillie par l'Assistance Publique en compagnie d'un de ses frères, âgé de 6 ans. Un bébé âgé de 4 mois est transporté à l'hôpital Sainte-Justine pour des soins urgents, car on considère que sa vie est en danger. Les deux autres enfants de la familles, absents au moment de l'arrestation, seront retrouvés le lendemain: ils avaient été recueillis par un voisin.

Le 9 juin 1911, quelques témoins comparaissent lors de l'enquête. 

"Mme Wilfrid Béchard, 473 de la rue Champlain, qui a déjà pensionné chez les époux Desautels, déclara qu'en une occasion elle a vu la femme Desautels frapper la fillette sur la tête avec une poêle à frire. En une autre occasion, la mère dénaturée, s'armant d'un couteau à pain, en frappa son enfant qui porte encore la cicatrice de la blessure." (La Presse, 9 juin 1911)

Le procès est retardé de quelques semaines car la gravité des blessures de Blanche Hamelin nécessitent son hospitalisation à l'hôpital Sainte-Justine. Pendant un certain temps, on craint pour sa vie.

Blanche Hamelin, Diana Lecompte et Louis Desautels lors du procès
La Patrie, 27 juillet 1911

Le 27 juillet 1911, Louis Desautels et Diana Lecompte sont condamnés par le juge Choquet à 10 ans de pénitencier. 

"Vous me demandez de n'être pas sévère après ce que je viens d'entendre, afin de protéger vos enfants qui manqueront de pain si vous êtes incarcéré trop longtemps. Je considère que je manquerais gravement à mon devoir si je ne l'était pas. Vous, Désautels, vous avez été trop mou pour empêcher votre femme de battre son enfant. Non seulement vous ne la protégiez pas contre son excès de colère, mais vous la battiez vous-même. Vous, madame, vous avez agi comme une brute vis-à-vis cette fillette. Vous avez vous-même démontré ici, par vos paroles, que vous aviez un caractère tel que l'on ne peut pas laisser des enfants sous vos soins, car vous n'êtes pas digne d'être une mère de famille. Vous m'avez demandé de protéger vos enfants. Je vais les protéger contre vous deux. Vous passerez les deux prochaines années de votre vie au pénitencier." 

Juge François-Xavier Choquet, rapporté dans La Patrie, 27 juillet 1911.

Le Canada, 3 août 1911

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Yves Pelletier