Par la barbe de George VI ! (1937)

Février 1937: parmi toutes les incertitudes auxquelles doit faire face la population, nous retrouvons celle-ci: le roi George VI, qui sera couronné dans quelques semaines, se laissera-t-il pousser la barbe, de façon à accentuer sa ressemblance avec son père, le roi George V?

La Patrie, 1er février 1937

Nous connaissons maintenant la réponse à cette question: jusqu'à son décès, le 6 février 1952, le roi George VI demeura imberbe.  

La question peut sembler bien superficielle, mais il faut préciser que le nouveau roi tentait d'extirper l'empire britannique de la crise constitutionnelle qui avait été provoquée par l'abdication de son frère aîné, le roi Edouard VIII, le 11 décembre 1936. Après moins d'un an de règne, Édouard VIII avait renoncé à son trône afin d'épouser sa maîtresse, Wallis Simpson, une américaine qui s'apprêtait à divorcer pour la seconde fois. 

C'est d'ailleurs pour cette raison que George VI choisit de porter le prénom "George" alors qu'on le connaissait sous le nom d' "Albert" depuis sa naissance: il désirait faire preuve d'un maximum de continuité avec son père et respecter les traditions avec lesquelles son frère avait pris certaines libertés.

Le Soleil, 10 décembre 1936

Pendant son court règne Edouard VIII avait accordé la permission à sa garde personnelle l'autorisation de ne plus porter la barbe.

Le Devoir, 30 juin 1936

Le journal "La Presse" du 24 mars 1939 dresse un portrait du barbier Paul-E Tassé, d'Ottawa, qui a été nommé barbier officiel du roi George VI pendant toute la durée du voyage du couple royal en Amérique du Nord:

M. Tassé se réjouit à l'idée d'entrer, par ses fonctions, dans l'intimité du roi. Il n'a jamais vu Sa Majesté et n'est jamais allé dans l'Est du Canada. "J'ai bien hâte", a-t-il admis avec un joyeux sourire. Il ne sait pas encore si le roi a l'habitude de se faire la barbe lui-même, mais il croit que George VI n'est pas familier avec la technique qu'il faut posséder pour bien faire cette opération à bord d'un train en mouvement.

"J'espère qu'il se fera raser par moi tous les jours, en plus de se faire couper les cheveux", dit-il.

La Presse, 24 mars 1939

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Le deuxième René Lévesque (1960)

Les élections provinciales québécoises de 1960 occupent une place particulière dans l'histoire du Québec, puisqu'elles marquent le début de ce qu'on a appelé la révolution tranquille: après un règne ininterrompu de 16 années, l'Union Nationale a cédé la place au Parti Libéral de Jean Lesage. À cette époque, certains stratagèmes plus ou moins subtiles étaient parfois utilisés pour tenter de déjouer le processus démocratique comme, par exemple, la présentation de candidats homonymes.

Le 9 juin 1960, le quotidien Le Devoir publie la liste de tous les candidats aux prochaines élections. On en compte 260, répartis dans 95 districts: 53 indépendants, deux communistes, aucune femme, et plusieurs "homonymes".

Le Devoir, 9 juin 1960

Ces candidats homonymes, ce sont des candidats indépendants qui portent le même nom qu'un autre candidat, dans le même comté. Le cas le plus flagrant est celui de René Lévesque, candidat vedette du parti libéral, bien connu de la population puisqu'il est journaliste depuis de nombreuses années à la radio et à la télévision. Les électeurs du comté de Montréal-Laurier devront choisir entre quatre candidats: Arsène Gagné, député sortant représentant l'Union Nationale, Jacques Tozzi, René Lévesque et... René Lévesque!

En effet, un inconnu qui se nomme lui aussi René Lévesque a attendu à la date limite pour présenter sa candidature. 

Le Devoir, 9 juin 1960

Évidemment, ce deuxième René Lévesque n'a aucune intention de devenir député (il ne fera aucun effort pour se faire élire). Son seul objectif est de créer la confusion, dans l'espoir de soutirer des votes au "vrai" René Lévesque. Pour être encore plus facile à confondre avec le candidat Libéral, le deuxième René Lévesque se présente à titre de "Libéral indépendant". 

Puisqu'il est nécessaire de verser un dépôt pour être candidat, c'est facile de supposer qu'il s'agit d'une supercherie organisée par l'Union Nationale.

"Mais l'Union nationale a juré d'empêcher René Lévesque de devenir député. On commence donc par tenter de le faire passer pour un communiste. La population ne s'y laisse pas prendre. On change de tactique. On se met à la recherche d'un homonyme. On trouve un René Lévesque que l'on désigne comme étant un artiste. On paie sûrement son dépôt. On l'installe comme "libéral indépendant" pour essayer de tromper les gens en les faisant voter pour un homme dont ils ne veulent certainement pas puisque personne ne le connaît."    (Denis Vincent, dans le Clairon Maskoutain du 16 juin 1960)

Le Clairon Maskoutin, 16 juin 1960

On retrouve quelques autres candidats homonynes ailleurs au Québec:  
  • Dans le comté de Richmond, Émilien Lachance (libéral) fait face à Émilien Lachance (libéral indépendant), en plus de Charles Gosselin (Union Nationale) et de Roger Gosselin (Union nationale indépendant); 
  • Dans le comté de Bourget, on doit choisir entre Jean Meunier (libéral) , Jean Meunier (libéral indépendant),  Roméo McDuff (Union Nationale) et Roland McDuff (Union Nationale indépendant)! 
  • Dans Montréal - Maisonneuve, on retrouve Marcel Dupré (libéral) et Maurice Dupré (libéral indépendant).

Le stratagème semble avoir fonctionné dans le comté de Montréal - Maisonneuve:  le candidat de l'Union Nationale a remporté l'élection avec une majorité de 2085 votes, alors que l'homonyme de son adversaire libéral a récolé 2346 votes. Si on considère que tous ceux qui ont voté en faveur de Maurice Dupré voulaient en fait voter pour Marcel Dupré, c'est le candidat libéral qui aurait remporté l'élection.

Le Devoir, 23 juin 1960

Dans le cas de René Lévesque, le stratagème est venu bien proche de réussir­. Le vrai René Lévesque a remporté l'élection avec 14015 votes, mais avec une mince majorité de 127 voix, alors que le faux René Lévesque est parvenu à lui soutirer 910 votes.

Le Devoir, 23 juin 1960

L'utilisation des candidats homonymes n'a probablement pas été la méthode la plus drastique utilisée cette journée là. Plusieurs journaux du 23 juin 1960 rapportent des cas d'intimidation et de "bourrage" de boîtes de vote (des fiers à bras qui mettent illlégalement plusieurs bulletins dans l'urne), particulièrement dans le comté de Montréal-Laurier.

René Lévesque affirme:  "J'ai vu des officiers de la Police provinciale dirigeant eux-mêmes des bandits qui entraient par six dans les polls".

Le Devoir, 23 juin 1960

Dans le magazine MacLean's du 13 août 1960, la journaliste Cathie Breslin raconte qu'elle a été payée $25 pour produire 20 votes illégaux en faveur d'Arsène Gagné, candidat de l'Union Nationale dans Montréal-Laurier. Le stratagème consistait à se présenter sous une fausse identité, et à placer 5 bulletins à la fois dans l'urne. 

MacLean's 13 août 1960

René Lévesque (le vrai) fut nommé Ministre des Travaux Publics et Ministre des Ressources Hydrauliques. Il allait plus tard quitter le parti Libéral et fonder un nouveau parti, puis devenir premier ministre du Québec. Mais ça, c'est une autre histoire.

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Le portrait de Laura Secord analysé aux rayons X (1936)

En février 1936, des journaux canadiens diffusèrent, avec un amusement évident, une photographie aux rayons-X d'un portrait de Laura Secord, peint 30 ans plus tôt par l'artiste peintre ontarienne Mildred Peel. Cette analyse aux rayons-X réalisée par Frank Worrall montrait que le tableau était en fait un portrait de George Ross, ancien premier ministre de l'Ontario qui avait été habilement modifié afin de représenter Laura Secord. Ainsi, la barbe de Ross avait été dissimulée, un bonnet avait été ajouté sur sa tête, et le rouleau de parchemin qu'il tenait dans sa main droite avait été remplacé par un livre.

La Patrie, 25 février 1936

En 1904, le gouvernement ontarien avait apparemment refusé de payer la somme de $500 demandée par Mildred Peel pour son portrait de George Ross; en revanche, le gouvernement avait fait l'acquisition de ce portrait de Laura Secord en 1905. 

Le 8 mai 1907, Mildred Peel épousait George Ross!

Suite à la publication des rayons X, le premier ministre de l'Ontario Mitchell Hepburn a d'abord déclaré que le tableau allait être retiré des murs de l'assemblée législative, où il était exposé depuis 30 ans. Hepburn est ensuite revenu sur sa décision, mais le tableau à tout de même été retiré un peu plus tard. Il est resté entreposé hors de la vue du public jusqu'en 1978.

Mildred Peel (1904) Laura Secord
Laura Secord, par Mildred Peel (Wikipedia)

Laura Secord (1775-1868) est une héroïne de la guerre de 1812, pendant laquelle l'armée des États-Unis tenta d'envahir le Canada.  En 1813, pendant que son époux James Secord était alité suite à une blessure de guerre, des officiers américains s'établirent temporairement dans sa maison de Queenston, dans la région de Niagara au Haut-Canada (Ontario). Ayant appris que les américains projetaient d'attaquer les troupes britanniques du lieutenant FitzGibbon, à Beaver Dams, Laura Secord, agée de 38 ans,marcha pendant 18 heures dans des conditions difficiles afin d'avertir le lieutement FitzGibbon. Cet exploit permit à Fitzgibbon de contrer l'attaque américaine grâce à la contribution de quelques centaines d'amérindiens.

Le Soleil, 2 avril 1988

En 1913, Frank O'Connor ouvrit sur la rue Yonge, à Toronto, une confiserie qu'il baptisa "Laura Secord" sur les conseils de son épouse. Il y a maintenant une centaine de boutiques Laura Secord au Canada.

Mildred Peel (1856-1920)

Mildred Peel est issue d'une famille d'artistes de London, en Ontario. Elle a étudié à l'académie des beaux-arts de Pennsylvanie ainsi qu'à l'académie Julien à Paris; elle s'est surtout spécialisée dans les portraits.

En 1901, Mildred Peel avait été mandatée pour produire le buste en bronze de Laura Secord, qui se trouve dans le cimetière Drummond Hill à Niagara, Ontario. Le buste montre un femme beaucoup plus jeune que celle qui figure sur le portrait à l'huile (et nous n'avons aucune raison de croire que George Ross en ait été le modèle!).

The Standard, 10 août 1912

Sir George William Ross (1841-1914) a été le cinquième premier ministre de l'Ontario de 1899 à 1905. Auparavant, il avait été enseignant, inspecteur d'école, éditeur d'un journal, député fédéral (parti Libéral du Canada, de 1872 à 1882) et ministre provincial de l'éducation (parti Libéral de l'Ontario, à partir de 1883). Il fut nommé au sénat en 1907, et le roi George V le nomma chevalier en 1910.

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Décès de Howie Morenz (1937)

À l'automne 1936, les partisans des Canadiens de Montréal apprennent avec joie que Howie Morenz , le formidable joueur de centre qui avait soulevé les foules montréalaises pendant 11 années, de 1923 à 1934, est de retour dans la formation. Tous les espoirs sont donc permis pour cette saison 1937-38, on est loin de se douter que le joueur étoile est en train de vivre ses derniers moments!

Le Soleil, 2 septembre 1936

Né en 1902 à Mitchell, en Ontario, "la comète de Stratford" avait fait ses débuts avec les Canadiens en 1923 (c'est son père qui avait signé son premier contrat, puisqu'il n'avait pas encore tout à fait 21 ans). Il était immédiatement devenu un joueur régulier, formant un redoutable trio offensif en compagnie d'Aurèle Joliat et de Billy Boucher.

Jusqu'en 1934, Morenz attire les foules au tout nouveau Forum de Montréal (inauguré le 29 novembre 1924). En plus de mener l'équipe à trois conquêtes de la coupe Stanley (1923-1924, 1929-1930 et 1930-1931), il remporte à trois reprise le trophée Hart décerné au joueur le plus utile à son équipe (1927-1928, 1930-1931 et 1931-1932). Pendant deux saisons, il est le meilleur pointeur de la ligue, avec 51 points (1927-1928 et 1930-1931).

Avec le temps, ses performances commencent à décliner. Suite à la décevante saison 1933-1934, il est échangé aux Black Hawks de Chicago, et ensuite aux Rangers de New York.  Pendant ces deux saisons à l'étranger, Morenz est malheureux, et son ancienne équipe éprouve d'importantes difficultés (les Canadiens terminent en dernière position de la division canadienne en 1935-1936). De nombreux partisans ont perdu tout intérêt pour le club.

Mais le retour de Morenz au sein des Canadiens en 1936 apporte l'étincelle qui avait fait défaut à l'équipe. Le tricolore se met à amasser les victoires, en grande partie grâce à sa première ligne d'attaque constituée de Howie Morenz, d'Aurèle Joliat et de Johnny Gagnon. Pendant toute la saison 1936-1937, les Canadiens occupent le premier rang de la division canadienne. Malgré ses 33 ans, Howie Morentz semble avoir retrouvé la rapidité qui avait fait son succès quelques années plus tôt.


Le Petit Journal, 3 janvier 1937


Le conte de fée prend soudainement fin le 28 janvier 1937, lors d'un match contre les Black Hawks de Chicago. Cinq minutes après le début de la partie, Morenz se précipite vers la bande pour récupérer la rondelle près du but averse, mais le bout de sa lame de patin se coince dans le bois de la bande. Le défenseur des Black Hawks Earl Seibert tombe de tout son poids sur Morenz. Résultat: le tibia et le péroné de la jambe gauche de Morenz sont fracturés juste au-dessus de la cheville.

Le lendemain, les commentateurs se montrent pessimistes: la blessure étant très grave, Howie Morenz ne reviendra certainement pas au jeu d'ici la fin de la saison, et sa carrière de hockeyeur est sérieusement compromise.


La Patrie, 29 janvier 1937 (radiographies de la jambe fracturée)


Le Petit Journal, 31 janvier 1937

Morenz est hospitalisé à l'hôpital Saint-Luc. Sa jambe semble se rétablir normalement, mais son moral est au plus bas. À la surprise générale, Howie Morenz décède le 8 mars 1937 à 23h30, après 5 semaines d'hospitalisation. Les journaux de l'époque parlent d'une "syncope faisant suite à une dépression nerveuse": Morenz serait pratiquement mort de chagrin, acceptant mal que sa carrière sportive soit terminée. Il s'agirait en fait d'une embolie causée par des caillots sanguins générés par sa blessure.

L'Illustration Nouvelle, 9 mars 1937

Les funérailles de Howie Morenz eurent lieu au forum de Montréal devant une foule de 14 000 personnes. Au moins 20 000  personnes qui n'avaient pu prendre place à l'intérieur s'étaient massées le long de la rue Atwater. La cérémonie fut diffusée en direct à la radio. En plus des membres de sa famille et de ses amis, tous les joueurs des Canadiens, des Maroons de Montréal et des Maple Leafs de Toronto assistaient à la cérémonie.

Le cercueil était porté par six de ses coéquipiers : Pit Lépine, Georges Mantha, Babe Siebert, Armand Mondou, Paul Haynes et George Brown.

Howie Morentz fut inhumé au cimetière Mont Royal.

L'Illustration Nouvelle, 12 mars 1937

Alors que les Canadiens avaient gagné 60% des parties disputées en présence de Morenz, ils ne remportèrent que 33% des parties disputées après l'accident. Ils conservèrent malgré tout le premier rang de la division canadienne, talonnés par les Maroons. En séries éliminatoire, il furent toutefois battus en demi-finales par les Red Wings de Detroit, qui remportèrent la coupe Stanley cette année là.

Un match bénéfice en l’honneur de Howie Morenz a eu lieu au début de la saison suivante, le 2 novembre 1937.  Plus de 9000 spectateurs ont assisté à une confrontation entre une équipe formée des joueurs des deux équipes montréalaises (les Canadiens et les Maroons) et une équipe formée des meilleurs joueurs des 6 autres équipes de la ligue. Les bénéfices furent versés à la femme et aux trois jeunes enfants de Morenz.

Son chandail numéro 7 fut retiré, ce qui signifie qu'aucun autre joueur des Canadiens ne pourra porter ce numéro dans l'avenir, et Morenz fut l'un des premier joueurs à être intronisé au Temple de la Renommée du Hockey, en 1945.

Howie Morenz s'est progressivement effacé de la mémoire collective, éclipsé, au cours des années, par des joueurs comme Maurice Richard, Jean Béliveau et Guy Lafleur.

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Disparition de l'aviateur Paul Redfern (1927)

L'année 1927 a particulièrement marqué l'histoire de l'aviation grâce à la traversée sans escale de l'océan Atlantique par Charles Lindbergh. Mais Lindbergh était loin d'être le seul pilote téméraire de sa génération: cette époque est marquée par un grand nombre d'envolées qui avaient pour objectif d'établir de nouveaux records.

Ainsi, le 25 août 1927, le pilote Paul H. Redfern, 25 ans,  s'envolait de Brunswick, en Georgie (États-Unis) dans l'espoir d'atteindre Rio de Janeiro, situé 7200 km plus loin, en solitaire et sans escale.  (Redfern avait d'abord envisagé un vol entre San Francisco et Honolulu, mais il avait été devancé par Lester Maitland et Albert Hegenberger deux mois plus tôt).

S'il avait atteint son objectif, Redfern aurait été l'auteur du plus long vol panaméricain de l'histoire. Mais dès le départ, de nombreux observateurs se montrent sceptiques: Redfern fera face à des vents contraires, et l'absence de  lune l'obligera à voler dans l'obscurité la plus totale pendant la nuit. Pire encore, on calcule que les 525 gallons de carburant de son Stinson Detroiter (baptisé Port of Brunswick) ne dureront que 57 heures, alors que le trajet durera au moins 62 heures.

Le Droit, 27 août 1927

Puisque l'avion ne comporte pas de radio, les journalistes ne s'inquiètent pas outre mesure, dans les jours suivant le décollage, de n'avoir reçu aucune nouvelle à son sujet.  Les seuls à avoir vu l'avion en vol sont les marins du navire norvégien Christian Krong. Le 26 août, l'avion de Redfern a tourné plusieurs fois au-dessus du navire et a laissé tombé cinq messages, dont trois furent recueillis par l'équipage:

  1. Veuillez pointer le navire vers la terre ferme la plus rapprochée.

  2. Signalez une fois pour chaque distance de cent milles qui m’en sépare.

  3. Merci. Redfern

L'avion se dirigeait alors vers le Vénézuela. 

Ce témoignage ne fut toutefois diffusé que le 6 septembre, à l'arrivée du Christian Krong au port de la Nouvelle-Orléans. À ce moment, il était déjà évident que Redfern n'avait pas atteint sa destination; tout ce qu'on pouvait encore espérer, c'est qu'il soit parvenu à atterrir sain et sauf dans un endroit où il lui était impossible de communiquer avec la civilisation.


La Patrie, 2 septembre 1927

Cinq ans plus tard, en décembre 1932, les journaux québécois parlent à nouveau de Paul Redfern: l'explorateur Charles Hesler aurait entendu parler d'un homme blanc descendu du ciel, qui serait retenu captif par des indiens d'Amérique du Sud.  En 1935, l'explorateur Tom Roch prétend même qu'il a rencontré Redfern, mais qu'il lui a été impossible de le ramener à la civilisation parce qu'il est invalide et que les indiens le gardent captif.

Le Soleil, 7 décembre 1935

Le 20 février 1936, un certain Alfred Harred raconte une histoire similaire à celle de Tom Roch, mais il ajoute des détails qui semblent tout droit sortis d'un roman de Jules Vernes ou d'Edgar Rice Burroughs: en compagnie de l'aviateur Arthur Williams, il raconte avoir retrouvé Paul Redfern dans la jungle, vêtu de sous-vêtements en lambeaux. Il a été rescapé par des indiens qui le vénèrent comme un "dieu tombé du ciel", il se déplace en béquilles et a eu un fils d'une indienne qu'il a épousée. Malheureusement, Harred et Williams n'ont pu ramener Redfern avec eux, car pas moins de 500 indiens les ont poursuivis en leur lançant des flèches empoisonnées! (Admirons leur talent: échapper indemnes à 500 indiens qui vous lancent des flèches empoisonnées n'est certes pas une mince tâche.)

Dès le lendemain, cette rocambolesque histoire est niée par Arthur Williams, qui est réellement à la recherche de Paul Redfern, mais qui ne connaît pas du tout Alfred Harred. Harred lui-même confirmera quelques jours plus tard qu'il s'agissait d'un canular.

La Patrie, 20 février 1936

Au cours des années, de nombreuses expéditions ont été organisées dans le but de retrouver Redfern.  En plus d'échouer dans leur objectif, elles connurent parfois une conclusion tragique. Le 8 avril 1936, on annonce le décès de James A. Ryan, qui s'est noyé en Guyane Hollandaise pendant qu'il recherchait Redfern. En février 1938, c'est le Dr Frederick John Fox, scientifique natif de l'Ontario, qui trouve la mort pendant l'expédition Waldeck.

Le Droit, 16 janvier 1936


Meurtre d'Armand Nadeau à Hull (1935)

Le 4 décembre 1935, c'est la consternation à Hull: Armand Nadeau, un jeune commis de la Banque Provinciale, est abattu par des voleurs qui dérobent le sac rempli d'argent qu'il transportait à Ottawa. Son collègue Paul Lafleur, qui conduisait l'automobile, a aussi été blessé. 

Le Droit, 4 décembre 1935

Les journaux du 4 et du 5 décembre 1935 relatent le témoignage de Paul Lafleur, 29 ans, commis-payeur à l'emploi de la succursale de la Banque Provinciale située sur la rue Principale à Hull. Il raconte que lui et son jeune collègue Armand Nadeau avaient été chargés par la banque de transporter une forte somme d'argent ( $16 610) vers une autre succursale située à Ottawa. Ils étaient partis vers 10h15, dans la voiture personnelle de Lafleur. Paul Lafleur conduisait l'auto, et Armand Nadeau était assis à sa droite sur le siège avant. Comme c'était l'habitude pour ce genre d'opération, ils avaient en leur possession un revolver de calibre 38 fourni par leur employeur.

Alors que leur automobile était immobilisée à un feu rouge à l'intersection des rues McKenzie et Saint-Patrice, un inconnu sorti d'une autre voiture s'était engouffré par la porte arrière de l'auto de Lafleur. En les menaçant d'un revolver, il leur avait ordonné de rebrousser chemin, puis de se diriger vers un chemin peu fréquenté dans un boisé de Pointe-Gatineau, où Lafleur avait immobilisé sa voiture. À cet endroit,  l'inconnu avait attaché Lafleur à son volant et lui avait bandé les yeux. Horrifié, Lafleur avait ensuite entendu des coups de feu, et senti Armand Nadeau tomber à la renverse, en plus de ressentir une vive douleur à l'épaule.

Il avait entendu le voleur déguerpir dans l'auto de son complice, qui les avaient suivis. Après un certain temps, Lafleur était parvenu à défaire de ses liens, et il avait couru jusqu'à la route principale pour alerter des passants.

Les agents de la police de Hull qui arrivèrent sur les lieu un peu plus tard constatèrent qu'Armand Nadeau était gravement blessé à la tête. Paul Lafleur avait un bras ensanglanté. Complètement paniqué, il criait que des bandits les avait volés, et avaient abattu son ami.

Nadeau et Lafleur furent conduits à l'Hôpital Sacré-Coeur de Hull, où Armand Nadeau mourut quelques heures plus tard. L'autopsie démontra qu'il avait été atteint à la tête par trois balles de calibre 38 tirées à bout portant. Quant à Lafleur, il avait été légèrement blessé à l'épaule par une des balles qui avait traversé la tête de Nadeau.

Compte tenu de la gravité du crime, la police municipale de Hull fait appel à la Police Provinciale. Paul Lafleur, le seul témoin du crime, est conduit à Montréal pour être interrogé par le chef Louis Jargaille de la Police Provinciale.

Les choses se précipitent: le 9 décembre, moins d'une semaine après le crime, la police annonce avoir abattu l'assassin de Nadeau, en plus d'avoir arrêté plus d'une dizaine de ses complices. La police est également à la recherche d'un fuyard nommé Albert Herman Laroche, alias Larocque, qui a joué un rôle important dans l'organisation du braquage. 


La Presse, 9 décembre 1935 (l'homme sur la photo est le fuyard Albert Herman Laroche)

L'homme qui a tué Armand Nadeau était un dangereux criminel activement recherché aux États-Unis, où il avait perpétré de nombreux vols de banque. Âgé de 41 ans, il était connu sous diverses identités:  Nathan Martin, Ted Montin , Nathan Boverman... Le sergent détective Albert Marineau, qui avait reçu le mandat de mettre Nathan Martin en état d'arrestation, fut forcé de l'abattre pour sauver sa propre vie.

Parmi les personnes arrêtées, nous retrouvons nul autre que Paul Lafleur, l'employé de la banque qui accompagnait Armand Nadeau au moment du drame! Un détail important que Paul Lafleur avait omis de mentionner lors de sa description des événements, c'est qu'il était de mèche avec les criminels qui avaient organisé le cambriolage: on lui avait promis $1500 pour laisser la porte arrière déverrouillée et se laisser voler sans offrir de résistance. 

Une dizaine de personnes de Hull, d'Ottawa et de Montréal ont été impliquées de près ou de loin dans l'organisation du braquage.  Elles ont toutes maintenu qu'il n'avait jamais été question que quelqu'un soit tué à cette occasion. Puisque Paul Lafleur, le conducteur de l'auto transportant l'argent, était complice, il était entendu que l'argent serait volé "pacifiquement", sans la moindre violence.

Le jeune Armand Nadeau, toutefois, n'était nullement impliqué dans ce vol. Les auteurs du crime ont considéré qu'il était "trop jeune" pour offrir une résistance au cambriolage (malgré le fait qu'il avait accès à un revolver fourni par la banque!).

Les deux instigateurs du vol sont Joseph Rochon (36 ans), ex-gérant d'un "club de cartes" d'Ottawa, et Georges Chénier (21 ans), ex-employé de la Banque Provinciale. Quelques mois plus tôt, Chénier était lui-même responsable de transporter l'argent de la banque, mais il avait été congédié en septembre.

Georges Chénier s'était assuré de la complicité de deux employés de la banque: Paul Lafleur et Jean-O. Beausoleil (23 ans). Chénier, Lafleur et Beausoleil étaient de bons amis de Nadeau (Beausoleil était même son co-chambreur); ils n'avaient pas prévu que leur cupidité entraînerait la mort de leur ami.
Chénier était le seul responsable des communications avec les deux complices de la banque: Lafleur et Beausoleil n'ont jamais rencontré Rochon.

Joseph Rochon, de son côté, a confié l'organisation du braquage à quelqu'un qui s'y connaissait mieux que lui: Albert Herman Laroche (alias Larocque). Laroche aurait à son tour délégué les opérations à Edmond "Eddie" Lajoie, 43 ans, de Montréal.

Lajoie se serait occupé de recruter Nathan Martin, sachant qu'il avait de l'expérience dans les vols de banque. La veille du crime, Lajoie et Martin se sont présentés chez Charles Donnelly (27 ans), aux Cèdres, près de Montréal, et lui ont offert de participer à un hold up sans violence: le rôle de Donnelly consistait à se rendre à Ottawa en auto en compagnie de Nathan Martin, puis de suivre l'auto utilisée par les employés de la banque jusqu'à ce que le vol soit terminé. Edmond Lajoie est ensuite retourné chez lui.

Le jour du crime, c'est donc Nathan Martin qui est entré dans l'auto de Lafleur en les menaçant de son revolver, alors que Charles Donnelly suivait dans un deuxième véhicule.

Une fois arrivé dans un chemin retiré de Pointe-Gatineau, Nathan Martin s'est énervé: jugeant qu'Armand Nadeau le regardait avec trop d'attention (et qu'il pourrait ainsi l'identifier), il lui tira 3 balles dans la tête. Il repartit dans l'auto conduite par Donnelly avec, en sa possession, le lourd sac de cuir contenant l'argent. Donnelly a reconduit Nathan Martin chez Joseph Rochon à Ottawa, puis est retourné chez lui aux Cèdres. 

Joseph Rochon vit donc arriver à son domicile cet homme armé et violent, qu'il n'avait jamais rencontré auparavant, et qui lui révéla avoir tué un des deux commis de la banque.  Julien Chapdelaine, qui habitait le même immeuble, s'occupa de faire disparaître l'arme du crime ainsi que le sac de cuir qui avait été vidé de son contenu (le sac et le revolver furent trouvés un peu plus tard dans une cours à bois de J.R. Booth à Ottawa, tout près du domicile de Rochon).  Le lendemain, Nathan Martin exigea que Laura Côté, la conjointe de Rochon, le conduise jusque chez Donnelly, aux Cèdres. Donnelly a hébergé Nathan Martin pendant une nuit, puis l'a reconduit jusqu'à son domicile à Montréal.  

Entre-temps, les policiers étaient parvenu à récolter de précieuses informations grâce aux interrogatoires de Lafleur, de Beausoleil et de Chénier qui, horrifiés de la mort de leur ami, avouèrent assez rapidement leur implication.  Grâce aux indications de Laura Côté, les policiers se rendirent au domicile de Donnelly, qui les mena à son tour au domicile de Nathan Martin.


Le Droit, 30 mars 1936


Au terme d'un long procès de 6 semaines impliquant 93 témoins, 6 personnes furent reconnues coupables d'homicide involontaire:
  • Emond Lajoie: prison à vie
  • Joseph Rochon: prison à vie
  • Charles Donnelly: 25 ans de prison
  • Paul Lafleur: 20 ans de prison
  • Georges Chénier: 15 ans de prison.
  • Jean-O. Beausoleil: 10 ans de prison.

L'Illustration Nouvelle, 31 mars 1936

Même s'il était clair que Nadeau avait été abattu par Nathan Martin, et que les accusés avaient prévu un braquage sans violence, ils furent malgré tout considérés responsables, par complicité,  de la mort de Nadeau.

D'autres complices ont passé quelques mois en prison pour des offenses moins graves: Julien "Chappie" Chapdelaine, Armand Venne et Jeanne Laviolette (pour complicité après le fait),  Lorenzo "Zozo" Tellier et M. Journet dit Colomb (complot pour vol).  Les accusations de complicité après le fait envers Laura Côté ont été retirées après qu'elle ait témoigné pour la couronne lors du procès.

Albert Herman Laroche, alias Larocque, ne fut jamais retrouvé!


À lire également:

  • En 1895, Sarah Jones est sauvagement assassinée à Baskatong

Yves Pelletier (Facebook)

Sources documentaires consultées:  

Journal Le Droit, du 4 décembre 1935 au 27 mai 1936.


Écrasement d'avion à Issoudun (1957)

Le 11 août 1957 vers 14h15, un avion quadrimoteur DC-4 de la compagnie Maritime Central Airways, qui transportait 73 passagers et 6 membres d'équipage, s'écrase à Issoudun, petite localité du comté de Lotbinière située à environ 25 km au sud ouest de la ville de Québec.  Il n'y a aucun survivant.

Avec ses 79 victimes, cet écrasement est, à l'époque, l'accident aérien le plus meurtrier de l'histoire de l'aviation au Canada (ce triste record a depuis longtemps été battu, et est maintenant détenu par l'écrasement du vol Arrow Air 1285 à Terre-Neuve le 12 décembre 1985, qui a fait 256 victimes).

Le Soleil, 12 août 1957

Le DC-4 se dirigeait vers Toronto, après avoir décollé de Londres la veille. La plupart des passagers étaient des vétérans de l'armée canadienne qui revenaient d'un voyage en Grande-Bretagne. En cours de route, l'avion avait fait une unique escale à Keflavik, en Islande, afin de prendre du carburant.

Au moment de l'écrasement, un violent orage faisait rage: la pluie était abondante et il ventait très fort. Un peu plus tôt, des témoins ont vu l'avion qui volait à une altitude anormalement basse, en émettant un bruit inquiétant. Un agriculteur situé à plus d'un kilomètre du site de l'écrasement a senti la terre vibrer.

L'avion s'est écrasé dans un boisé marécageux plutôt difficile d'accès. Le pilote n'avait émis aucun message de détresse, mais des avions ont été envoyés en reconnaissance lorsqu'on a constaté que le DC-4 ne répondait plus aux messages radio. Un panache de fumée a facilité la découverte du site de l'écrasement. Vers 19h30, trois parachutistes sont descendus à partir d'un avion de l'Aviation Royale du Canada parti de la base de Trenton, en Ontario. Ils ont vite constaté qu'il n'y avait aucun survivant.

L'avion s'était enfoncé dans le sol marécageux, creusant un cratère de 8 mètres de profondeur, qui s'était aussitôt rempli d'une eau verdâtre.  Autour du trou, des témoins ont pu voir des restes humains déchiquetés, des débris métalliques, des vêtements, des bagages...

Une vingtaine de policiers de la Gendarmerie Royale du Canada et de la police provinciale s'efforcent d'abord d'installer un câble autour du site afin d'en interdire l'accès aux curieux et autres chasseurs de souvenir. Toutefois, de nombreuses personnes étaient déjà sur place avant l'arrivée des parachutistes, et des enquêteurs confirmèrent plus tard que des parties importantes de l'avion avaient mystérieusement disparu, et que des sacs à main retrouvés sur le site avaient été vidés de leur contenu!

Le Soleil, 14 août 1957

Pendant plus de deux semaines, les enquêteurs collectent le restes humains, morceaux d'avions et effets personnels. La tâche est loin d'être facile: le sol est tellement spongieux qu'il est difficile d'y apporter la machinerie (une chenillette prêtée par l'armée s'est enlisée dans la boue). Une pompe du service des incendies est utilisée pour drainer le cratère mais, même après qu'on en ait retiré l'eau, on ne voit pas la carlingue de l'avion, qui est profondément enfouie sous la terre. On devra ensuite creuser le fond du trou pour trouver les débris.

L'impact a été tellement violent qu'aucun cadavre complet n'a été retrouvé.  La seule victime formellement identifiée sera Gordon Stewart, troisième officier de bord, dont on a retrouvé le bras droit avec, à un doigt, une bague portant ses initiales (la bague sera formellement identifiée par son épouse lors de l'enquête du coroner). Les autres restes humains sont tellement déchiquetés qu'ils resteront anonymes. Dans les jours suivants, ces restes humains sont placés dans une dizaine de cercueils de bois et temporairement enterrés dans une fosse commune de fortune située à proximité du site de la catastrophe. Quatre mois plus tard, en décembre, les boîtes de bois seront exhumées et leur contenu transféré dans des cercueils de métal, qui seront envoyés par train à un cimetière de Toronto.

Les bagages et autres effets personnels seront aussi retournés à la légion Canadienne, à Toronto, qui tentera de les restituer aux familles des victimes.

Quant aux pièces de l'avion, elles sont soigneusement désinfectées, puis expédiées dans un entrepôt à l'aéroport de l'Ancienne-Lorette, dans l'espoir de trouver des indices qui pourraient expliquer la cause de l'accident.

Le 5 septembre, une enquête du coroner plutôt expéditive (moins de 2 heures suffisent à interroger les 10 témoins) en arrive à la conclusion que les décès sont accidentels et de cause inconnue.

La Presse, 6 septembre 1957

L'enquête publique annoncée par le ministre canadien des transports, toutefois, durera près de 3 semaines, du 6 au 24 février 1958, à Montréal.  47 témoins et experts seront entendus. Le but de l'enquête est de déterminer les causes de l'accident.

Nous y apprenons entre autres que:

  • Le DC-4 était vieux de 15 ans. Il avait été fabriqué en 1944 par la Douglas Aicraft Company à Santa Monica, pour l'armée américaine. Après la guerre, il avait été vendu à la United Airlines, qui l'avait modifié pour qu'il puisse servir au transport de passagers. La Maritime Central Airways en était le 5e propriétaire. L'avion avait été inspecté à Montréal le 6 août, quelques jours avant la tragédie, et il semblait en bon était.
  • Le plan de vol initial prévoyait une deuxième escale à Goose Bay (au Labrador), pour un ravitaillement en essence mais, pour une raison inconnue, l'avion à simplement poursuivi son chemin sans s'arrêter. 13 heures se sont écoulées entre le plein d'essence à Keflavik et l'écrasement.
  • Un expert a d'abord calculé que l'avion n'avait pas assez de carburant pour atteindre Montréal. Il a ensuite modifié son calcul et est arrivé à la conclusion qu'il restait tout juste assez de carburant pour atteindre Montréal, de justesse. Un autre expert a plutôt affirmé qu'il restait assez de carburant pour voler 45 minutes après avoir atteint Montréal.
  • Des experts ont calculé que l'avion était en surcharge d'environ 500 kg (1200 livres) lors de son décollage. 
  • L'état des débris permet de supposer que l'avion a frappé le sol avec une très grande vitesse, de l'ordre de 400 km/h (250 miles à l'heure). L'avion était probablement intact avant d'atteindre le sol. L'état des hélices permet de croire que les moteurs fonctionnaient encore au moment de l'écrasement.
  • Une saturation d'oxyde de carbone de 10% dans les tissus de l'officier Gordon Stewart pourrait indiquer (sans qu'on puisse en en être certains) qu'il y a eu un incendie dans le cockpit avant l'écrasement. Cet incendie aurait été limité au cockpit, car les autres restes humains ne présentaient pas cette saturation d'oxyde de carbone. Les pièces de l'avion ne montrent aucun indice d'incendie à bord.
  • L'état d'urgence avait été déclenché dans l'avion: les passagers avaient bouclé leur ceinture de sécurité.

L'enquête publique est rouverte le 13 novembre 1958, afin d'interroger un psychiatre montréalais qui avait traité Norman Ramsay, le pilote de l'appareil. Lors d'une séance d'hypnose, il avait découvert que Ramsay comprenait mal le fonctionnement des nouveaux altimètres, et qu'il souffrait d'une peur inconsciente de l'altitude. Quelques années auparavant, Ramsay avait été blâmé suite à un atterrissage d'urgence qui n'avais fait aucune victime.

Les commissaires déposent finalement leur rapport de 49 pages le 19 janvier 1959. Ils considèrent que l'écrasement a pu être causé par une erreur de jugement de la part du pilote:  celui-ci aurait dû s’arrêter à Québec pour prendre de l’essence. Puisqu’il ne l’a pas fait, il ne disposait pas d’assez d’essence pour contourner l’orage et a été forcé de pénétrer dans la zone de perturbation atmosphérique, perdant ainsi la maîtrise de l’avion.

Le Soleil du 19 janvier 1959

Est-ce réellement ce qui s'est passé? Nous ne le saurons sans doute jamais...


À lire également:


Yves Pelletier (Facebook)

Sources documentaires:

De nombreuses éditions du Soleil, de La Presse, du Devoir et de Montréal-Matin publié entre août 1957 et janvier 1959.

Un faux vol de bulletins de votes à Sainte-Geneviève (1957)

Il est assez rare que des élections visant à élire le maire d'une municipalité de moins de 5000 habitants attire l'attention de tous les journaux du Québec. C'est pourtant ce qui est arrivé à l'été 1957, lorsque les élections municipales de Sainte-Geneviève, en banlieue de Montréal, ont dû être retardées suite à une rocambolesque histoire de bulletins de votes volés.

Le Devoir du 16 juillet 1957

Le scrutin devait initialement avoir lieu le lundi 15 juillet 1957; à cette occasion, les citoyens de Sainte-Geneviève allaient pouvoir décider de reconduire le maire sortant, Armand Lacombe, ou encore de le remplacer par l'autre candidat, Roméo Labrosse. 

Roméo Labrosse souhaitait instaurer au conseil municipal un nouveau climat de collaboration;  il reprochait à Armand Lacombe de gouverner de façon autocratique, sans tenir compte des opinions des échevins. De plus, M. Labrosse accusait son adversaire d'avoir produit une liste électorale non-conforme, qui contenait certains noms inscrits en double et des noms de personnes décédées, ou ne résidant plus à Sainte-Geneviève depuis quelques années.

Le 15 juillet vers 7h50, quelques minutes avant l'ouverture du bureau de vote, le maire Lacombe a annoncé aux personnes présentes que les élections devaient malheureusement être reportées, puisque les bulletins de vote avaient été dérobés! 

D'après le maire Lacombe, un homme armé s'était présenté au domicile de Roland Graton, le secrétaire trésorier de Sainte-Geneviève, qui était également président d'élections. À la pointe d'un revolver, l'inconnu avait obligé M. Graton à boire un grand verre d'alcool, suite à quoi M. Graton avait sombré "dans un état de torpeur". À son réveil, il avait constaté que les bulletins de vote étaient disparus.

La Presse du 18 juillet 1957

Outré de constater qu'on le soupçonne d'avoir lui-même orchestré cette irrégularité (possiblement dans l'espoir de demeurer en poste si le gouvernement décidait d'annuler les élections), Armand Lacombe convoque les journalistes à une conférence de Presse à son domicile, le 17 juillet à 15 heures.

Les nombreux journalistes qui se présentent au rendez-vous ont toutefois la surprise de constater que M. Lacombe ne désire plus leur parler. Après les avoir fait attendre devant sa porte pendant de longues minutes, il leur dit qu'il n'a "pas grand chose à déclarer". Il interrompt brusquement la discussion pour répondre au téléphone et, vers 16h30, puisque les journalistes sont encore présents devant sa porte, il sort à nouveau pour leur indiquer qu'il ne peut malheureusement pas répondre à leurs questions car il n'a pas en sa possession les procès verbaux des réunions du conseil municipal.

Pourquoi M. Lacombe cherche-t-il à éviter les journalistes qu'il avait lui-même invités? C'est que les choses ne se passent pas exactement comme il l'avait espéré: interrogé pendant deux heures par le capitaine-détective Marcel Patenaude de la police provinciale, Roland Graton est passé aux aveux! 

Le capitaine-détective Patenaude annonce ce soir là que les bulletins de vote n'ont pas été volés, et que Roland Graton n'a jamais été drogué à la pointe d'un revolver. De plus, on a récupéré 1600 des 4000 bulletins de vote qui avaient été imprimés (les autres ayant été détruits deux jours avant la date des élections). Il refuse de donner plus de détails aux journalistes pour l'instant, précisant qu'un rapport complet sera soumis au procureur général du Québec (qui n'est nul autre que Maurice Duplessis).

Peu de temps après sa conférence de presse avortée, le maire sortant Armand Lacombe est à son tour interrogé par les policiers. Suite à cet interrogatoire, il s'efforce encore une fois d'éviter les journalistes qui l'attendent à la sortie du quartier général de la police: après avoir attendu 3 heures dans l'espoir que les journalistes finissent par s'en aller, il quitte les lieux en taxi, abandonnant sa voiture de luxe dans le stationnement.

On apprend de plus que le fils de M. Lacombe, qui se nomme lui aussi Armand Lacombe, a également été interrogé par les policiers.

Des nouvelles élections sont tenues le 12 août 1957, le président des élections étant, cette fois-ci, Aquila Cousineau. À la surprise générale, Armand Lacombe s'est à nouveau porté candidat. À ce moment, son implication exacte dans la tentative de fraude n'a toujours pas été rendue publique, mais sa tendance à fuir les journalistes a éveillé bien des soupçons.

Sans trop de surprise, c'est Roméo Labrosse qui est élu, avec 74% des votes en sa faveur (Roméo Labrosse est demeuré maire de Sainte-Geneviève, puis de Pierrefonds, jusqu'en 1963).

La Presse du 13 août 1957

Suite aux élections, Roland Graton est congédié de son poste de secrétaire trésorier, puis accusé de méfait public. C'est à l'occasion de son enquête préliminaire qu'on apprend sa version des faits.  M. Graton a expliqué que c'est "dans un moment de dépression nerveuse" qu'il a accepté de laisser M. Lacombe détruire les bulletins. Après avoir récupéré les bulletins chez un imprimeur de Pont-Viau, M. Graton les a déposés dans l'automobile de M. Lacombe. Quant au récit impliquant un homme armé qui l'aurait forcé à boire de l'alcool, il avait été forgé par le maire Lacombe.

Le 18 avril 1958, Roland Graton est acquitté parce que le juge Willie Proulx considère que son témoignage a été obtenu illégalement par les policiers.

L'ex-maire Armand Lacombe ainsi que son fils Armand Lacombe Jr. ont été accusés du vol des bulletins de vote, mais ils ont prétendu que Roland Graton était le cerveau de l'affaire. Le juge Willie Proulx (encore lui) a acquitté Armand Lacombe Sr., qui prétendait essentiellement ne pas avoir été au courant des malversations du secrétaire-trésorier.  Le juge a toutefois condamné Armand Lacombe Jr. à une amende de $200 et à une journée de prison (Lacombe Jr. avait admis avoir détruit des bulletins de vote, mais prétendait qu'il avait obéi aux ordres de Roland Graton).

Bref, après avoir violé les droits de quelques milliers de citoyens, les responsables de la fraude n'ont eu qu'à dire "c'est pas moi, c'est lui" pour éviter d'être punis!

Sources documentaires consultées:

  • Élections remises à Ste-Geneviève, Le Devoir, 16 juillet 1957
  • Québec nommerait des administrateurs, Le Soleil, 17 juillet 1957
  • Directives attendues du procureur général sur l'élection manquée de Ste-Geneviève, La Presse, 18 juillet 1957 
  • Le vol des bulletins: une mystification, Le Devoir, 18 juillet 1957
  • La comédie de Ste-Geneviève, La Patrie, 21 juillet 1957
  • Deux surprises à Sainte-Geneviève, La Presse, 8 août 1957
  • M. Roméo Labrosse élu à Ste-Geneviève, La Presse, 13 août 1957
  • M. Roméo Labrosse, élu maire, Le Devoir, 13 août 1957 
  • M. Graton, accusé de méfait public, devra comparaître, le 4 septembre, le Devoir, 29 août 1957
  • L'ex-secrétaire de Ste-Geneviève avait simulé le vol des bulletins de votation à la demande du maire, La Patrie, 12 septembre 1957
  • L'ex-maire Lacombe, de Ste-Geneviève, acquitté; mais son fils, condamné, La Presse, 11 décembre 1957
  • M. Roland Graton est acquitté, Montréal Matin, 19 avril 1958

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Yves Pelletier