Les premières envolées en ballon au Québec au XIXe siècle (1856)

Publicité pour la 3e ascension d'Eugène Godard à Montréal
La Minerve, 20 septembre 1856

Eugène Godard, 1856

Même si les premiers exploits des frères Montgolfier datent de 1783, ce n'est qu'en 1856 que des québécois ont l'occasion de s'envoler à bord d'un aérostat.

Le français Eugène Godard, qui avait fabriqué son premier ballon dix ans plus tôt, arrive à Montréal à l'été 1856, et supervise sur place la fabrication d'un aérostat qu'il baptise "Le Canada". Il s'agit d'un ballon de 76 pieds de hauteur et de 42 pieds de diamètre.

La première envolée du Canada a lieu le lundi 8 septembre 1856. Pour faciliter la logistique, le point de départ se situe à l'intersection des rues Gabriel et Ste-Anne, dans Griffintown, près de l'usine de Louis Beaudry qui fournit le gaz nécessaire à l'ascension. Une foule de quelques milliers de personnes patiente plus de deux heures pendant que le ballon se remplit de 38 000 pieds cubes de gaz. 

"Enfin, Montréal a pu voir une véritable ascension aérostatique, ses citoyens ont pu jouir d'un des spectacles à la fois les plus imposants et les plus émouvants qu'il soit donné à l'homme de contempler. M. Eugène Godard leur a démontré, par la plus heureuse expérience, que l'homme pouvait se rendre le maître des airs, comme de la terre et de l'eau." (La Minerve, 13 septembre 1856)

"L'enceinte réservée pour les personnes qui désiraient voir les préparatifs de l'ascension était garnie de toute l'élite de notre société, de la ville et de la campagne. Nous y avons remarqué, entre autres, sir L. H. Lafontaine et lady Lafontaine, et le maire de Montréal, qui paraissaient suivre, avec un bien vif intérêt, tous les détails des préparatifs." (La Minerve, 13 septembre 1856)

Pour cette première envolée, trois passagers accompagnent l'aéronaute Godard à bord de la nacelle: A.E. Kierskowski, D.S. Ramsay et A. Rambau du journal La Patrie. Le ballon amorce son ascension vers 17h30,  et atterrit 55 minutes plus tard à St-Mathias. 

"Le vent conduisit immédiatement le ballon dans la direction sud-est du fleuve, que nous traversâmes avec assez de rapidité; l'aérostat avait été élevé à une certaine hauteur, et déjà les édifices les plus considérables de Montréal nous apparaissaient sous de bien petites proportions; le vaste St. Laurent lui-même n'était plus qu'un ruban d'eau et ses bateaux les plus considérables étaient à nos yeux de petits jouets d'enfants.  (Le Canadien, 12 septembre 1856)

Après cela, fût-ce une diminution du leste ou la volonté de notre guide? le ballon s'éleva à une majestueuse hauteur et nous traversâmes les plaines de St-Lambert et de Longueuil plus près des nuages que de la terre. Ce qui nous a paru bien étrange, c'est qu'à une semblable hauteur, on n'éprouve pas le moindre sentiment de vertige, même lorsque l'on se penche hors de la nacelle, comme nous le fîmes tous, pour examiner la terre et essayer les étonnants effets de répercussion de la voix qui se produisent, lorsque l'on a atteint cette élévation." (Le Canadien, 12 septembre 1856)

Une deuxième envolée a eu lieu le lundi 15 septembre, avec des résultats plus mitigés:

"Nous apprenons que l'intrépide aéronaute a été contrarié dans sa seconde ascension en ballon, faite lundi à Montréal, par une un vent violent qui l'obligea à relâcher à 4 milles au sud de Saint-Lambert. Il avait pour compagnons de voyage MM. G. Lamothe, J.W.A.R. Masson et L. Beaudry." (Le Journal de Québec, 20 septembre 1856)

"La descente à terre fut difficile, et l'ancre enlevait la terre, les clôtures et les barrières comme des pailles; ce ne fut qu'après avoir labouré la terre de cette manière pendant près de deux milles, que M. Godard put diriger son ballon sur un bouquet de bois et l'arrêter. Comme on le voit cette ascension fut très accidentée, mais le sang-froid de M. Godard empêcha ses passagers d'éprouver la moindre inquiétude, et il revinrent parfaitement satisfaits de leur voyage." (Le Pays, 18 septembre 1856) 

La troisième et ultime envolée a lieu du même point de départ le lundi 22 septembre 1856. Cette fois, les passagers sont Charles Beaudry, Adolphe Roy et le journaliste Coursolles du journal Le Pays. Après avoir volé pendant une heure, l'aérostat atterrit à Lachine.

"Je ne chercherai pas à définir le bonheur, mais je dirai que, pour le moment, le bonheur me paraît être d'aller en ballon. S'il n'a pas d'autre mérite, ce bonheur-là a au moins celui de n'être pas vulgaire, et de n'avoir été partagé à Montréal et même en Canada, que par bien peu de personnes. Je suis un de ceux qui y ont goûté, et si on ne veut pas croire, sur ma parole, que c'est réellement un bonheur d'embrasser l'état d'oiseau pendant une heure ou deux, qu'on en essaie, et on sera convaincu." (Le Pays, 25 septembre 1856)

Suite à cette troisième ascension, Eugène Godard prend la route des États-Unis, au grand désespoir des rédacteurs du Journal de Québec:

"Nous l'avons demandé à Québec, mais il n'a pas pu venir parce que la compagnie d'éclairage a refusé de lui fournir le gaz nécessaire, à un prix raisonnable. On l'attendait à Trois-Rivières, pendant l'Exposition; mais il n'a pas pu s'y rendre pour la même raison. Nous sommes réellement honteux que M. Godard ait trouvé en aval de Montréal des obstacles à ses ascensions, qu'il n'a sans doute rencontrés nulle part, ni aux États-Unis, ni en Europe." (Le Journal de Québec, 20 septembre 1856).

Ballon, trapèze, parachute...vache? (1888-1895)

Faisons maintenant un bond de quelques décennies; vers la fin des années 1880 et au début des années 1890, on annonce assez régulièrement des spectacles impliquant un numéro de trapèze suspendu à un ballon en ascension, suivi d'un saut en parachute. Les acrobates portent souvent le titre de "professeur": le professeur Williams à Ottawa en 1888, le Professeur Hogan à l'exposition de Sherbrooke en 1889, le Professeur Montford au Parc Sohmer à Montréal en 1889, Mlle Karlettia (assistée du Professeur Karl Killip!) au parc Royal à Montréal en 1892...

Illustrations tirées de La Presse, 23 septembre 1892

"La descente de l'aéronaute Hogan en parachute a fait l'étonnement des vingt mille spectateurs, qui l'ont vu s'élever en faisant des tours de force sur un trapèze suspendu à la nacelle, puis ouvrir son parachute et redescendre tranquillement sur notre boule, tandis que sa montgolfière continuait à se balancer dans l'espace, jusqu'à ce que, l'air chaud s'étant refroidi, elle s'abattit sur le sol à quelques milles du terrain de l'exposition." (La Justice, 5 septembre 1889)


Publicité pour un spectacle du Prof. Hogan
Le Progrès de l'Est, 16 août 1889

À Montréal, une performance du Professeur Montford est annoncée pour le 8 septembre 1889:

"Le professeur H. L. Montford fera une ascension en ballon, dimanche prochain, 8 septembre, au Parc Sohmer. Le ballon est gonflé à air chaud, et le professeur n'a pas de nacelle; il se tient sur son trapèze, et durant son ascension fait les tours de forces les plus prodigieux. Il se pend par les jambes, monte ensuite jusqu'au cercle et se laisse glisser, toujours suspendu par les jambes, et la tête en bas, jusqu'au trapèze, à mille pieds de hauteur, il se pend par la pointe des pieds, à la barre de son trapèze; enfin à six mille pies de haut, il se jette en bas avec un parachute, ne prenant que trois minutes pour le trajet des six milles pieds."  (La Patrie, 6 septembre 1889)

L'Étendard du 10 septembre 1889 rectifie: ce n'est pas le Professeur Montford lui-même qui a sauté:

"Le jeune homme qui est monté en ballon, au Parc Sohmer, n'est pas le professeur Montford, mais un jeune home, son élève, âgé d'une quinzaine d'années, et du nom de Hanner. Son ballon avait été gonflé à air chaud dans l'espace d'une demi-heure. Il s'est élevé à environ 1000 pieds en moins d'une minute et est descendu encore plus vite à l'aide de son parachute. Hanner a quitté son ballon dès qu'il a vu qu'il gagnait le nord, afin sans doute de ne pas descendre sur la tête des cheminées. " (L'étendard 10 septembre 1889)

En juillet 1892, c'est une certaine mademoiselle Karlettia qui effectue des acensions en ballon (avec parachute et trapèze) au parc Royal à Montréal.

Publicité pour le spectacle de Mlle Karlettia
(L'Étendard, 8 juillet 1892)

Il semble que le spectacle de Mlle Karlettia n'ait pas été aussi spectaculaire que prévu. Les propriétaires du Parc Royal ont donc engagé le jeune britannique Stanley Spencer:

"Il fallait être osé, après les désappointements du public lors de l'insuccès de Mlle Karlettia de monter en ballon, de tenter un nouvel essai, mais les propriétaires du Parc Royal ont la foi robuste et, dimanche dernier, ils ont pris une revanche des plus éclatantes." (Le Samedi, 20 août 1892)

Stanley Spencer
La Presse, 23 septembre 1892

Le 23 septembre 1892, un journaliste de La Presse raconte son vol dans le ballon de Stanley Spencer; l'envolée d'une durée de 35 minutes les amène au Sault-aux-Récollets, vis-à-vis Terrebonne. Le journaliste est tout aussi émerveillé que ceux qui avaient accompagné Eugène Godard 36 ans auparavant:

"Pour notre part, nous avouons n'avoir vu rien d'aussi beau, d'aussi grandiose. Ajoutez à celà le calme parfait qui règne autour du ballon. Bien qu'il ne soit pas encore 4 hrs de l'après-midi, on dirait que tout dort dans la nature. À peine entendons-nous en passant les cris poussés par un grand nombre d'enfants d'école qui saluent notre passage." (La Presse, 23 septembre 1892)    

En 1895, "la célèbre vache aéronaute Maud" est annoncée à Montréal (le 9 juin), à Trois-Rivières (le 24 juin) et à Hull (le 1er juillet). Dans les trois cas, on précise qu'il s'agira de sa 175e ascension sur le continent américain... Le spectacle est gratuit à Montréal, alors qu'il coûte 10 cents à Trois-Rivières et 25 cents à Hull!

La Presse, 7 juin 1895

À Trois-Rivières, la prestation de la vache Maud nécessite le sauvetage de son propriétaire dans les eaux du fleuve Saint-Laurent:

"Une grande excitation a été causée hier par l'ascension en ballon d'une vache. Lorsque le ballon est arrivé à une hauteur d'une centaine de pieds, l'aéronaute coupa les cordes de son parachute et la vache descendit à une vitesse vertigineuse, mais toucha terre toutefois sans aucun accident. L'aéronaute se maintint alors du mieux qu'il put après son ballon, qui continua de monter encore de deux cent pieds environ. À ce moment, il lâcha prise et tomba dans le fleuve Saint-Laurent en face de l'île de M. Baptiste.  Les matelots des bateaux qui étaient encrés à l'île se portèrent à son secours et furent assez heureux de le ramener sain et sauf."    (La Patrie, 24 juin 1895)

Un tragique accident

Le 27 septembre 1888, à Ottawa, 6 à 7 milles personnes sont témoins d'un épouvantable accident. Le "professeur Williams" effectuait la cascade consistant à s'élever à bord d'un ballon et de s'en laisser tomber en parachute. Plusieurs hommes retenaient le ballon au sol en attendant le signal du départ. Mais quand le professeur Williams a crié "Let go", un des hommes n'a pas lâché et s'est envolé avec le ballon. Il a finalement lâché prise alors que le ballon se trouvait à une altitude d'environ 1000 pieds, et a lourdement tombé, tête première. Il n'a évidemment pas survécu à sa chute. Il s'agissait d'un habitant d'Ottawa nommé Wesely, âgé de 22 ans.  Le professeur Williams, quand à lui, est redescendu en parachute, tel que prévu. (La Presse, 28 septembre 1888)  


Yves Pelletier


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Le meurtre de Jessie Keith à Listowel (1894)

Le 19 octobre 1894, la paisible localité de Listowel, dans le comté de Perth en Ontario, est le théâtre d'un crime atroce.

L'Électeur, 20 octobre 1894

Vers 10h30, la jeune Jessie Keith, âgée d'un peu moins de 14 ans, part de la ferme familiale afin d'aller chercher le journal et quelques provisions dans un commerce de Listowel, situé à un peu plus de 2 km de chez elle. Deux heures plus tard, un ouvrier de la compagnie du Grand Tronc apporte au père de Jessie le journal et le sac d'orge qu'il a trouvé près de la voie ferrée. Ayant croisé Jessie plus tôt dans la journée alors qu'elle était en possession de ces articles, il craint qu'il lui soit arrivé quelque chose de grave.


Jessie Keith, la victime
(La Presse, 30 mars 1895)

Le père de Jessie se met immédiatement à sa recherche, en compagnie de quelques ouvriers du chemin de fer. Ils trouvent d'abord du sang pas très loin de la voie ferrée et, plus tard, dissimulé sous des feuilles dans un boisé, le cadavre de Jessie Keith.

Le corps, dépouillé de tous ses vêtements, est affreusement mutilé. La gorge a été tranchée d'une oreille à l'autre, et certains organes en ont été retirés (on les retrouvera plusieurs jours plus tard, enterrés à proximité). Un jupon blanc imbibé de sang est enroulé autour de son cou. Ce jupon n'appartenait pas à la victime.

Pierre tombale de Jessie Keith
"While defending her honor she lost her life"

Les soupçons se portent rapidement sur un vagabond à l'allure louche qui a été vu à proximité des lieux du crime ce jour là. Quelqu'un l'a même croisé dans la forêt, alors qu'il portait des vêtements féminins. Après quelques jours de recherche, on parvient à retrouver le suspect près de Cataract, en Ontario.

Il se nomme Amédée Chatelle.  Âgé d'une soixantaine d'années, Chatelle est né à St-Hyacinthe au Québec, mais il a quitté sa famille très jeune pour devenir marin. Il a fait plusieurs fois le tour du monde, a participé à la ruée vers l'or, et aurait été interné un certain temps à Boston pour des problèmes de santé mentale. Il est brièvement retourné à St-Hyacinthe l'année précédente, travaillant pendant deux mois à la compagnie d'électricité du Rapide Plat, avant de reprendre sa vie de nomade.

Amédée Chatelle (La Presse, 29 mars 1895)

Au moment de son arrestation Chatelle est en possession d'une valise noire qui contient des vêtements féminin dont, entre autres, des vêtements que portait Jessie Keith lorsqu'elle a été assassinée. La suite de l'enquête démontrera que cette valise et la plupart  des vêtements féminins qu'elle contient avait été dérobée chez une dame McLeod de Ailsa Craig. Le jupon blanc qui a été trouvé sur le cadavre de Jessie Keith faisait également partie des vêtements volés chez madame McLeod.

Chatelle avoue rapidement son crime.  Il a croisé Jessie Keith sur la voie ferrée et a tenté de l'agresser sexuellement mais sans succès puisqu'elle se débattait énergiquement. Il l'a frappée à la tête avec une pierre et l'a traînée à l'écart avec de l'égorger. Il se dit désolé de ce qui est arrivée, et s'explique mal ce qui lui a pris. Il est emmené par train à Listowel pour subir son enquête préliminaire, où une foule en colère tente de le lyncher.

"Pendant qu'on le ramenait à la prison, Chatelle a répété plusieurs fois, en constatant l'excitation de la foule "Laissez là donc me mettre en pièces, me pendre ou me fusiller. On a prouvé que j'ai commis le crime dont on m'accuse."" (L'Événemement, 27 octobre 1894).

Le procès a lieu à Stratford le 29 mars 1895. Un avocat de Toronto, Me H.M. East, se présente au procès en compagnie de deux médecins, dans le but de démontrer que Chatelle souffre d'aliénation mentale. Mais ce dernier congédie l'avocat, car il refuse d'être considéré comme fou. Chatelle doit donc se défendre seul, sans avocat.

Pendant tout le procès, l'accusé se montre calme, voire insouciant. Il pose occasionnellement des questions incohérentes aux témoins, qui sont parfois incapables de répondre puisque la question est incompréhensible.

"Le prisonnier, son bonnet écossais et sa bible à côté de lui souriait. De temps en temps, il se levait, regardait pour poser une question et semblait aussi sûr de gagner sa cause que si le verdict était déjà rendu en sa faveur." (La Presse, 29 mars 1895)

À la fin, lorsque le juge lui demande s'il a quelque chose à dire aux jurés, Chatelle déclare:

"Non, je n'ai rien à dire aux jurés, à moins que la cour n'insiste. J'ai une mission en vue et c'est une mission secrète, et je ne veux pas la révéler, à moins que le tribunal ne m'ordonne de la révéler. Le sujet est en conformité de l'Évangile, et si vous voulez que je vous donne plus de renseignements, je pourrai plus tard. Il a cité en premier lieu: "Tel est le royaume des cieux." et en second lieu, il s'agit de se conformer à une vraie religion. C'est tout ce que j'ai à dire en ce moment. Je me révélerai quand je serai obligé de me révéler, alors au sujet de cette plainte, je pourrais augmenter ou diminuer. Jusqu'à présent, je suis bien content de la cour et de tout ce qui s'est passé et je crois que c'est tout ce que je dois dire."(La Presse, 31 mai 1895)

Après avoir délibéré pendant 10 minutes, le jury déclare Chatelle coupable de meurtre. Le juge le condamne à être pendu.

"La sentence de mort n'a pas semblé produire sur le prisonnier plus d'effet que le verdict. Sa physionomie n'a pas changé. Elle est restée placide, l'oeil conservant son expression pénétrante et vague. Il a quitté la cour pour retourner en prison du même pas qu'il y était entré, le dos légèrement courbé, la démarche assurée, mais insouciant." (La Presse, 29 mars 1895).

La Presse, 29 mars 1895

Le reporter de La Presse s'étonne de la courte durée du procès:

"Il est certain que les avocats de Montréal, surtout ceux qui sont familiers avec la procédure des tribunaux criminels (qui est essentiellement la même dans tout le pays), ont dû s'étonner, non sans raison, d'apprendre que la cour d'assises du comté de Perth avait trouvé un moyen de commencer un procès pour meurtre à neuf heures du matin, d'assermenter un jury, d'entendre l'exposition de la cause faite par l'avocat de la Couronne, d'assermenter et d'interroger soixante-seize témoins, de passer par toutes les autres formalités nécessaire et de terminer ce mémorable procès avant cinq heures de l'après-midi par une sentence de mort." (La Presse, 30 mars 1895)

Sans mettre en doute la culpabilité de Chatelle et la gravité du crime, qui ne font aucun doute, il est surpris qu'on n'ait nullement tenu compte de sa santé mentale:

"Ce qu'il y a d'étrange, c'est de voir un homme donnant de si grands signes de folie subir de la sorte au pas de course un procès pour meurtre durant lequel il n'est pas plus question de son état mental que de l'homme dans la lune et être condamné séance tenant à la peine capitale." (La Presse, 30 mars 1895)

(À titre de comparaison: dans les mois suivants, le meurtrier Valentine Shortis verra sa peine de mort commuée en peine d'emprisonnement suite à l'intervention du Gouverneur Général.)

Amédée Chatelle a été pendu à la prison de Stratford le matin du 31 mai 1895.


La Presse, 31 mai 1895

En 2010, lors de travaux de rénovations, deux squelettes ont été découverts sur le terrain de la prison de Stratford. On a supposé qu'il s'agissait des restes d'Amédée Chatelle et de Frank Roughmond, les deux seules personnes ayant été exécutées à cet endroit.

Yves Pelletier


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Les livres obscenes du libraire Desjardins (1894)

Le Monde, 15 octobre 1894

Le 13 octobre 1894, s'ouvre à Québec le procès de Frédéric Desjardins, libraire dans le quartier Saint-Roch. On lui reproche d'avoir vendu à un jeune client de 17 ans deux livres contraires à la morale:  "Onanisme" par le Dr. Pierre Garnier et  "La joie de vivre" par Émile Zola.


La couronne fait entendre cinq témoins, à commencer par  Elzéar Sylvain, 17 ans,  qui déclare s'être présenté chez Desjardins au mois de juin pour acheter les deux livres. Il a dû payer immédiatement, mais n'a obtenu les livres que quelques jours plus tard.

Les témoins suivants sont le Dr Arthur Vallée, le révérend Olivier-Elzéar Mathieu, prêtre et directeur du séminaire de Québec, le Dr Dionne, journaliste et bibliothécaire de la bibliothèque de l'Assemblée Législative et Me Dorion, avocat. Ils sont unanimes pour condamner les deux livres, qui n'ont d'après eux aucune utilité éducative et qui présentent avec beaucoup trop de réalisme des scènes d'onanisme et d'adultère.

Émilie Desjardin, soeur de l'accusé, prétend que c'est elle la propriétaire de la librairie, et non son frère. Elle déclare avoir lu les livres et considère que la jeunesse a intérêt à acquérir au plus tôt les connaissances de la nature.  C'est elle qui pris la commande, estimant que le jeune homme se procurait les livres afin de s'instruire.  L'accusé n'est que son employé, et il n'aurait joué aucun rôle dans cette affaire, étant même absent au moment où le jeune Sylvain s'est présenté au magasin. Cette version est toutefois contredite par Elzéar Sylvain, qui confirme qu'il a donné la commande à Frédéric Desjardins, et que c'est lui qui lui a remis les livres.

Après un quart d'heure de délibération, les jurés rendent un verdict de culpabilité et recommandent le prisonnier à la clémence de la cour. La sentence est prononcée le 19 octobre 1894: le libraire Desjardins est condamné à 6 mois d'emprisonnement. 

Ce verdict ne fait pas l'unanimité. "On va bien rigoler dans les centres civilisés en apprenant le verdict du jury Québécois contre le libraire Desjardins". (Le Monde, 17 octobre 1894)

L'Événement répond: "Que voulez-vous, confrère. La civilisation n'est pas aussi avancée dans ce pauvre Québec, que dans la grande métropole commerciale. Il y a encore ici des gens assez rétrogrades pour croire qu'il existe des lois morales qu'un citoyen, -- qu'il soit libraire ou autre chose -- est tenu de respecter. Imaginez-vous qu'il y a encore à Québec des pères de famille assez peu avancés pour croire coupable l'homme qui enseigne le mal aux fils et aux filles qu'ils ont élevés avec beaucoup de soin, et pour condamner l'individu qui, au mépris des lois du pays, fait métier de perdre les enfants." (L'Événement, 18 octobre 1894).

Le journal La Liberté, publié depuis Ste-Scolastique, émet des réserves: "Nous comprenons que la religion catholique place certains livres à l'Index afin de mettre les ouailles en garde contre ce qui pourrait constituer un danger pour leur foi ou leur vertu. Mais nous ne comprenons pas ce que les autorités judiciaires de Québec ont à faire là-dedans et pourquoi elles se livrent à des persécutions contre les libraires." (La Liberté, 18 octobre 1894)

On trouve encore une fois une réponse dans les pages de l'Événement: "La civilisation n'est peut-être pas aussi avancée à Québec qu'à Ste-Scholastique, mais nous savons distinguer le bien du mal et nous faisons une différence entre un bon libraire et un vendeur d'immondices." (L'Événement, 24 octobre 1894)

La Presse, 25 février 1895

Frédéric Desjardins sera toutefois libéré avant la fin de sa peine. En effet, le 25 février 1895, quelques journaux publient ce communiqué laconique: "Une requête a été présentée au ministre de la justice, demandant la mise en liberté de Frédéric Desjardins, libraire de Saint-Roch, condamné à la prison au dernier terme de la cour criminelle pour vente de livres immoraux. La requête a été reconsidérée et le shérif Gagnon a reçu instruction d'élargir Desjardins, ce qui a eu lieu."

L'éditeur de La Vérité est dans tous ses états: "Nous aimerions bien savoir, d'abord, qui a signé cette requête. Ensuite ce qu'elle affirme, quelles raisons elle allègue à l'appui de cette demande plus qu'étrange. Enfin, quelles considérations ont amené le gouvernement fédéral à annuler virtuellement la sentence du tribunal, sentence juste et salutaire, s'il en fût jamais. Cette mise en liberté a tout l'air d'un véritable scandale, d'un insolent défi porté à l'opinion saine. C'est en même temps une sorte d'encouragement aux vendeurs de livres immoraux, une prime en faveur de l'empoisonnement littéraire." (La Vérité, 2 mars 1895)

Le Morning Chronicle du 26 février 1895 a pourtant publié une lettre d'Adam Burwash qui explique que, parmi les arguments qui ont été adressés au Gouverneur Général pour justifier la libération de Desjardins, on a présenté l'exemple d'un montréalais qui a récemment été condamné à payer une amende de $25 pour avoir vendu des images dont l'obscénité ne faisaient aucun doute. En comparaison, la peine de 6 mois de prisons imposée à Desjardins semble nettement exagérée.

Tout est bien qui fini bien, donc?  Ha non...ce n'est pas tout à fait terminé...

L'Événement, 3 avril 1895

Le 1er avril 1895, on annonce que l'ex-libraire Desjardins a décidé de renoncer à la religion catholique, afin de devenir pasteur baptiste, ce qui ne contribue certainement pas à le rendre plus sympathique aux yeux de la rédaction du journal L'Événement!

Dans la soirée du 2 avril 1895, une foule s'assemble devant la chapelle baptiste, sur la rue Sainte-Marguerite, où a lieu le baptême protestant du libraire Desjardins et de sa soeur. À sa sortie de la chapelle, après la cérémonie, Desjardins est hué par la foule. Protégé par une dizaine de policiers, il retourne chez lui pendant que quelques centaines de jeunes gens le suivent en lui criant des injures.

Un rassemblement similaire a lieu le lendemain soir, pendant une conférence où Desjardins explique la raison de sa conversion. "Après le service, la foule a escorté Desjardins jusqu'à sa demeure, rue d'Aiguillon, en le huant, en lui lançant des boules de neige et en chantant." (L'Événement, 4 avril 1895)

Les circonstances ne sont évidemment pas favorables au maintient de son commerce dans la ville de Québec. Frédéric Desjardins semble ensuite être devenu pasteur baptiste itinérant.

"L'ex-libraire Frédéric Desjardins, qui a apostasié la religion catholique pour se faire baptiste, évangélise actuellement les centres canadiens des États-Unis. Il n'obtient pas toujours le succès si nous en jugeons par les journaux des places qu'il a visités, à Lowell il n'a pu même porter la parole et a dû s'enfuir pour échapper à l'indignation populaire." (Le Spectateur, 5 juillet 1895) 

"Les anciens amis de Frédéric Desjardins seront peut-être heureux de recevoir de ses nouvelles. Ce fameux apôtre dont on se rappelle la bruyante conversion, il y a une couple d'années, est occupé en ce moment à évangéliser les cultivateurs du bas du fleuve. Cette semaine, il prêche à Ste-Anne de la Pocatière, où ses succès n'ont pas encore été extraordinaires. Les gens de là-bas l'appellent "chiniquiste" et ses appels sont reçus très froidement: il paraît même qu'il a été invité à aller travailler ailleurs. Pauvre Frédéric!" (Journal des Campagnes, 26 novembre 1898)


Yves Pelletier


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Décès de l'aubergiste Joe Beef (1889)

Le 15 janvier 1889 à Montréal, l'aubergiste Charles McKiernan, mieux connu sous son surnom "Joe Beef", décède d'une crise cardiaque à l'âge de 53 ans.  Trois jours plus tard, quelques milliers de personnes suivent le cortège funéraire jusqu'au cimetière Mont-Royal. Selon certains observateurs, Montréal n'a jamais vu une telle foule depuis les funérailles du député Thomas D'Arcy McGee, assassiné 20 ans plus tôt. Joe Beef n'était pourtant qu'un simple aubergiste mais, grâce à sa forte personnalité, il avait beaucoup fait parler de lui.

Charles McKiernan (Joe Beef)
Musée McCord Stewart Montréal

Né en Irlande en 1835, Charles McKiernan a d'abord été militaire dans l'Artillerie Royale britannique, qu'il a accompagnée au Canada en 1864 à titre de Cantinier. En 1870, il ouvre sur la rue Claude à Montréal la taverne "Crown and Sceptre", puis déménage un peu plus tard sur la rue de la commune en prenant le nom de "Joe Beef Canteen".

Cantine de Joe Beef
(L'Action Catholique, 15 août 1954)

Cet établissement comporte, au premier étage, la cantine proprement dite, où il est possible de boire et manger à sa faim à faible coût, voire même gratuitement, si on n'a pas les moyens de payer, ainsi qu'un dortoir à l'étage, où il est possible de passer la nuit.

L'établissement attire une clientèle variée, particulièrement chez les moins fortunés:  "des honnêtes gens, des vieux soldats; de pauvres diables versés sur le quai par des navires venant de toutes les parties du monde; des malheureux, que l'abus de boire avait fait échouer là, où ils pouvaient encore avaler, de temps en temps, un verre de whisky qui écorchait le palais; des anciens pensionnaires des prisons cherchant à travailler de différentes manières; des vieux usés; des jeunes à la poitrine déjà défoncée par tous les liquides corrosifs buvables; des vagabonds habitués à coucher dans les terrains vagues durant l'été; tous connaissaient cette maison, où l'on trouvait un lit, pour dix centins, ou où l'on mangeait à sa faim, pour quelques sous." (Le Monde Illustré, 26 janvier 1889)

Publicité de la cantine Joe Beef
L'ordre, 26 novembre 1870

Viande, pain et fromage mature

"Le menu de Joe Beef n'a aucune similitude avec celui des autres restaurants de la ville. La carte du déjeuner ressemble à celle du dîner et celle du souper est absolument semblable aux deux autres. Jambon fumé, boeuf salé ou bouilli, du fromage fort et du pain. Pour cinq cents, les habitués en mangent à bouche que veux-tu. Les pensionnaires, moyennant 10 cents, ont le couvert et le déjeuner." (La Gazette de Sorel, 21 mars 1876)

"Au fond de la cantine, il y avait le plus gros amoncellement de pain qu'on pouvait trouver à Montréal. Joe Beef achetait tout ce qu'on pouvait lui apporter de pain chaque jour. (...) Il achetait tous les jours 200 livres de viande. Il ne refusait jamais un repas à un pauvre." (La Patrie 22 mai 1938)

McKiernan semble particulièrement fier de sa sélection de fromages. Ses annonces publicitaires mentionnent souvent "fromage grouillant" ou "cheese in full marching order"! "Il nous montra ensuite une trentaine de fromages qui avaient subit les outrages du temps, des fromages grouillants, exhalant une odeur des plus fortes." (La Gazette de Sorel, 21 mars 1876)

Beaucoup d'alcool

L'alcool coule à flot à la cantine de Joe Beef: "Les habitués de la cantine absorbent en moyenne le contenu de huit barriques de bière par semaine. Chaque barrique contient soixante gallons, soit en tout 480 gallons qui donneraient 7200 verres à 5 cents. D'après ce calcul, la vente de bière seule dans la cantine de Joe met $360 par semaine dans sa caisse. Le débit des autres boissons est à peu près égal." (La Gazette de Sorel, 21 mars 1876). 

En parcourant les journaux de l'époque, on constate que McKiernan a dû payer une amende pour avoir vendu de l'alcool un dimanche (The Daily Witness, 22 août 1872) , pour avoir vendu de l'alcool à un mineur âgé de moins de 16 ans (The Evening Star, 6 mars 1872), etc.

Le dortoir

Le dortoir est situé au troisième étage. Environ 125 couchettes en fer ou en bois sont réparties  dans 22 chambres. Les conversations à voix haute sont strictement interdites, et pas question de demeure au lit après 7 heures le matin.  "S'il arrivait chez lui un pensionnaire dont la propreté était plus que problématique et dont la tête était "colonisée", il lui faisait prendre un bain avant de lui permettre d'aller dans les dortoirs. Le bain était placé à l'entrée de la buvette. Après le bain, Joe Saupoudrait le corps de son pensionnaire avec une poudre jaune contenue dans une poivrière aux proportions gigantesques." (La Patrie, 22 mai 1938)

Un squelette humain!

"Au centre se trouvait, à demi masqué par les loques enfumées d'un vieux drapeau britannique, un squelette humain dont le crâne était complètement noirci par le long séjour qu'il avait fait dans la cantine. Ce squelette était vêtu d'un uniforme rouge de volontaire et portait des insignes d'Odd Fellows. Joe Beef prétendait que ce squelette était celui d'un de ses anciens clients, un prêcheur de tempérance, qui s'était noyé dans les eaux du canal Lachine. Sur l'une des appliques du gaz, il y avait un autre fragment de corps humain tout couvert de crasse. Le cantinier disait que ces ossements avaient appartenu à feu sa belle-mère." (La Patrie, 22 mai 1938)

La ménagerie

Le rez-de-chaussée comporte également une ménagerie où résident quelques animaux sauvages: trois ours, deux "chats-tigres", un bison capturé dans les plaines du Nouveau-Mexique, un petit singe...

Publicité de la Cantine Joe Beef présentant quelques-uns des animaux:
Wildcat Jinney, Buffalo Tom, Big Bear Joe et Poor Little Minney
(Musée McCord Stewart Montréal) 

Au moins un des ours buvait une quantité appréciable de bière, au grand plaisir des visiteurs.

Le Daily Witness du 7 avril 1873 rapporte qu'un dénommé Walter Sherman a été hospitalisé après avoir été gravement blessé par l'ours de Joe Beef.  

La Patrie du 22 mai 1938 parle d'un visiteur originaire de Toronto dont le nez aurait été en partie arraché par un des chats-tigres.

La Presse du 29 avril 1889 rapporte que suite à la mort de Joe Beef, le détective Joseph Gladu a dû abattre ses trois ours, jugés "inutiles et dangereux".

Un colosse au grand coeur

Pour en revenir à Charles McKiernan lui-même, on mentionne souvent sa force herculéenne:

"Joe a un torse magnifique et ferait un excellent modèle pour les formes plastiques.  Le négligé de sa toilette, un pantalon en coutil retenu par une ceinture militaire, une chemise blanche dont les manches sont retroussées jusqu'au milieu de l'humérus, nous laissaient voir le développement extraordinaire de ses muscles. " (La Gazette de Sorel, 21 mars 1876)

"On peut constater la force de Joe Beef par ce fait de notoriété universelle. Un jour Joe Beef parlait à son préposé au bar; un client faisait du chahut; sans le regarder, sans discontinuer de parler au préposé, Joe atteignit le client coléreux et l'envoya au pays des rêves rien qu'à lever le bras. Puis il continua à parler, sans même regarder sa victime." (La Patrie, 22 mai 1938)

Ce colosse pouvait se montrer violent  (L'Evening Star du 23 octobre 1873 rapporte qu'il a dû débourser une amande de $10 après avoir battu un de ses employés), mais il pouvait également faire preuve d'une grande générosité.  Par exemple, en 1877, pendant la grève des ouvriers du Canal Lachine, il avait offert gratuitement 3000 gros pains et 500 gallons de soupe pour nourrir les grévistes.

"Sous une apparence grossière, le dompteur de bêtes sauvages avait un coeur d'or. C'était un philanthrope, que pleurent aujourd'hui des milliers de malheureux, d'êtres dépravés, de misérables abrutis, dont la reconnaissance et les meilleurs sentiments se ravivaient pour leur protecteur. Il savait un ascendant magique sur cette population dangereuse et, au milieu de l'établissement où se faisait la gargotte commune, Joe régnait comme un roi." (La Presse, 16 janvier 1889)


Yves Pelletier


D'autres personnages québécois hors du commun:

  • Le géant Beaupré qui mesurait 7 pieds et 8 pouces
  • Le Dr. Henri-Edmond Casgrain: dentiste, inventeur, et propriétaire de la première automobile à rouler dans les rues de Québec.
  • Pauline Garon: née à Montréal, vedette de nombreux films de Hollywood à l'époque du cinéma muet.
  • Howie Morentz, hockeyeur des Canadiens de Montréal, décédé prématurément à la suite d'une blessure.


Explosion d'une usine d'explosifs à Hull (1910)

Le 8 mai 1910, une usine de produits explosifs de Hull prend feu et explose, causant la mort de 11 personnes, faisant quelques dizaines de blessés graves et causant d'importants dégâts matériels.

La Patrie, 9 mai 1910

La General Explosives Company of Canada s'était installé à Hull, près de la rive ouest du Ruisseau de la Brasserie, à peine quatre ans plus tôt. Bien conscient du danger que représentait cet usine pour les citoyens qui habitaient à proximité, le conseil municipal avait tenté d'obliger la compagnie à s'installer hors des limites de la ville. L'affaire s'était retrouvée devant les tribunaux, mais la compagnie était parvenue à convaincre le juge que ses installations ne représentaient pas le moindre danger pour la population.

Le 8 mai 1910 en fin d'après-midi, un incendie se déclare dans les installations de l'usine, qui sont désertes puisqu'il s'agit d'un dimanche (le gérant de la compagnie, Christie Lafranchise a même déclaré que personne n'avait travaillé sur les lieux depuis trois semaines).  Le journaliste de La Patrie parle d'un feu allumé par des enfants qui jouaient avec des allumettes, mais il est difficile de savoir s'il s'agit d'un fait vérifié ou d'une simple rumeur. 

Les pompiers sont appelés sur les lieux, et constatent qu'ils ne seront pas en mesure d'éteindre l'incendie ("Il aurait fallu trois mille pieds de boyau pour jeter de l'eau sur le brasier", d'après le chef Alphonse Tessier). Ils tentent d'éloigner les nombreux curieux attirés par l'incendie (plusieurs de ces personnes assistaient à une partie de baseball qui vient tout juste de prendre fin à proximité de l'usine).

Une première explosion survient, relativement peu puissante, mais elle est bientôt suivie de deux autres explosions qui sont beaucoup plus violentes. Les lourds blocs de pierre qui forment les épais murs de l'usine sont propulsés dans toutes les directions.

Explosion de l'usine d'explosifs
(La Presse, 9 mai 1910)

L'explosion a été entendue jusqu'à Wakefield, plus de 30 km plus loin. Des résidents d'Ottawa ont cru qu'il s'agissait d'un violent tremblement de terre, ou même qu'un morceau de la comète de Halley venait de tomber au sol! Les vitrines des commerces de Hull et d'Ottawa on volé en éclat, et des témoins ont affirmé que certaines pierres avaient été projetées jusqu'à Pointe Gatineau, 5 km plus loin.


Illustrations montrant la mort de (1) Ferdinand Lorrain et (2) des soeurs Carrière.
(5) Les cadavres à la morgue.
(3), (4), (6) maisons endommagées par les débris de l'explosion.
(La Patrie, 9 mai 1910)

La rue Chaudière, à 500 mètres de l'explosion, est dévastée: les maisons sont lourdement endommagées par des projectiles de diverses tailles.

Huit personnes meurent sur le coup, violemment frappées par de lourdes pierres et une trentaine d'autres sont blessées (trois d'entre elles ne survivront pas à leur blessures).

Amélia et Rosalie Carrière meurent alors qu'elle sont attablées à l'intérieur de la maison familiale: une lourde pierre ayant fracassé le toit de la maison.

La pièce où sont décédées Amélia et Rosalie Carrière
(La Presse, 9 mai 1910)

Onze résidents de Hull trouvent la mort lors de ce sinistre:

  • Théodore Gagné, 31 ans, marié et père de trois enfants.
  • Ferdinand Laurin, 28 ans marié et père de 4 enfants.
  • Willie Sabourin, 24 ans, marié sans enfants.
  • Louis McCann, 16 ans.
  • Donat Fabien, 13 ans.
  • Antoine Servant, 12 ans.
  • Amélia Carrière, 15 ans.
  • Rosalie Carrière, 12 ans.
  • Patrick Blanchfield 65 ans (décès annoncé le 10 mai 1910).
  • George Coleman, 19 ans (décès annoncé le 24 mai 1910).
  • Arthur Garneau, 26 ans (décès annoncé le 24 mai 1910).

Carte postale (Source: Banq)

Les funérailles d'Amélia Carrière, Rosalie Carrière, Louis McCann, Théodore Gagné, Ferdinand Laurin, Antoine Servant et Donat Fabien eurent lieu le 11 mai 1910. Les six corbillards étaient suivis d'un cortège constitué de 3000 personnes.


La Presse, 11 mai 1910


L'enquête du coroner Lyster prend fin le 13 mai 1910. Sans tenir la compagnie criminellement responsable du décès des neuf victimes, le jury la considère coupable d'imprudence pour avoir placé les détonateurs à proximité du dépôt d'explosifs. Le Jury a recommandé des amendements à la loi afin qu'aucun magasin ou usine d'explosifs ne soit toléré dans les limites d'une ville ou d'un village. (L'action sociale, 16 mai 1910)

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Yves Pelletier

L'éclipse totale de 1932

Dans l'après-midi du 31 août 1932, plusieurs localités du Québec se trouvent dans la trajectoire d'une éclipse complète de soleil. Malheureusement, un ciel nuageux frustrera de nombreux observateurs.


Le Soleil, 1er septembre 1932


Ça fait plus de trois cent ans
Qu'on entend dire les savants
Que l'éclipse devait avoir lieu
En dix-neuf-cent-trente-deux
À Quatre Heures de l'après-midi
Il faisait noir comme la nuit
Les lumières sont allumées
Tout le monde se mit à crier "Hé! Hé!"
("As-tu Vu l'Éclipse", chanson de La Bolduc)

Les médias québécois parlent de l'éclipse plusieurs semaines à l'avance. Montréal se trouve à la limite de la zone de totalité. Les localités de Parent, Sorel et Magog sont des sites d'observation particulièrement recommandés puisqu'ils se situent en plein centre de la zone de totalité (c'est à Parent, "situé sur la ligne Transcontinentale du Canadien National", que l'éclipse totale durera le plus longtemps, soit 102 secondes).


Carte montrant la zone de totalité de l'éclipse
Le Soleil, 26 juillet 1932

Des équipes de chercheurs en provenance du monde entier installent leur équipement à différents endroit. Des savants de l'université Cambridge s'installent à Magog, une équipe française choisit plutôt Louiseville, alors que les professeurs de l'Université de Montréal se contentent de monter leur matériel sur le toits de leur institution.

Scientifiques européens arrivés à Montréal afin d'observer l'éclipse,
photographiés à l'entrée de l'hôtel Windsor. (La Presse, 29 juillet 1932)



L'équipe du Dr J.-E. Gendreau, professeur de physique à la Faculté des sciences
de l'Université de Montréal.  (La Presse, 31 août 1932)




Un intérêt des éclipses totales, c'est que pendant que la photosphère est occultée par la lune, il devient possible d'observer la couronne solaire et de déterminer sa composition au moyen d'un spectromètre. À l'époque, on sait depuis longtemps que le soleil est essentiellement composé d'hydrogène et d'hélium, mais depuis la fin du XIXe siècle on s'interroge sur la signification exacte de certaines raies spectrales, qui pourraient bien être causées par un gaz inconnu sur terre, qu'on a baptisé coronium (on ne le sait pas encore, mais il sera établi dans les années suivantes que ce qu'on croyait être un nouveau gaz est en fait du fer hautement ionisé). À cet effet, les scientifiques français sont impatients d'utiliser le coronographe qu'ils ont récemment mis au point.

On désire aussi profiter de l'événement pour étudier l'effet de l'éclipse sur les transmissions radiophoniques. Il est toutefois hors de question de vérifier à nouveau la théorie de la relativité d'Einstein, comme on l'avait fait lors de l'éclipse de 1919, à cause de l'absence d'étoiles suffisamment brillantes à proximité du soleil au moment de l'éclipse.


Le Nouvelliste, 29 août 1932

En ce qui concerne la population générale, on leur recommande d'éviter de regarder vers le soleil sans protection: il faut plutôt utiliser des verres fumés "très foncés".  Le jour de l'éclipse, un incendie se déclare dans un hangar de Limoilou: "Nous fumions des verres pour voir l'éclipse, mais nous avons échappé la chandelle allumée", déclarent aux pompiers les enfants qui ont sonné l'alarme.

On peut aussi investir 10 cents dans l'achat d'un "Éclipse-O-Scope".

La Presse, 25 août 1932


Le Canada, 1er septembre 1932

Malheureusement, le 31 août 1932, la météo n'est pas tellement favorable à l'observation d'une éclipse. À Montréal, les foules rassemblées dans des parcs et sur des toits sont témoins de la troublante période d'obscurité totale en plein jour, mais des nuages empêchent l'observation directe du phénomène.

Famille observant l'éclipse à Montréal
(La Presse, 1er septembre 1932)

Depuis le toit de l'université de Montréal, le docteur Ernest Gendreau décrit en direct à la radio de CKAC les différentes phases de l'éclipse, mais mais la majeure partie de ce qu'il décrit demeure invisible à cause des nuages.

Le Dr. Ernest Gendreau, professeur de physique de l'Université de Montréal.
(La Presse, 1er septembre 1932)

Sept avions ont décollé de l'aéroport St-Hubert et son montés au-dessus des nuages spécialement pour photographier l'éclipse. À bord d'un de ces avions, D.P.R. Coats décrit soigneusement tout ce qu'il observe, au bénéfice des auditeurs de la station de radio CFCF. Ce n'est qu'à son retour au sol qu'on lui apprend que sa description n'a jamais jamais été captée!


Le Nouvelliste, 1er septembre 1932

700 montréalais qui se sont rendu à Sorel à bord d'un train spécial du Canadien National observent l'éclipse dans un ciel dégagé. Les 1000 passagers du navire "Le Richelieu" de la Canada Steamship, parti de Montréal en début d'après-midi, jouissent du même privilège. 

La Tribune de Sherbrooke mentionne que les citoyens de Gould, Bury et Scotstown, en Estrie, ont pu observer l'éclipse dans des conditions idéales. 

Les scientifiques français installés à Louiseville profitent d'un ciel dégagé, les nuages s'étant dissipés juste avant le moment de l'éclipse totale. Les astronomes britanniques qui s'étaient installés à Magog et à Parent n'ont pas cette chance.

Les conditions atmosphériques ont été assez bonnes à Québec et à Ottawa, mais l'éclipse n'y était que partielle.


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Yves Pelletier

Un visiteur dévoré par les ours polaires au zoo de Charlebourg (1939)

Le 3 juillet 1939, le Dr. Joseph Germain de Rimouski est tué par les ours polaires du jardin Zoologique de Charlesbourg. 

Le Soleil, 4 juillet 1939

Le Dr. Joseph Germain, 53 ans, officier médical de l'unité sanitaire de Rimouski, est en visite pour quelques jours à Québec, chez des membres de sa famille, lorsqu'il visite le jardin zoologique de Charlesbourg en fin d'après-midi le 3 juillet 1939. Il est alors accompagné de sa fille Jeannine, 23 ans, de son fils Paul, 14 ans, de son neveu Maurice Paquet et de Rock Lechasseur, 16 ans, un voisin Rimouskois.

Le Dr. Joseph Germain
(Le Progrès du Golfe, 7 juillet 1939)

Le jardin zoologique de Charlesbourg a été inauguré en 1931.  Trois ours polaires capturés dans le grand nord canadien ont  été acquis par le zoo à l'automne 1936, et ils en constituent l'une des principales attractions.

Un peu avant 18h, le Dr. Germain et les jeunes qui l'accompagnent se trouvent devant la cage des ours polaires. Une barrière constituée de 2 barres métalliques horizontales délimite une zone de sécurité large de 6 pieds (1,8 mètre) sur tout le pourtour de la cage. Ignorant les enseignes qui interdisent aux visiteurs de s'aventurer au-delà de cette barrière, le Dr. Germain la traverse et s'approche des barreaux de la cage afin de lancer des arachides en direction des ours.

Les trois ours polaires du jardin zoologique de Charlebourg en 1939
(Le Progrès du Golfe, 14 juillet 1939)

Un des ours profite de l'occasion pour agripper le poignet droit du Dr. Germain. Il fait passer son bras entre deux barreaux de la cage, et l'emprisonne dans sa puissante mâchoire. Pendant que le Dr. Germain se débat pour tenter de se libérer, un deuxième ours s'en prend à sa jambe gauche.

Paul Germain et Maurice Paquet tentent de venir en aide au Dr Germain en frappant les ours à coup de pieds et de bâtons, et en leur lançant du sable dans les yeux. Les deux ours finissent par s'éloigner, mais il est trop tard. Le Dr. Germain a les deux bras arrachés, et une partie substantielle de sa jambe gauche a été dévorée. Il meurt dans les minutes suivantes.

L'enquête du coroner présidée par le Dr. Paul V. Marceau a lieu sur place le soir même; ce n'est qu'ensuite, vers minuit, que les restes du Dr. Germain sont transportés à la morgue. La conclusion de l'enquête est que la victime est morte d'un choc traumatique dû à de  multiples blessures qu'elle a subies après avoir été happée accidentellement par les ours, au moment où elle voulait les nourrir contrairement aux règlements. On recommande aux autorités du parc d'avoir un plus grand nombre de gardiens afin de mieux protéger les visiteurs.

Les obsèques du Dr Germain eurent lieu à Rimouski le 6 juillet 1939.

À lire également:

  • À Montréal en 1895, Ovide Desjardins est accidentellement poignardé à mort pendant une représentation théâtrale de son école.

Yves Pelletier